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Actualités - OPINION

La francophonie, de Versailles à Bucarest

Par Bassam TOURBAH La francophonie a traversé plusieurs étapes, plusieurs décennies pour passer du stade d’une simple Agence (de coopération culturelle et technique : ACCT) créée à Niamey en 1970 à celui d’une Organisation internationale (de la francophonie : OIF) le 5 décembre 1998. L’Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1998 et l’Union européenne le 4 mai 1999 accueillirent l’OIF en qualité d’observateur à leurs différents travaux. Le sommet de Hanoi, en 1997, donna à la francophonie un visage : celui du secrétaire général chargé d’animer et de coordonner la politique de coopération multilatérale et d’engager une politique active contribuant à la consolidation de l’État de droit et du processus démocratique, et développant les initiatives politiques en vue d’un règlement pacifique des conflits en cours entre ses États membres. L’ACCT resta longtemps l’apanage des chancelleries. Plus de 500 millions d’hommes et de femmes, constituant plus du quart des États membres de l’Organisation des Nations unies, ignoraient son existence. Ce demi-milliard d’individus devait attendre l’OIF pour se reconnaître et espérait se regrouper pour constituer une force capable de peser sur la scène internationale au même titre que les organisations régionales. Le sommet de Hanoi de 2001 lui en donna l’occasion, car c’est à Hanoi que s’esquissa véritablement le passage d’une agence à caractère culturel à une prestigieuse organisation dont le but non avoué fut une éventuelle solidarité politique. Un pari que le sommet de Bucarest, « premier sommet de l’organisation rénovée », récemment tenu, traversa non sans peine. Et c’est le Liban qui fut la vedette et le déclencheur de ce passage. En effet, la majorité des pays membres défendirent la position du Liban récemment agressé et meurtri, permettant pour la première fois la solidarité politique de l’OIF avec un pays membre qui a souffert des affres d’une guerre qu’on a voulu meurtrière. D’autres dossiers politiques furent ouverts à Bucarest : ceux de la Côte d’Ivoire, de la République démocratique du Congo, du Tchad, du Darfour, celui du « territoire palestinien occupé ». Mais c’est le dossier libanais qui a retenu le plus l’attention des participants car, à huis clos, il a été l’objet d’une « dispute » de dernière minute entre, d’une part, le Canada, soutenu curieusement par la Roumanie, et, d’autre part, les autres membres menés par la France. Cette dispute se solda par une déclaration en faveur de notre pays. Ce clivage qui a empreint ce sommet est un signe positif car il consacre le caractère politique de l’OIF mais rend désormais le consensus difficile à obtenir ce qui, comme le signale Le Monde, conforte la dimension multilatérale de l’OIF et prouve que celle-ci n’est pas ou plus « la chose de la France ». Dans leur conférence de presse, le président français, le Premier ministre canadien, le secrétaire général de l’OIF insistèrent sur la situation au Liban et le « drame » qu’il vient de vivre, et sur l’intention de la communauté internationale de se mobiliser, comme le déclare Abdo Diouf, « pour permettre au Liban de se reconstruire », pour l’aider à développer « ses industries culturelles en mettant en place un fonds de garanties » pour ces industries, et « dans le domaine de la consolidation de l’État de droit, notamment à la formation des magistrats ». Dans le domaine de l’environnement, le secrétaire général exprime la volonté des membres de l’OIF de « mettre en place des experts de la francophonie qui encadreront ceux qui vont lutter contre la marée noire et contre la pollution provoquée par les opérations de guerre ». À la fin de sa conférence de presse, le secrétaire général de l’OIF revient sur le Liban et termine son intervention en appelant les membres à démontrer leur solidarité avec notre pays en lui permettant, après « l’épreuve qu’il vient de subir », de relever le défi de l’organisation des Jeux de la francophonie en 2009 prévus sur son territoire. Déjà lors du sommet de Moncton, en 1999 au Canada, le passage du culturel à la politique se réalisa timidement, puisque la déclaration