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Actualités - OPINION

Impression Lézards

Les lézards éclosent au soleil et vivent dans les fissures. Un lézard vient d’apparaître sous la table qui me sert de bureau. Le premier de cette fin d’hiver. J’ignore s’il a de la famille. Je n’irai pas chercher le balai. Qu’il vive ici sa vie de lézard, si ça lui chante. Nous sommes nés sous les mêmes auspices. J’ai sur lui un regard fraternel. Le lézard lézarde, c’est sa nature. À le regarder boire la lumière, chauffer son petit ventre dans la blondeur des pierres, on le croit indolent et tranquille. C’est faux. Toute mon enfance a été chavirée par la pulsation frénétique de ce cœur sous sa gorge. Le lézard n’a pas peur, il est peur. Mais il se précipite vers le premier rayon qui passe et prend du bonheur par la peau, qu’importe le tumulte qui secoue ses viscères. Dans son étrange distribution des prix, la nature ne lui a offert que son insignifiance – et, piètre consolation, la possibilité de renouveler sa queue ! Comme lui, nous avons appris à jouir furtivement des latences, des éclaircies, des accalmies, du repos des guerriers et du hoquet des armes. Nos cœurs au bord de la rupture ont pourtant le cœur à prendre un rayon qui passe. Des fois qu’il ne passerait plus. Il ne reste qu’à filer la métaphore jusqu’à la faille, la fissure, la fêlure, la zébrure, la cicatrice, la lézarde qui nous sert de pays. Frère lézard, comme toi nous avons pour refuge une blessure de la terre, une terre blessée. Comme toi nous nous y agrippons de toutes nos forces, tant elle se dérobe sous nos pas. Nos vies se consument dans cette lutte qui en devient raison de vivre. Avons-nous d’autre choix ? Depuis des décennies, sans illusions, nous savons que tôt ou tard les mêmes causes produisent les mêmes cataclysmes. Autant pour nos enfants. D’autres ont eu la sagesse de partir, sauriens amputés de leur queue. La queue repousse, il est vrai, mais de guingois. Ici, il n’y a pas d’avenir. Comme toi frère lézard nous habitons l’instant et l’instant habite entre deux nuages. C’est du temps qui s’arrête, du bonheur concentré, de l’esprit de soleil, de la joie en conserve. De quoi tenir jusqu’à la prochaine épreuve. Tu traverses la pièce et ton pouls bat à fendre l’âme. Tu t’arrêtes, tu guettes un bruit. On n’entend ici que l’écoulement rythmé des lettres de mon clavier. Voilà bien ta mission de ce jour : joindre en rampant un point à un autre et rester vivant. Comme toi, je vais atteindre mon point sans avoir pu conjuguer un seul verbe au futur. Mais qu’importe le futur, lézard, tout ce temps pris en contrebande, n’est-ce pas l’éternité ? Fifi ABOU DIB
Les lézards éclosent au soleil et vivent dans les fissures. Un lézard vient d’apparaître sous la table qui me sert de bureau. Le premier de cette fin d’hiver. J’ignore s’il a de la famille. Je n’irai pas chercher le balai. Qu’il vive ici sa vie de lézard, si ça lui chante. Nous sommes nés sous les mêmes auspices. J’ai sur lui un regard fraternel.
Le lézard lézarde,...