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Actualités - OPINION

LE POINT Mourir pour Mogadiscio

La ville avait étonné le voyageur qui venait,émerveillé, de la découvrir ; « une énorme cité, habitée par des marchands disposant d’importants moyens, où on abat tous les jours des centaines de chameaux et de moutons pour nourrir la population ». La ville : Mogadiscio. Le voyageur : Ibn Battouta. L’époque : le XIVe siècle – 1331 très exactement. Près de 700 ans plus tard, les choses ont bien changé. Le commerce a cessé d’être florissant : la Somalie n’est plus un havre de paix dans ce qui,sur la carte, ressemble à une corne de rhinocéros, et depuis quelques jours, l’avenir immédiat s’annonce sous des jours sombres, surtout après le brutal bouleversement militaire qui vient de se produire en cette fin d’année. La déroute, en milieu de semaine, des milices des tribunaux islamiques ne marque pas, comme on serait tenté de le penser, l’avènement d’une ère nouvelle ; elle ne constitue qu’une étape dans une série de crises entamée en 1977-1978, avec ce qu’on avait appelé alors la guerre de l’Ogaden, quand, désireux de créer une Grande Somalie, le président Mohammad Siad Barre cherchait à annexer cette province éthiopienne. En ces temps de guerre froide, quand les alliances se faisaient et se défaisaient au gré des intérêts des deux super-Grands, l’Union soviétique avait choisi de lâcher son ancien protégé pour se tourner vers Addis-Abeba, jadis soutenu par les États-Unis. Il ne restait plus à ceux-ci qu’à opter pour le camp somalien. Désormais, la voie était ouverte, conduisant à un processus de déstabilisation qui verra, en l’espace d’une quinzaine d’années, non moins de quatorze tentatives avortées de former un gouvernement stable. Jusqu’à cette nouvelle guerre dont l’apogée se situe en mai dernier, avec la deuxième bataille pour le contrôle de la capitale, conquise en juillet, puis la « guerre sainte » proclamée le 20 décembre par les islamistes, alliés à diverses parties locales, et leur débâcle dont le monde vient d’être témoin. Attention, la Maison-Blanche aurait tort de crier trop vite victoire. Dans un pays où la situation est largement tributaire de l’humeur des chefs de clan bien plus que de la volonté des puissances régionales ou mondiales, il ne faudrait pas s’étonner si demain des bouleversements se produisaient, remettant en cause les maigres (et bien provisoires) acquis obtenus par les vainqueurs du jour. Cela ferait pour le moins désordre sur un échiquier dominé pour l’heure par le bourbier irakien d’un côté, le retour en force des talibans d’un autre côté. D’autant qu’à cela s’ajoute d’ores et déjà la menace, appelée à se préciser, pour une zone de quelque deux millions de kilomètres carrés, abritant 86,5 millions d’habitants. Djibouti n’est pas loin, tout comme l’Érythrée, le Soudan et le Kenya. C’est bien pourquoi l’inquiétude ne cesse de grandir dans ces trois États. Certes, ce n’est pas de gaieté de cœur que le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi a donné l’ordre à ses troupes de voler au secours du gouvernement de transition, retranché à Baïdoa et qui a déjà entrepris de préparer sa réinstallation dans la capitale. Il est douteux pour autant qu’il réussisse dans sa mission. L’expérience des quinze dernières années est riche en enseignements – sauf, dirait-on, pour une Amérique qui, hantée par le spectre d’el-Qaëda, en était arrivée à oublier des précédents tristement célèbres : Rwanda, Timor-Oriental, Bosnie, Kosovo et jusqu’à la catastrophique mission humanitaire de 1992 dans cette même Somalie où s’apprêtent à surgir les vieux démons de guerres civiles dormantes seulement. Mais combien ténue est la ligne qui sépare la logique des parties en présence. Il est vrai que le cabinet de Ali Mohammad Gedi jouit de l’appui, à tout le moins tacite, de plusieurs États africains ou occidentaux (mais pas de celui des Nations unies). Tout comme il est vrai, d’autre part, que l’Union des tribunaux islamiques est parvenue à établir un semblant d’ordre dans les zones qu’elle contrôle et qu’elle bénéficie du soutien de certains pays. Vendredi après-midi, alors que Gedi faisait une entrée discrète dans la capitale, sous forte escorte constituée par ses protecteurs éthiopiens, des manifestations se déroulaient dans le nord de la ville contre ce qu’une partie au moins de la population considère comme représentant des forces d’occupation. L’Irak, encore une fois, n’est pas loin, surtout si, comme vient de l’annoncer le chef du gouvernement, ces encombrants amis resteront « aussi longtemps que nécessaire ». Ainsi, tous les ingrédients sont désormais réunis pour une réaction en chaîne susceptible d’embraser une région depuis longtemps assise en équilibre instable sur un baril de poudre. Dont la mèche vient d’être activée. Christian MERVILLE

La ville avait étonné le voyageur qui venait,émerveillé, de la découvrir ; « une énorme cité, habitée par des marchands disposant d’importants moyens, où on abat tous les jours des centaines de chameaux et de moutons pour nourrir la population ». La ville : Mogadiscio. Le voyageur : Ibn Battouta. L’époque : le XIVe siècle – 1331 très exactement. Près de 700 ans plus tard,...