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Actualités - OPINION

La parole aux médecins L’hystérie, ou comment accorder féminité et masculinité Par le Dr Chawki AZOURI*

«Ambigu désordre d’une chaire androgyne» (voir L’Orient-Le Jour du mardi 6 février), l’hystérie donne à voir à l’œil qui la regarde ou qui l’observe, comme l’œil du médecin, qu’elle est homme et femme à la fois. Pourquoi? Parce qu’elle cherche chez l’Autre une réponse à la question qu’elle se pose depuis toujours: «Suis-je femme ou suis-je homme?» Cet Autre, c’est celui ou celle qui incarnent une position de savoir ou et une position de pouvoir : le médecin, l’enseignant, le savant, le philosophe, le prêtre, le chef, etc., autant de figures qui représentent la figure du père, le père omniscient de son enfance. À ce père omniscient de son enfance, la petite fille future hystérique adulte a posé une question fondamentale restée sans réponse: «Pourquoi le pénis de l’homme, celui de mon père, mon frère, mon cousin ou celui du petit voisin d’en face, a-t-il une valeur si grande?» Pourquoi ma mère regarde-t-elle le pénis de mon frère avec tant d’insistance? Pourquoi son regard brille à la vue de ce pénis? Pourquoi personne ne me regarde au niveau du pubis? Est-ce parce que je n’en ai pas un? Et si c’est le cas, pourquoi n’en ai-je pas un moi-même comme mon frère? Vers l’âge de 3 ans, âge de la découverte de la différence des sexes, les enfants sont effrayés par l’absence de pénis chez la fille. La fille n’a pas encore connaissance de sa cavité vaginale, et le plaisir masturbatoire qu’elle découvre avec le clitoris est comparable au plaisir masturbatoire du petit garçon avec son pénis. L’angoisse qu’ils éprouvent les amène à échafauder des théories pour comprendre pourquoi le garçon a-t-il un pénis et pourquoi la fille n’en a pas. Ces «théories sexuelles infantiles», sources de fantasme et de jouissance, vont nourrir la vie érotique des enfants jusqu’à l’âge de 6-7 ans, date à laquelle «l’enfant les refoule» pour rentrer dans une période de latence sexuelle qui durera jusqu’à la puberté. Mais ces théories sexuelles infantiles ont la vie longue et seront à l’origine des ratages sexuels habituels dans la vie des couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Ce qui est refoulé reste actif comme nous l’apprend la psychanalyse et, dans tous les cas de refoulement dira Freud en 1936, «c’est ce qui est du sexe opposé qui succombe au refoulement». Et c’est ce que «l’hystérique va contester en cherchant à montrer qu’elle est homme et femme à la fois». Dès l’enfance, «le regard que pose les parents sur le pénis du garçon va être déterminant». Autant pour le garçon qui va surinvestir son pénis que pour la fille qui va avoir fortement et longuement envie d’en avoir un. Les parents ne font ainsi que relayer le regard social qui valorise l’homme et dévalorise la femme. À ce sujet, l’histoire qui suit montre à quel point le regard social est important dans la distinction des sexes. Une mère emmène sa petite fille au musée. Devant un tableau qui représente des enfants nus jouant sur la plage, la petite fille demande à sa mère: «Maman, qui sont les garçons et qui sont les filles?» Très étonnée, la mère lui répond: «Mais tu le vois bien ma chérie.» «Non, répond la petite fille, ils ne sont pas habillés.» Cette histoire montre bien que les habits, artifice social pour distinguer les sexes, ont une très grande importance. Et de même que les habits, la différence des rôles qui sont dévolus socialement aux enfants des deux sexes va surdéterminer la valeur que donnent les enfants, filles et garçons, au pénis. Ainsi en est-il du nom, du patronyme. Les petites filles posent souvent la question: «Pourquoi ma sœur qui se marie doit-elle changer de nom et mon frère pas?» Dès cet âge-là, d’autres petites filles protestent et refusent de changer de nom en le disant clairement à leurs pères: «Papa, moi je veux garder ton nom.» Ou bien: «Papa, je veux épouser un homme qui porte le même nom que toi.» L’investissement social du patronyme des hommes va se surajouter à l’investissement du pénis par le regard des parents et amener la future hystérique à protester contre la condition des femmes, victimes sociales de l’ordre patriarcal. Quant à l’anatomie, elle impose des comportements qui sont méprisables pour les filles et valorisés pour les garçons. Combien de fois les parents surprennent leurs petites filles cherchant à pisser debout, envieuses des garçons qui peuvent jouer à leur pisser dessus? Elles sont, elles, obligées de s’accroupir pour le faire. De même, lorsque les filles miment l’activité des garçons et leurs prouesses musculaires, les parents se précipitent à les appeler «garçons manqués». Comme s’il n’y avait que le sexe masculin, l’autre sexe n’étant qu’un sexe masculin manqué. «Comme si l’activité était réservée aux seuls garçons et la passivité seulement aux filles». Et le piège social dans lequel vont tomber les petits garçons et les petites filles se construit dès ce moment-là: «la superposition du binôme actif passif au binôme masculin féminin». L’hystérie, que ce soit celle des femmes ou celle des hommes, passera sa vie à dénoncer et à lutter contre cela sur le plan social et politique. Par exemple, on doit à l’hystérie les mouvements de libération de la femme, qui nous ont amenés à renverser ces binômes et à accepter l’idée que l’homme peut être passif et la femme active, sans que cela ne soit considéré comme illégitime. Cependant, si dans les sociétés modernes la femme continue à obtenir progressivement les mêmes droits que les hommes, c’est sur le plan sexuel des rapports de couple que se mesure le ratage. Et c’est là que se situe son vrai problème. À vouloir contester l’ordre social établi qui lui impose d’habiter son sexe anatomique et de renoncer à l’autre sexe, l’hystérie oublie qu’elle peut jouir de son sexe tout en ayant du plaisir avec les caractéristiques du sexe opposé qu’elle possède. Car si le regard social qui se pose sur l’enfant futur hystérique va être déterminant, n’est-il pas dommage de vouloir changer ce regard social au prix de sa propre jouissance du sujet? Si l’hystérie évolue avec son temps et fait évoluer son temps, n’est-il pas dommage pour elle qu’elle le fasse à ses dépens? C’est ce que la psychanalyse a compris et c’est pourquoi le seul interlocuteur de l’hystérique est et restera toujours le psychanalyste. * Psychiatre et psychanalyste, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Mont-Liban Dans le cadre de l’enseignement ouvert au public que dispense régulièrement la Société libanaise de psychanalyse aux Créneaux, Chawki Azouri tient tous les deuxièmes jeudis du mois, à 19h30, une conférence sur l’hystérie.
«Ambigu désordre d’une chaire androgyne» (voir L’Orient-Le Jour du mardi 6 février), l’hystérie donne à voir à l’œil qui la regarde ou qui l’observe, comme l’œil du médecin, qu’elle est homme et femme à la fois. Pourquoi? Parce qu’elle cherche chez l’Autre une réponse à la question qu’elle se pose depuis toujours: «Suis-je femme ou suis-je...