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Actualités - CHRONOLOGIE

Un plan de réhabilitation de la ville commerçante financé par le Qatar Reconstruire Bint Jbeil tout en préservant son patrimoine

Malgré un environnement à dominante agricole, l’activité dans le village – ou peut-être faudrait-il dire la ville – de Bint Jbeil est traditionnellement concentrée sur le commerce et l’industrie. Sévèrement pénalisé pour ses sympathies pour le Hezbollah durant la dernière guerre, le village a été pratiquement rasé en grande partie par l’aviation israélienne et les combats qui y ont eu lieu. Le souk antique, véritable joyau du patrimoine, y a notamment été très endommagé. La reconstruction à Bint Jbeil sera probablement un casse-tête en raison justement de cet important patrimoine à préserver, mais surtout des milliers de personnes qui se retrouvent sans abri ou presque, en ce début d’hiver. Le président du conseil municipal de Bint Jbeil, Ali Bazzi, est très fatigué, et il y a bien de quoi. Dans son bureau au milieu de sa ville détruite, il doit à longueur de journée écouter les doléances des citoyens, recevoir des délégations étrangères venues inspecter les dégâts… « La destruction à Bint Jbeil est telle qu’elle s’élève au rang de catastrophe », dit-il. « Nous travaillons 18 heures par jour. Les gens viennent nous demander des réservoirs d’eau, des tentes… Nous restons impuissants face à leur malheur, parce que les aides qui nous parviennent ne couvrent pas les besoins. » La vie économique du village a, elle, été balayée : 450 commerces détruits, quelque 900 industries rasées, notamment des usines d’aluminium, de confection de chaussures, des garages de réparation de voitures… « La municipalité possédait 200 de ces magasins détruits, et n’a donc plus de ressources aujourd’hui », explique M. Bazzi. Dans le souk, le spectacle est édifiant : des amas de béton et de ferraille dans la partie la plus récente, des restes de pierres blanches qui témoignent de la beauté de la partie plus ancienne. Mais aucun magasin n’est apparemment intact. Certains pourtant ont pu rouvrir leurs portes tant bien que mal, malgré les murs lézardés et les façades tombantes. Dans les quartiers résidentiels, la situation n’est guère meilleure, et les travaux de reconstruction restent très lents, ce qui s’explique par le fait que les indemnités n’ont pas encore été versées par les pays donateurs, du fait des formalités qui traînent en longueur. En effet, la reconstruction à Bint Jbeil, comme à Aïta el-Chaab et dans d’autres localités limitrophes ayant subi des bombardements et des combats, sera financée par l’émirat de Qatar. « Le Qatar avait planifié de rembourser les habitants directement, afin de leur permettre de reconstruire leurs propriétés, comme dans d’autres villages, explique M. Bazzi. Nous sommes en pourparlers avec l’émirat pour modifier la formule : nous souhaiterions en effet, vu l’importance du patrimoine à Bint Jbeil, que les Qatariotes adoptent notre plan de reconstruction des quartiers à l’identique, et qu’ils utilisent les fonds pour mener eux-mêmes l’opération de construction. » Selon lui, une réponse définitive sera donnée après la fête du Fitr. Des habitants interrogés dans la rue ont déclaré approuver la proposition de la municipalité, qui leur permettra de retrouver leur ville natale. Plus de 800 habitations détruites Malgré le fait que la reconstruction n’a pas encore été entamée, la moitié environ des résidents du village, quelque 3 500 personnes, sont revenus s’y établir dès la fin des hostilités. Selon les chiffres de la municipalité, 800 maisons entièrement détruites seront financées par le Qatar, alors que 600 sont partiellement endommagées et ne sont pas habitables, et 1 250 restent habitables bien que touchées d’une manière ou d’une autre. Des neuf écoles du village (dont trois privées), sept ont été détruites : le Qatar devrait financer la reconstruction de deux d’entre elles, alors que le ministre de l’Éducation Khaled Kabbani s’est engagé à en réhabiliter deux autres très rapidement. Enfin, la municipalité s’efforce d’obtenir quelque 700 maisons préfabriquées pour les habitants avant l’hiver. Interrogé sur les efforts de l’État en matière de reconstruction à Bint Jbeil et dans les environs, M. Bazzi s’écrie : « L’État ? Quel État ? Il est absent depuis 1943 (date de l’indépendance). Seul le ministre de la Culture, Tarek Mitri, nous a rendu visite. Pour le reste, c’est comme si on punissait Bint Jbeil pour sa résistance. » Il déclare que, sans être adhérent au Hezbollah, il apprécie la protection que celui-ci a assurée au Liban-Sud. « Nous sommes très heureux de l’arrivée de l’armée, mais les pays occidentaux qui s’intéressent tellement à nous devraient la doter d’avions de chasse F16 pour qu’elle tienne face à Israël », dit-il. L’écho dans les rues de Bint Jbeil est identique au discours du président de la municipalité. Les indemnités versées directement par le Hezbollah à la population lésée a contribué à accroître la popularité du parti, ainsi