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Actualités - CHRONOLOGIE

LES FAVORIS DES PRIX LITTÉRAIRES - « L’amant en culottes courtes » d’Alain Fleischer Écrits virtuoses, premiers frissons de plaisir

Un titre énigmatique, cocasse, provocateur, insolite que celui de «L’amant en culottes courtes» d’Alain Fleischer, pourtant un des romans les plus en vue pour la course aux prix parisiens de cette saison. Entre le prix Goncourt, Femina et celui de l’Académie française, ce très jeune amant, qui fait avec délectation son apprentissage sexuel, a toutes les chances de séduire et d’émouvoir les lecteurs du monde. Avec un auteur à l’œuvre iconoclaste comme Alain Fleischer, on ne pouvait pas s’attendre à moins, dès le titre de l’ouvrage, si on se rappelle que l’une de ses précédentes fictions s’intitulait «La femme qui avait deux bouches»... Gros pavé de 613 pages, aux Éditions du Seuil, L’amant en culottes courtes est de ces livres qui ne laissent pas indifférents (tant on parle en termes sérieux et croustillants à la fois d’une vibrante éducation sentimentale aux abords de l’enfance!) tout en marquant une certaine lassitude devant le nombre impressionnant de pages à parcourir pour un lecteur du XXIe siècle, sollicité par les multiples préoccupations contemporaines et happé par le temps… Sans nul doute il s’agit d’un écrit virtuose pour cette ample pseudo-biographie où tous les détails des premiers frissons du plaisir sont répertoriés, abordés avec franchise et épinglés avec une conscience scientifique de botaniste chevronné… Lyrisme moderne, dans une écriture lumineuse, minutieuse et fouillée, pour une inspiration portée à mettre totalement à nu les sentiments, les impressions et les sensations. Voilà les ingrédients de base de cette longue narration des «premières fois» où un jeune garçon découvre l’émerveillement devant l’autre sexe… Né en 1944 à Paris, Alain Fleischer vit et travaille entre la Ville lumière, Rome et Tourcoing. Après des études de lettres, de linguistique et de sémiologie, il enseigne entre Paris III et le Québec tout en s’affirmant photographe, cinéaste, vidéaste, plasticien, essayiste et romancier. Une œuvre polymorphe, dans un riche croisement de genres, pour l’exploration de l’image et la force du mot, caractérise sa quête créatrice. Alain Fleischer s’érige comme une sorte de touche-à-tout à la Cocteau qui, tout en expérimentant les images et les mots, par-delà interrogations existentielles et nouveaux champs de la création, tente de révéler les différentes facettes de l’art contemporain. À la question posée à Alain Fleischer: «Le réel, pour vous, c’est quoi?» le romancier-cinéaste n’a pas hésité à répondre: «C’est l’identité». C’est de cela qu’il s’agit dans cet écrit fleuve, fourmillant de détails et de descriptions scrupuleusement notés, où le corps et le parfum de femme révèlent au jeune Alan, alter ego de l’auteur dans les miroirs infinis de la fiction, sa véritable «identité», sa «nature», comme on disait au siècle de Musset… Un jeune garçon déniaisé à treize ans Mais par-dessus tout, il s’agit ici de littérature. De bonne et excellente littérature, et non celle de gare, de suspense ou d’action et encore moins de pornographie. Pour le fondateur de l’école d’art Le Fresnoy, toutes les expressions artistiques ont pour noyau le littéraire. Écoutons une de ses confessions: «Mes projets de jeune homme étaient terriblement ambitieux et par le fait même paralysants. J’avais en tête Joyce, Kafka, Proust, Faulkner, Musil. Évidemment, ça m’a dissuadé d’écrire…» Pieux et coquet mensonge, car Alain Fleischer n’a jamais arrêté d’écrire. Tout au plaisir des lecteurs, bien entendu! Pour son vingt-troisième opus, l’écrivain de soixante-deux ans se tourne vers son passé pour puiser une brillante fiction et ses doubles. Histoire de l’enfance qui reste le point d’ancrage d’une vie ressuscitée avec brio, verve et un certain humour, juif cela va sans dire! Voilà qu’un petit Parisien de treize ans est expédié chez sa tante hongroise, chez Madame Buss, à Londres, au 15 Broadlands Roads, pour un séjour linguistique. Culottes courtes mais idées longues dans le désir de flirter avec les filles et mordre à belles dents dans la vie... Par-delà parties de tennis sur gazon, breakfast avec « marmelade, peanut butter et golden syrup », five o’clock tea et cookies, répétition au piano de partitions de Mozart et Liszt, se referme la trame d’une histoire en somme fort simple. L’histoire d’un garçonnet épris d’une fille, Barbara, une somptueuse beauté des Caraïbes, de dix-huit printemps, qui lui tourne la tête et les sens. Mais rien ne résiste à cet entreprenant jeune amant qui veut à tout prix la nudité féminine au-dessous de la ceinture… Si l’Angleterre en cet été 1957 est bien restituée dans son esprit, son conservatisme, son originalité, ses personnages typés, son accent très british, le volcan des corps, pierre angulaire du livre, est lui aussi à bonne enseigne sous la plume de Fleischer. Sans jamais tomber dans le grivois ou le scabreux, le récit est une analyse tonique, juteuse, à la fois grave et ludique, avec certains aspects bien «proustiens», de l’évolution du «climax» qui finit par s’emparer du lecteur même… Avec un instinct de petit animal, Alan perd sa virginité à Londres auprès de Barbara, cette belle plante de Trinidad. Une figure attachante, pour le dépucelage et l’initiation au sexe, des aiglons en herbe, dans le pur sillage, toutes proportions gardées, de madame de Renal, de Stendhal, ou madame de Warens, de J.J Rousseau... Dans une narration jubilatoire et suave, s’enchaînent «la première fois», les «autres fois» et «la dernière fois» (pour ce bref séjour!), par temps d’orage, avec les contraintes et délicieuses transgressions d’une «période» inopinément en règle! Alain Fleischer, en écrivain virtuose et par-delà motifs érotiques audacieux, extases à soupirs et râles de plaisir, douceur du paradis perdu et explorations – avec une application très technique – du Kama-Sutra, dévoile, dans ces pages pétillantes de vie, la part de l’ombre et le sens du dédoublement de l’être. Avec un usage adroit d’une langue française subtilement musicale, finement émaillée d’expressions british, au faîte de sa séduction. Et ce n’est guère un hasard si on a rapporté ces propos sur cet auteur prolifique dans sa liaison avec la langue française: «Il déguste les mots, appréciant jusqu’à leur relief, leur couleur.» Une pénétrante «love affair» où «il serait bien naïf et hypocrite de voir dans l’enfance un âge d’innocence sexuelle, radicalement opposé et étranger au monde des adultes.» Alain Fleischer? Un écrivain drôlement culotté! Edgar DAVIDIAN Disponible à la librairie al-Bourj.
Un titre énigmatique, cocasse, provocateur, insolite que celui de «L’amant en culottes courtes» d’Alain Fleischer, pourtant un des romans les plus en vue pour la course aux prix parisiens de cette saison. Entre le prix Goncourt, Femina et celui de l’Académie française, ce très jeune amant, qui fait avec délectation son apprentissage sexuel, a toutes les chances de séduire et...