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Actualités - OPINION

Le IIIe empire iranien

L’évolution de l’équilibre des forces politiques au Moyen-Orient révèle d’une manière impressionnante la montée fulgurante de l’influence iranienne, depuis le succès de la Révolution islamique en 1979 sous le commandement de l’ayatollah Khomeyni, tant au niveau régional qu’au niveau international. Aujourd’hui, l’Iran constitue un État fort, possédant des ressources humaines considérables, un régime politique qui a prouvé sa stabilité malgré les changements successifs de gouvernements et des richesses économiques gigantesques, dont des inépuisables réserves de pétrole. La République islamique exerce également une influence en dehors de ses frontières géographiques à travers la communauté chiite répandue dans les pays du Moyen-Orient en particulier et dans le monde entier en général. L’Iran est considéré comme l’autorité spirituelle, religieuse et politique par les membres de cette communauté. Est-il probable que cette ascension l’amènera à exercer son hégémonie sur tout le Moyen-Orient et, par conséquent, à être reconnu comme une grande puissance au niveau international vu qu’il s’apprête à entrer dans le très restreint club nucléaire? Pour répondre à cette question, loin de l’univers des nombres et des statistiques, il serait utile d’analyser l’étendue des effets géopolitiques sur l’évolution de l’influence iranienne au Moyen-Orient à travers l’histoire. La Mésopotamie a constitué depuis des millénaires un barrage géographique entre l’Iran – la terre des Ariens, englobant le pays des Perses – et le couloir syro-palestinien à l’est de la Méditerranée. Toutes les fois, à travers l’histoire, que s’est affaiblie la force politico-militaire dans le centre géographique de la Mésopotamie, la puissance montante en Iran l’a remplacée, a consolidé son pouvoir en Mésopotamie, étendu son hégémonie dans le couloir syro-palestinien jusqu’en Égypte et émergé comme empire dans ce que l’on appelle aujourd’hui le Moyen-Orient. Tout commence au premier millénaire avant J-C, suite à la disparition des empires de la Mésopotamie: sumérien, akkadien, babylonien et assyrien, qui avaient toujours formé un obstacle face à toute poussée hégémonique venue des steppes iraniennes et visant le couloir syro-palestinien et l’Égypte pharaonique. Cyaxare, fondateur de la puissance des Mèdes en Iran, anéantit l’empire assyrien, après avoir détruit la cité d’Assour en 614 avant J-C et la cité de Ninive – «la louve des nations» – en 612 avant J-C. Puis Cyrus gagna l’est jusqu’à l’Indus, occupa Babylone en 539 avant J-C, s’orienta vers le couloir syro-palestinien et envahit la Phénicie et la Palestine, laissant à son fils Cambyse la mission de conquérir l’Égypte en 525 avant J-C. Ainsi l’Iran, pour la première fois dans l’histoire, se trouvait consacré comme empire au Moyen-Orient jusqu’à sa défaite par Alexandre le Grand en 330 avant J-C. Ce «scénario» géopolitique, consistant dans l’expansion de la puissance iranienne vers l’est de la Méditerranée suite à l’effondrement du barrage politico-militaire en Mésopotamie, s’est répété pour la deuxième fois dans l’histoire à travers la chute du califat omeyyade en Syrie et la fondation du califat abbasside en Irak. Depuis la proclamation de Mouawiya ben Abi Soufiane comme calife des musulmans à Jérusalem en 660 après J-C, qui choisit Damas comme capitale du califat, et durant tout le règne de la dynastie des Omeyyades (661-750 après J-C), l’Irak devint le théâtre d’émeutes et de complots contre le gouvernement omeyyade. Ce qui engendra l’affaiblissement du centre géographique de la Mésopotamie comme puissance politique et militaire constituant un barrage face à l’expansion iranienne vers l’est de la Méditerranée. Cet affaiblissement poussa les forces politiques en Iran à appuyer les revendications irakiennes quant à la prépondérance de Koufa face