que la conviction d’avoir remporté une véritable victoire. Le Hezbollah devrait également, selon les informations obtenues sur place, verser des indemnités pour les magasins détruits, qui ne sont pas inclus dans le programme de reconstruction financé par le Qatar. Dans la rue, beaucoup d’hommes et de femmes sont désœuvrés : pas étonnant quand on a perdu coup sur coup son toit et sa source de subsistance. Imad Bazzi est l’un d’eux : propriétaire d’une usine de confection de chaussures, il a vu son industrie pulvérisée par les bombes israéliennes. « Ni moi ni ma famille ne sommes sortis de Bint Jbeil malgré la violence de la guerre, raconte-t-il. Nous avons été déplacés plusieurs fois dans les années précédentes et n’avions pas envie de revivre cela. » « J’ai tout perdu, poursuit-il. Si on ne m’aide pas à récupérer mon droit et ma vie, moi qui ai toujours été pacifique et apolitique, je suis prêt à porter les armes. Imaginez que j’ai quatre enfants, et que sans les aides envoyées par le Qatar, nous aurions été dans de beaux draps. » Selon lui, une liste des commerces et des industries endommagés a été dressée par le syndicat des commerçants de Bint Jbeil, et c’est suivant cette liste que les indemnités seront payées. Imad Bazzi prend un ton volontairement ironique pour parler de l’action de l’État à Bint Jbeil. « En fait, nous préférons qu’il ne s’en mêle pas du tout, c’est plus sûr », dit-il. D’autres habitants autour de lui déplorent « qu’aucun responsable n’ait fait le déplacement ». Même son de cloche dans un magasin proche, rouvert malgré les dégâts, et où la propriétaire, qui a requis l’anonymat, nous déclare : « Nous avons confiance dans le Hezbollah, pas dans l’État. La destruction ne nous décourage pas, nous savons qu’Israël voulait faire la guerre quoi qu’il arrive, et que ce ne sont pas deux otages qui ont été la cause de tout cela. » Cette femme et sa famille ont perdu trois magasins d’électroménager avec la marchandise qu’ils contenaient, et viennent d’en réaménager un à la va-vite, juste pour reprendre le travail. Ils ont également perdu leur maison et logent chez des proches, en attendant de louer un appartement à Aïtaroun, parce qu’il n’y en a pas à Bint Jbeil. Elle n’a cependant qu’une crainte : « Nous pouvons tout supporter, mais surtout pas que les tensions actuelles n’entraînent le pays vers une nouvelle guerre interne. » La vie reprend lentement à Aïnata À Aïnata, le village tout proche, la destruction est tout aussi spectaculaire. Pas étonnant quand on sait que des combats acharnés y ont opposé combattants du Hezbollah et soldats israéliens. Mais la vie reprend ses droits dans ce patelin, malgré les pertes humaines et matérielles, malgré la récolte de tabac qui s’est volatilisée. Car contrairement à Bint Jbeil, Aïnata est principalement agricole. Partout les drapeaux du Hezbollah et des portraits de résistants sont bien visibles. Là aussi, c’est le Qatar qui devrait financer la reconstruction, et le paiement des indemnités devrait commencer incessamment. Dans une des petites ruelles du village où le niveau important de destruction explique l’absence de passants, seul un coiffeur a repris son activité et s’emploie à couper les cheveux d’un client, dans une boutique rénovée tant bien que mal, mais toujours privée de porte d’entrée. Le client est un agriculteur de tabac : « Cette récolte et celle de l’année prochaine sont perdues, parce que nous n’osons pas nous aventurer dans les champs de peur des bombes à fragmentation non explosées. Je ne pourrai livrer qu’une infime partie de ma récolte à l’État, je n’aurais donc pas de rentrées suffisantes cette année. » Cet agriculteur a décidé de revenir vivre avec sa famille dans sa maison endommagée. « Nous n’avons plus ni portes ni fenêtres, je ne sais pas ce que nous ferons quand l’hiver sera là », précise-t-il. Il y a plus de 250 familles de Aïnata qui sont dans le même cas. Un retraité rencontré dans la rue hoche la tête dès qu’on l’interroge sur les indemnités. « Je doute qu’elles couvrent tout, mais je les attends quand même, d’où qu’elles viennent », dit-il. Sa maison et celle de son fils ont été atteintes par des éclats d’obus. Il nous montre une longue liste de commande qu’il vient de faire chez le vitrier. « Tout cela coûte très cher et prend du temps, explique-t-il. J’ai refait le toit et rénové deux des chambres. Nous sommes obligés de faire vite, il y a beaucoup de vent ici en hiver, nous sommes à 850 mètres d’altitude. » Avec les intempéries qui ne se sont pas fait attendre, et les efforts de reconstruction qui tardent à démarrer, l’hiver s’annonce rude sur plus d’un plan dans ce Liban-Sud dévasté. Suzanne BAAKLINI
Malgré un environnement à dominante agricole, l’activité dans le village – ou peut-être faudrait-il dire la ville – de Bint Jbeil est traditionnellement concentrée sur le commerce et l’industrie. Sévèrement pénalisé pour ses sympathies pour le Hezbollah durant la dernière guerre, le village a été pratiquement rasé en grande partie par l’aviation israélienne et...