Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Plus j’observe, moins je ris Plus je pense, moins je suis Samy KHAYATH

Il fut un temps, dans notre cher Liban, où l’observation et l’écoute des gens étaient une source d’inspiration pour les humoristes. D’ailleurs l’un des aspects les plus sympathiques de l’état de comédien est de pouvoir communiquer avec tout le monde et tout un chacun, d’enregistrer des confidences et de servir d’exutoire à tous les ressentiments, sans jamais être suspecté de parti pris pour quiconque ou d’appartenance à un courant politique ou idéologique. Le comédien est neutre par définition. Il est le témoin de son temps et sa renommée artistique lui confère une sorte d’aura quasi mystique et fait de lui une référence culturelle qu’il doit bien se garder de ternir. Si on se confie à lui, c’est parce que l’on suppose que par une entourloupette dont il a le secret, il saura taper sur les bonnets des grands et se venger, en lieu et place du « citoyen moyen », de tous ceux que l’on tient pour responsables des malheurs de ce pays. Jamais cependant il n’était demandé à l’humoriste une prise de position tranchée. Par décence et par respect pour sa crédibilité, on lui laissait le choix de la cible et des armes, tout en sachant que ces dernières ne sauraient être autre chose que de l’ironie, de la satire ou du sarcasme. Aujourd’hui, l’ambiance a changé. On veut absolument impliquer son interlocuteur dans ses choix et ses orientations politiques. L’humour inerme n’intéresse plus personne. Désormais on réclame des boulets rouges. Plus question de généralités, comme répandre sa hargne contre l’environnement régional dans son ensemble ou contre l’individualisme patent des Libanais ou encore contre la gabegie et la déliquescence d’un État-voleur dans l’absolu. Plus question de portrait-robot. L’ennemi, ou plutôt les ennemis sont parfaitement identifiés. On pointe du doigt, en les nommant, un chef de file, un religieux, un courant politique, un journaliste, un homme d’affaires en vue… On reste pantois devant tant de passions. Comment réagir sans perdre quelque chose de son statut d’observateur impartial et sans trahir cette « vertu qui se tient toujours au milieu » ? Le mal semble irrémédiable et tous les 11 Mars n’y feront rien tant la mauvaise foi le dispute à la bêtise. Les sociologues et les analystes devraient se pencher sur ce phénomène comportemental et dresser une panoplie complète des inepties colportées par des individus de tous bords, mais aussi, oh surprise, par une intelligentsia aux errances inimaginables. En essayant de répertorier les « perles » de nos bien-pensants, j’ai constaté, hélas, qu’elles étaient, dans leur grande majorité, le fait d’un courant déterminé que l’on croyait à l’abri de la démagogie. Je plains les experts en environnement qui viennent de sonner le tocsin et qui me demandent de les appuyer. Attention ! Brûler des pneus provoque le cancer. Pas les camions, les bus et les voitures qui roulent au mazout. Pas les décharges de Bourj Hammoud, du Normandie, de Saïda et de toute la montagne libanaise. Pas les eaux usées déversées dans les rues des villes, les champs de cultures, la mer. Pas Zouk, pas Chekka, pas les carrières…Et puis ces clips ! À qui s’adresse le spot télévisé du témoin qui mâche un bout d’oreille ? Qui sont ceux qui pensent, parlent, décident pour nous ? J’avoue n’avoir pas compris le sens de ces messages. Pas une seule personne n’a d’ailleurs su m’indiquer la partie visée par cette propagande franchement exaspérante et qui peut avoir été créée indifféremment par un courant politique ou son adversaire le plus acharné. Si tout le monde est concerné mutatis mutandis, alors le message politique est passé carrément à côté des visées de ses concepteurs. Faut-il en rire ? J’avoue avoir ricané à la mésaventure d’une banque de la place qui a fait retirer du marché toutes ses cartes de crédit parce qu’elle avait eu le malheur de les imprimer en orange, couleur internationalement porteuse dans les messages médias de l’année 2006. Je n’ai pas du tout ri lorsque j’ai appris qu’une mère, craignant pour la vie de son fils, lui a retiré son anorak orné de deux petits traits de la même couleur sous les aisselles. Autant ne plus rien porter du tout et faire du Liban un immense camp de naturistes (à moins que la couleur chair ne soit également honnie). J’ai ri encore moins à la réaction d’un père qui a désavoué son fils (tout en l’assurant de son affection) dans le courrier des lecteurs, parce que son entourage l’a rabroué. Encore heureux qu’il n’ait pas distribué des circulaires explicatives à travers le pays. On se croirait à l’ère des catacombes ! L’amour est mort N’en parlons plus Chacun sa route Chacun sa rue (chanson de Gilbert Bécaud). …Et l’on se veut fin analyste. Alors continuons de délirer. Si Chirac joue à l’Armand Arcache, c’est parce qu’au large des côtes libanaises il y a des gisements de gaz et de pétrole à faire pâlir d’envie tous les émirs du Golfe. Mais aussi parce que Bush veut que l’Iran et la Syrie tombent dans le polygone de sustentation du tribunal international qui recoupera, dans une progression exponentielle, la teneur très dense en dioxyde de carbone que seul Kyoto est à même de dévoiler lorsque le Moyen-Orient sera soumis à un morcellement métaphysique proche du panier de la ménagère qui est inversement proportionnel aux bouffées de chaleur des ménopausées. Ce n’est pas un clip. Ce n’est pas de l’absurde. C’est du génie ambiant. D’avoir cessé de rire, je crains pour mon psychisme. Et plus j’y pense, moins je suis. Samy KHAYATH Humoriste désemparé Article paru le Mardi 13 Février 2007
Il fut un temps, dans notre cher Liban, où l’observation et l’écoute des gens étaient une source d’inspiration pour les humoristes. D’ailleurs l’un des aspects les plus sympathiques de l’état de comédien est de pouvoir communiquer avec tout le monde et tout un chacun, d’enregistrer des confidences et de servir d’exutoire à tous les ressentiments, sans jamais être...