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Actualités - OPINION

La théopolitique ou la mort du monde

Qu’on se rassure, le choc des civilisations n’a pas lieu en ce moment, mais plutôt la bataille des identités. Depuis le siècle des Lumières, nous avons assisté à la gigantomachie entre foi et raison. Mais en cet étrange XXIe siècle, les scientistes positivistes et les théologiens scolastiques ont cédé la place aux enfants du pasteur Billy Graham, les « new-born christians », aux doctrinaires de l’ultrasionisme ou « new-born jews », aux déchaînés froids et sanguinaires du « salafisme » ou « new-born sunnites » et aux exaltés du « faqihisme » ( Wilayat al-Faqih ) qu’on peut appeler « new-born chiites ». Il serait plus exact d’inclure dans cette sinistre galerie une large part de la communauté dite scientifique si tant est que le scientisme contemporain et l’illuminisme néopositiviste ont quelque ressemblance avec l’épistémê, ou science, que nous avons héritée du Logos de la pensée grecque d’il y a 26 siècles. Qu’on se rassure donc, au jeu d’enfants que fut la bataille entre foi et raison a succédé la guerre des grands, la vraie guerre, celle du choc de tous les communautarismes. Parlant de cet étrange XXIe siècle, Alain de Libera constate, dans Raison et foi, combien est absurde la formule attribuée à Malraux : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Loin de le rassurer, une telle perspective lui fait craindre le pire, à savoir que ce siècle « n’aille pas à son terme ou, plutôt, qu’il marche, somnambule, vers une censure pire que toutes celles du Moyen Âge ». L’«orgiasme» des foules libanaises actuelles et la violence de leur dithyrambe dionysiaque autorisent toutes les inquiétudes car ce phénomène préfigure, sans doute, le monde de demain qu’appréhende Alain de Libera. Nous assisterions à Beyrouth à une sorte de répétition générale de la fièvre communautaire fondamentaliste qui risque d’allumer l’incendie planétaire et nous faire commettre l’irréparable. Tous ces mouvements « new-born » ont un air de famille, un dénominateur commun : à l’instar des sectes gnostiques de jadis, ces courants idéologiques contemporains ont abandonné le souci de la transcendance afin de réaliser le paradis sur terre. Ils se proposent de réécrire l’histoire en réinterprétant politiquement la religion traditionnelle, ou l’idéologie classique, dont ils sont issus. Ils font de la « théopolitique », néologisme moderne lourd de menaces sous-entendues. Quand la « théopolitique » prend le pas sur la « géopolitique », cela signifie que Dieu est en train de digérer Sa propre création et de mettre fin à l’histoire. Avec ou sans sécularisation, ces courants de nature gnostique procèdent à une redivinisation de la société. Leur plus grave danger est qu’ils reposent tous, sans exception, sur un monde « rêvé » dont les activistes (Theodore Hertzl ; Karl Marx ; Adolf Hitler ; Neo-Cons américains ; Ben Laden, Khomeiny, Khameneï... ) hâtent la venue par le recours à la violence. Cette violence n’a d’autre justification qu’elle-même et ne peut être régulée par aucune loi. Tant qu’on part du principe fondamentaliste, que Dieu est capable de détruire le monde et ceux qui y vivent, on vit dans un imaginaire d’une extrême violence. Penser que Dieu peut vouloir la violence, c’est forcément admettre que celle-ci peut être justifiée dans un cadre non légal. Que m’importe le droit et la loi puisque ce que je dis est vrai ? Nous entrons de plein fouet dans les couches les plus profondes de l’imaginaire du bras armé de Dieu ( jihadiste salafiste, hezbollahi exalté, sioniste arrogant, cow-boy puritain, etc. ) qui met la force de ses muscles non au service de la loi mais comme substitut de cette dernière, au nom de sa bonne conscience et, sans doute, de son élection divine. C’est, je crois, dans cette donnée qu’il faille trouver l’explication de la violence inouïe qui déferle sur le monde et qui risque d’emporter ce qui nous reste de notre patrie, le Liban. Qui donc va pouvoir laisser Dieu au ciel et nous permettre de construire le projet humain de la Cité, seul modèle capable d’amortir les violences des rêves métaphysiques ? Pr Antoine COURBAN Cité de Beyrouth
Qu’on se rassure, le choc des civilisations n’a pas lieu en ce moment, mais plutôt la bataille des identités. Depuis le siècle des Lumières, nous avons assisté à la gigantomachie entre foi et raison. Mais en cet étrange XXIe siècle, les scientistes positivistes et les théologiens scolastiques ont cédé la place aux enfants du pasteur Billy Graham, les « new-born christians », aux...