aux autres villes de l’empire musulman et quant à la priorité de la descendance du Prophète au califat. Cet appui se traduira par une révolte contre le régime omeyyade, qui débuta à Khourassan, en Iran, au mois de juin 747 après J-C sous le commandement d’Abou Moussallam el-Khourassani, puis se propagea dans toutes les villes perses, ouvrant ainsi la voie vers l’Irak aux troupes iraniennes qui se joignirent aux insurgés irakiens et occupèrent Koufa, la plus importante ville d’Irak, où se cachait Abdallah Abi el-Abbas, un arrière-petit-fils d’un oncle du Prophète, qui fut proclamé calife le 30 octobre 749 après J-C dans sa grande mosquée. Suite à ces événements, les villes syriennes capitulèrent et ouvrirent leurs portes l’une après l’autre devant les armées irako-khourassaniennes, à l’exception de Damas qui se défendit quelques jours avant de capituler le 26 avril 750 après J-C, ouvrant ainsi la voie vers la Palestine. Les Abbassides purent ainsi contrôler le couloir syro-palestinien puis l’Égypte avant d’étendre leur hégémonie sur tout le Moyen-Orient. Les historiens sont unanimes pour considérer la victoire des Abbassides comme une victoire de l’élément iranien à l’intérieur du califat islamique, consacrant la supériorité iranienne sur les plans politique, administratif et militaire. Signe des temps, une famille de ministres iraniens, les Baramika, tiendra les rênes du pouvoir dans le califat durant un demi-siècle à partir de l’avènement des Abbassides (750-804 après J-C). Aujourd’hui, suite à la guerre menée en 2003 par les États-Unis contre l’Irak de Saddam Hussein, une entreprise qui sombra dans un chaos – que certains qualifient de «constructif»! –, les voies se trouvent à nouveau ouvertes devant l’Iran, qui utilise en guise de tremplin les mouvements chiites irakiens pour établir son influence à l’intérieur de la Mésopotamie et assurer son expansion vers l’est de la Méditerranée après la neutralisation de la digue irakienne. Pour protéger sa marche vers l’est de la Méditerranée, l’Iran peut également compter sur ses solides relations avec le régime alaouite en Syrie depuis le règne de Hafez el-Assad et qui se perpétuent toujours sous celui de son fils Bachar. De plus, il ne faut pas négliger l’immense influence que la République islamique exerce sur le Hezbollah libanais, dont la constitution a été supervisée par les Pasdaran – les Gardiens de la Révolution iraniens – suite à l’invasion israélienne du Liban en 1982. Enfin, l’influence iranienne sur la politique du mouvement palestinien Hamas, à l’intérieur des territoires occupés, se fait de plus en plus sentir malgré la différence de doctrines religieuses entre ces deux parties. À ce point de l’évolution du «scénario» historico-géopolitique qui oriente les rapports de l’Iran avec les données géopolitiques au Moyen-Orient, il s’avère que l’éclipse de la force politico-militaire dans le centre géographique de la Mésopotamie en 2003 a amené à la consolidation de l’influence iranienne à l’intérieur de l’Irak et à son expansion, à travers le couloir syro-palestinien, vers l’est de la Méditerranée – y compris le Liban. La République islamique d’Iran pourra donc s’imposer au Moyen-Orient comme une grande puissance régionale – tout comme l’avaient fait l’empire perse et l’empire abbasside –, ce qui obligera les grandes puissances à reconnaître le IIIe empire iranien sur la scène internationale comme acteur principal dans le jeu des nations. Avec une différence de taille: cette fois, le jeu sera nucléaire. Mounir I. RIZK Avocat au barreau de Beyrouth
L’évolution de l’équilibre des forces politiques au Moyen-Orient révèle d’une manière impressionnante la montée fulgurante de l’influence iranienne, depuis le succès de la Révolution islamique en 1979 sous le commandement de l’ayatollah Khomeyni, tant au niveau régional qu’au niveau international. Aujourd’hui, l’Iran constitue un État fort, possédant des...