Les Arméniens protestent par milliers contre l’envoi des troupes turques au Liban

«Génocide, massacre, déportation : telle est la définition turque de la paix. » Cette dénonciation, on pouvait la lire hier sur les banderoles brandies par les manifestants arméniens regroupés hier à la place des Martyrs, pour protester contre la venue des troupes turques au Liban dans le cadre de la Finul. Des responsables politiques et religieux arméniens ont également participé à ce troisième rassemblement du genre qui a regroupé plusieurs milliers de protestataires. Ces derniers ont dénoncé le déploiement des troupes turques au Liban-Sud, le qualifiant « d’insulte à la mémoire collective du peuple arménien », en brandissant des drapeaux arméniens, libanais, mais aussi français. Venue à point nommé, l’adoption par les députés français en première lecture d’une proposition de loi rendant passible de prison la négation du génocide arménien a suscité immédiatement la colère d’Ankara et la satisfaction de la diaspora arménienne aux quatre coins du globe. Ayant exprimé à plusieurs reprises son mécontentement de l’appel fait aux soldats et marins turcs pour contribuer à la mission onusienne, la communauté libanaise arménienne est revenue hier à la charge pour stigmatiser « une décision avalisée par l’État libanais ». Les députés arméniens avaient en effet espéré dissuader le gouvernement libanais d’accepter la participation d’un pays qu’ils accusent de « génocide », mais en vain. C’est toutefois le seul parti Tachnag qui a décidé de poursuivre son action jusqu’au bout, en organisant, plusieurs fois déjà, des manifestations de masse pour faire entendre la revendication arménienne. Le Tachnag n’a toutefois pas été rejoint par les autres partis arméniens, notamment le Henchag du fait de son loyalisme au gouvernement de la majorité où il est le seul à être représenté. C’est ce qui explique d’ailleurs les diatribes lancées par les militants du Tachnag à l’égard des autres partis arméniens, à qui ils reprochent « d’avoir trahi leur cause pour préserver leurs fauteuils », comme l’affirme Vasken, 41 ans, membre du Tachnag. En cherchant à ménager son alliance avec le gouvernement en place qui lui a garanti le seul siège arménien en son sein, le Henchag a « oublié la principale cause arménienne qui est précisément de ne jamais oublier » (le génocide), lance un autre protestataire. Mais les reproches des militants et sympathisants du Tachnag, qui ont été rejoints par des membres du Courant patriotique libre, ne s’arrêtent pas aux seuls partis arméniens. C’est aux Libanais qu’ils en veulent également, « pour avoir renié leur histoire, également marquée par des massacres aux mains des Turcs ». « Nous avons choisi la place des Martyrs pour rappeler aux Libanais que c’est en ce lieu que plusieurs de leurs compatriotes ont été pendus », affirme Sarhat, 19 ans, en allusion aux martyrs condamnés par Jamal Bacha en 1916. Selon lui, les Libanais « n’ont pas été fidèles à leur mémoire ». Sarhat ne comprend d’ailleurs pas comment « une mission de maintien de la paix peut rimer avec un passé chargé de carnages subis par les Arméniens, les Libanais, mais aussi par les Chypriotes », dit-il. Sylvia, 45 ans, abonde dans le même sens en se demandant « comment un État peut prétendre vouloir contribuer à l’instauration de la paix, alors qu’il ne respecte ni ne reconnaît les droits des peuples, à commencer par les droits de leurs propres citoyens ». Les premiers soldats turcs de la Finul renforcée sont arrivés mardi dernier à Beyrouth. Au total, Ankara déploiera environ 700 soldats, marins compris, dans le cadre de la nouvelle force de maintien de la paix. Je.J.