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Actualités - OPINION

Pour être lu...

Je crois avoir trouvé la clé du succès dans l’écriture. Je crois savoir ce qu’il faut faire, dans un pays comme le nôtre, pour être considéré comme un écrivain populaire ou un journaliste talentueux. Rien de plus simple pour avoir son article publié dans un des journaux locaux les plus réputés : parler de politique. C’est ainsi que j’ai pu, moi qui parle le plus souvent d’amour, de soleil, d’amitié et de ces choses considérées banales et superficielles, avoir mon article publié et lu. Pour être lu au Liban, il faut soutenir un parti politique ou, au contraire, le critiquer énergiquement. Être neutre n’intéresse point. Pour être lu ici, il faut avoir un avis politique, une appartenance ou une idéologie. Il faut adorer un leader politique ou le haïr. Ne pas le remarquer, c’est du coup ne pas se faire remarquer. Pour être admis en tant que journaliste, soutenu, respecté et lu, il faut oser s’attaquer à un régime, s’acharner contre un système préétabli, tenter de bouleverser des normes votées en Parlement, critiquer des hommes au pouvoir et susciter l’approbation de certains et l’indignation d’autres. Pour être lu, il faut écrire ce que les autres savent déjà, traduire les pensées d’un peuple qui ne s’intéresse qu’à la politique, faire en sorte qu’il s’identifie aux mots utilisés, aux histoires racontées, aux opinions empruntées. Pour être lu, il faut être hypocrite. Pour être lu par la majorité de la population, il suffit de trouver l’avis prédominant et se l’approprier. Car pour être lu, il faut être, comme tous les Libanais, révolutionnaire. Il faut se joindre à une révolution qui a trop duré. A-t-elle toujours existé ? Une révolution qui s’étale tellement dans la durée mérite-t-elle toujours son appellation ? Ne devient-elle pas du coup l’état normal des choses ? Ne pas avoir un avis politique, ne point avoir d’appartenance, laisser la politique occuper sa place véritable, à savoir au gouvernement, parler des choses sérieuses comme de la vie, de la beauté, de l’humour, de la santé, du désir, de l’envie de vivre, c’est à mon avis la plus grande des manifestations. Ne point avoir d’avis, c’est en avoir sans le savoir et sans le vouloir. C’est avoir un avis véritable, contrairement à tous ceux qui adoptent aveuglement l’avis de la foule. La politique intéresse tout le monde, m’a-t-on dit. Mais la politique ne m’intéresse pas, malheureusement. Et je ne saurais en parler. Je n’ai rien à dire et je n’ai pas d’avis à ce sujet. Alors je parlerai de choses simples, même si je risque de ne jamais être lue. Je parlerai de ces choses qui concernent directement mon existence. Parce que je ne pense pas que la politique soit l’affaire de tous. Et peut-être que c’est à cause de cette décentralisation poussée à l’extrême que la situation politique va si mal ici. Laissons la politique à ceux qui font d’elle leur métier. Même s’ils sont nuls et incompétents, laissons-les au moins essayer. Peut-être qu’avec un peu plus de silence, ils pourront un jour travailler. Peut-être que la politique ne fait point partie de nos compétences. Certes, ce pays est le nôtre. Et les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. Mais doivent-ils en faire pour autant leur occupation permanente et continue ? Je ne parlerai pas de politique. Je parlerai d’une soirée en boîte et d’un très beau passant. Je parlerai d’un fondant au chocolat et d’une trop belle chanson. Je parlerai d’un sourire sincère et d’une très belle promesse. Mon indifférence, c’est ma façon de voter. Karen AYAT
Je crois avoir trouvé la clé du succès dans l’écriture. Je crois savoir ce qu’il faut faire, dans un pays comme le nôtre, pour être considéré comme un écrivain populaire ou un journaliste talentueux. Rien de plus simple pour avoir son article publié dans un des journaux locaux les plus réputés : parler de politique.
C’est ainsi que j’ai pu, moi qui parle le plus souvent...