finale appuya tous les efforts visant à aboutir à un traité de paix juste et global au Moyen-Orient dans le cadre d’une réactivation du processus de Madrid basé sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité des Nations unies et sur le principe de « la terre contre la paix », et consacra une partie de sa déclaration à soutenir l’application de la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations unies qui exige « le retrait total, immédiat et inconditionnel des forces israéliennes du territoire libanais ». Dès Moncton, donc, le Liban était au centre des préoccupations du monde francophone. Moncton, comme Bucarest, consacra une part importante à la situation de notre pays. Comment s’en étonner puisque ce dernier est le seul État francophone de la région du Moyen-Orient ? Puisque le Liban, de par sa vocation ancestrale de pont entre l’Orient et l’Occident, de par sa culture universelle, constitue, sans aucun doute, une pierre angulaire de cette organisation qui se veut ouverte aux différentes cultures que notre pays représente si dignement. C’est curieusement grâce à deux anciens chefs de gouvernement anglophones que le Liban a épousé officiellement la francophonie. Saeb Salam l’y a ancrée et Rafic Hariri arrivant, grâce à sa ténacité légendaire pendant le sommet de Hanoi, à briser une coutume établie lors des conférences internationales qui consiste à fixer, lors d’un sommet, la date de la prochaine réunion et imposa qu’à Hanoi on choisisse le lieu de la rencontre qui devait suivre le prochain sommet. C’est ainsi qu’il fut décidé que Beyrouth sera la capitale qui accueillera les assises du IXe sommet après Moncton qui était déjà prévu, donnant à notre pays ses lettres de noblesse francophone et permettant au chef de l’État du Liban de présider, de ce fait, cette prestigieuse organisation pendant deux ans. À tort celui qui pense que l’OIF est une organisation tournée vers la France, assujettie à elle, sa chasse gardée. Il n’est d’ailleurs pas dans l’intérêt de celle-ci qu’il en soit ainsi. Pas dans celui de la francophonie non plus. Certes la France est la patrie de la francophonie comme elle est d’ailleurs celle des droits de l’homme par exemple, mais cela ne veut pas dire qu’elle a l’intention de revenir dans ces pays en néocolonisatrice sous couvert de francophonie, comme le craint un grand pays arabe foncièrement francophone mais refusant d’adhérer à l’OIF sous ce prétexte inavoué. La francophonie a tout intérêt à ce que la France ne soit pas à l’avant-garde de sa défense. Des pays comme le Laos, le Vietnam, le Niger ou le Liban en seraient plus crédibles. À Bucarest, comme à Moncton, l’OIF a franchi un pas important vers une organisation politique susceptible de devenir un lobby international pour diffuser les principes intrinsèques à la francophonie culturelle créant un lien de solidarité politique et humanitaire entre ses membres, ce qui renforce le poids de ses États sur la scène internationale. Encore faut-il que des pays (francophones) adoptant traditionnellement ou récemment le point de vue des États-Unis en politique étrangère acceptent ce principe de solidarité francophone. Le Liban de Charles Hélou, de Salah Stétié, de Georges Naccache… d’Alexandre Najjar, de Carole Dagher, mon Liban, le tien, le sien, celui de nos pères frémit à l’évocation de son nom : francophonie. Un éclair jaillit dans notre esprit nourri de Victor Hugo, de Racine, de Molière, de Senghor, nous remplissant de fierté. Ces francophones que nous sommes ont une mission à remplir dans cette langue qui a bercé notre enfance : celle de faire connaître au monde les valeurs dont notre pays est porteur, un message à délivrer à la planète, celui de ce brassage, heureux malgré tout, de communautés qui font du Liban un exemple unique de convivialité et de richesse morale dans un monde devenant fou.
Par Bassam TOURBAH

La francophonie a traversé plusieurs étapes, plusieurs décennies pour passer du stade d’une simple Agence (de coopération culturelle et technique : ACCT) créée à Niamey en 1970 à celui d’une Organisation internationale (de la francophonie : OIF) le 5 décembre 1998. L’Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1998 et l’Union européenne le 4 mai...