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Actualités - OPINION

Commentaire Pour gagner la paix Par Jeffrey D. SACHS*

L’avenir de l’Afghanistan est en jeu : le gouvernement affaibli s’efforce de conserver son soutien et sa légitimité face à des insurgés toujours plus nombreux, aux chefs militaires, au commerce de l’héroïne et à la déception de la population. Le long d’un arc qui s’étire de l’Afghanistan à l’Afrique de l’Est, la violence s’intensifie désormais en Irak, au Liban, en Somalie et au-delà, dans la région soudanaise du Darfour. Partout, les hommes politiques, les généraux et même les diplomates évoquent des stratégies et des manœuvres militaires, pourtant les besoins réels sont tout autres. On ne pourra parler de stabilité que lorsque des chances économiques se présenteront et que les jeunes hommes d’une génération remontée trouveront des emplois pour nourrir leurs familles au lieu de chercher fortune dans la violence. Nous sommes encore et toujours témoins du fait que même si une armée étrangère – que ce soit celle l’OTAN en Afghanistan, des États-Unis en Irak, d’Israël dans la Palestine occupée, ou de l’Éthiopie en Somalie – remporte une bataille ou même la guerre, elle n’obtient jamais la paix. Car la paix est une question de dignité et d’espoir pour l’avenir ; et l’occupation militaire sape la dignité, tandis que la misère noire et le désordre économique minent l’espoir. Ce n’est que par le retrait des troupes étrangères et par le développement de l’emploi, de fermes et d’usines productives, du tourisme, de la santé et des écoles que la paix pourra être établie. Autrement, la victoire et l’occupation militaires ne sont qu’éphémères. Le gouvernement des États-Unis a montré qu’il est insensible à ces facteurs, et la communauté internationale est toujours mal parée pour contribuer à la restauration de la paix dans les pays appauvris à la suite de conflits. À plusieurs reprises, une paix fragile s’est brisée à cause de l’absence de suivi économique. Malgré les belles promesses d’aide extérieure pour la reconstruction économique et le développement en Afghanistan, en Irak, au Liban et partout ailleurs, les antécédents d’assistance internationale en matière de reconstruction sont piètres. Le scénario est douloureusement familier. Une guerre s’achève. Une conférence de donateurs internationaux est organisée. Des dons de milliards de dollars sont annoncés. Un nouveau chef d’État souriant remercie gracieusement la communauté internationale, y compris les forces d’occupation. Les mois passent. Des équipes de la Banque mondiale de Washington commencent à affluer. Mais la véritable reconstruction et le redressement du pays sont retardés, probablement pour des années. Les entreprises amies américaines et européennes, bien au fait des conditions locales, gaspillent du temps, des subventions et des occasions. Deux ou trois années s’écoulent. Les grandes déclarations se transforment en une pile d’études obsolètes de la Banque mondiale. Les récriminations pleuvent, l’armée d’occupation reste et l’idée d’une nouvelle insurrection se répand. De nombreux facteurs participent à ce désordre, à commencer par l’incapacité aberrante des États-Unis, de l’Europe et des organisations internationales d’envisager la situation sous l’angle des pauvres et des personnes déplacées. Si leur manque d’empathie est déplorable, on constate aussi des problèmes théoriques. Les organes internationaux qui s’investissent dans la reconstruction n’ont toujours pas trouvé le moyen de lancer ou de relancer le développement économique dans les pays à faibles revenus. Il importe de distinguer quatre phases distinctes d’assistance extérieure pour mettre un terme aux conflits. La première phase, au moment même de la guerre, correspond à l’aide humanitaire axée sur la nourriture, l’eau, la médecine d’urgence et les camps de réfugiés. Lors de la deuxième phase, à la fin de la guerre, l’aide reste essentiellement humanitaire, mais se tourne également vers les personnes déplacées qui rentrent chez elles et vers les soldats de retour à la vie civile. Au cours de la troisième phase, qui dure trois à cinq ans, l’aide soutient la première étape du développement économique au lendemain de la guerre, notamment par la restauration d’écoles, de centres médicaux, de fermes, d’usines et de ports. Lors de la quatrième phase, qui peut durer une génération ou plus, l’assistance s’adresse aux investissements de long terme et au renforcement d’institutions telles que les tribunaux. La communauté internationale et les États-Unis en particulier sont lamentables quand vient la troisième phase. Lorsqu’un conflit cesse, les organismes d’aide sont comme paralysés et au lieu d’envoyer de l’aide, ils envoient des groupes d’étude. Le passage de l’aide humanitaire au développement économique prend parfois plusieurs années. Au moment où l’aide arrive sur le terrain, il est souvent trop tard : la guerre a repris de plus belle. En fait, il est possible de relancer le développement par des initiatives ciblées à effet immédiat. Puisque les économies des pays appauvris à la suite de conflits reposent généralement sur l’agriculture, il est vital de stimuler la production agricole – par exemple, en proposant aux fermiers un stock de graines, d’engrais et d’équipement économique (comme les pompes d’irrigation). Quand ce type de soutien est rapidement mis à disposition, les anciens soldats reprennent leurs activités agricoles et subviennent à leurs besoins dès la première récolte qui suit la fin des hostilités. Pour cela, nul besoin de longues analyses, mais plutôt d’actions rapides. Des mesures similaires sont nécessaires pour enrayer les épidémies. Il est possible de construire ou de reconstruire de petits centres médicaux ruraux en très peu de temps, au cours de la première année de paix. De plus, les panneaux solaires et les moteurs éoliens peuvent fournir une énergie hors réseau dans les zones rurales reculées, et les puits et citernes garantir l’accès à une eau potable. Ce type d’efforts fait la différence entre la famine et la sécurité alimentaire, les épidémies et la protection sanitaire, les revenus et le dénuement total, et ce qu’il y a de plus important, entre l’espoir et le désespoir. Et pourtant, les chances offertes sont fugaces. Le développement économique à effet immédiat est exactement ce qu’il faut à l’heure actuelle pour faire cesser les violences et les souffrances atroces du Darfour. Les sanctions, les menaces et les initiatives de maintien de la paix ne sont que des mesures de court terme ; et la lutte contre la pauvreté extrême est non seulement possible, mais elle peut aussi faire l’objet d’un accord entre le gouvernement et les rebelles concernés. Ce raisonnement s’applique également à la Somalie. Toutefois, les possibilités d’agir sont éphémères dans ces régions et dans d’autres qui ont été confrontées à un conflit. Seules des initiatives rapides et pragmatiques pour combattre la famine, la pauvreté et la maladie permettront de mettre en place le cadre propice à une paix durable. * Jeffrey D. Sachs est professeur d’économie et directeur de l’Institut de la Terre à l’université de Columbia à New York. © Project Syndicate, 2007. Traduit de l’anglais par Magali Decèvre.
L’avenir de l’Afghanistan est en jeu : le gouvernement affaibli s’efforce de conserver son soutien et sa légitimité face à des insurgés toujours plus nombreux, aux chefs militaires, au commerce de l’héroïne et à la déception de la population. Le long d’un arc qui s’étire de l’Afghanistan à l’Afrique de l’Est, la violence s’intensifie désormais en Irak, au...