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Actualités - CHRONOLOGIE

EN LIBRAIRIE - « Conversations avec mon père, Adonis », de Ninar Esber Entretiens à bâtons (et tabous) rompus

Elle, c’est Ninar Esber, artiste plasticienne et écrivaine. Lui, c’est Adonis, grande voix du renouveau poétique arabe. Elle, née en 1971 à Beyrouth, vit et travaille à Paris. Ses œuvres (vidéo, performances, photographies) choquent, interloquent ou amusent par leur audace et leur côté exhibitionniste. Lui, éternel révolté, viscéralement lié au souffle de la langue arabe, dont il ne pourra jamais se détacher, récuse les traditions bigotes et fermées. Elle a du cran. Il a la sagesse. Elle n’a pas froid aux yeux. Il casse toutes les conventions, tous les moules sclérosés. Elle lui pose des questions piégées, il répond en toute franchise. Conversations à bâtons et tabous rompus entre deux interlocuteurs privilégiés, entre une fille et son père. Après des études à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, Ninar Esber s’est engagée dans une démarche impliquant son corps dans des performances ou des films vidéo jouant sur une certaine lenteur, aux limites de l’immobilité, où les idées d’attente, de suspens et de «teasing» se trouvent confrontées à l’architecture (murs, tours, promontoires), aux objets quotidiens (étagères, tables, chaises) ou aux mythologies contemporaines (Superhéros, Pin Up…). Ses œuvres (vidéo, performances, photographies) possèdent un côté résolument osé. Séduction, désir, chair sont des synonymes qui collent à son travail. C’est avec ce même esprit de battante que l’audacieuse jeune artiste soumet son paternel au jeu des questions-réponses. Dix entretiens, très intimes, composent les chapitres de Conversations avec mon père, Adonis, aux Éditions du Seuil. Elle l’interroge sur sa formation, sur son rapport à l’islam, à la poésie, à sa Syrie natale et au Liban où ils ont vécu jusqu’à la guerre, sur les femmes, sur le voile, sur les monothéistes, sur les terroristes. Adonis parle avec toute simplicité et franchise de la mort, la jeunesse et la vieillesse. De la religion, de l’argent et du sexe. Il explique pourquoi le monde musulman est aujourd’hui dans l’impasse. À la question : « Pourquoi n’y a-t-il pas de révolutions au vrai sens du terme ? » Il répond : « Il y a toujours eu des courants qui exigeaient la laïcité et voulaient le progrès. Dans notre histoire contemporaine, tous les partis et les intellectuels ont revendiqué ce genre de choses dans tous les pays arabes, mais ils ont perdu leur combat. Ils ont échoué, tout simplement. Leurs idées ont échoué. Parce que le tissu social général a refusé ces idées. L’influence religieuse a été la plus forte. Pour une raison essentielle, c’est que dans l’islam, la religion n’est pas seulement une question de foi, mais également une façon de vivre. La religion est le fondement du mariage, de la culture, de la famille, etc. La révolution, ça ne s’invente pas comme ça, il faut un milieu qui puisse la porter. » Voilà donc un ouvrage qui fait office à la fois de manifeste et de réflexion sur la vie. Un ouvrage qui constitue une critique globale et radicale du caractère figé et ultraconservateur de l’ensemble de la culture et de la société arabes et islamiques contemporaines. Mais cette critique n’invite pas, comme d’autres, à une imitation servile de l’Occident. Elle dénonce avec la même vigueur l’asservissement au passé et l’idolâtrie d’un avenir oublieux de ses racines. La pensée d’Adonis se nourrit de la tradition préislamique et abbasside, mais en la recréant de l’intérieur et en lui rendant la vie de la modernité. « J’ai voulu faire cet entretien avec mon père Adonis parce que j’avais besoin de le connaître et, surtout, de passer du temps avec lui, avoue Ninar dans l’avant-propos. Je voulais qu’il me raconte des choses, qu’il réponde à mes questions. Mes questions en tant que fille, sa fille, et non en tant que journaliste, intellectuelle ou écrivaine… » Elle voulait lui poser des questions bêtes, naïves, stupides ou intelligentes. Sans pratiquer aucune autocensure. La jeune fille ajoute qu’elle trouvait cela drôle d’avoir fallu passer par le subterfuge de l’entretien pour avoir un rapport père/fille. « J’ai l’impression d’avoir rencontré mon père, grâce à un hasard finalement étudié. » Et les lecteurs, eux, (re)découvrent un Adonis dont le propos limpide – loin de sa poésie « oraculeuse » et énigmatique – reste néanmoins tout aussi incendiaire et chicaneur que d’habitude. Maya GHANDOUR HERT
Elle, c’est Ninar Esber, artiste plasticienne et écrivaine. Lui, c’est Adonis, grande voix du renouveau poétique arabe. Elle, née en 1971 à Beyrouth, vit et travaille à Paris. Ses œuvres (vidéo, performances, photographies) choquent, interloquent ou amusent par leur audace et leur côté exhibitionniste. Lui, éternel révolté, viscéralement lié au souffle de la langue arabe, dont...