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Actualités - OPINION

Brevet ? Laissez-moi rire…

Je viens de passer mon brevet et j’en veux à ma famille et à mon collège de m’avoir appris que l’honnêteté est une valeur essentielle. Je leur en veux surtout de m’avoir convaincue que toute réussite est le fruit de nos efforts. Ce jeudi 29 juin, premier jour du brevet libanais, mon sens des valeurs et de la morale a été sérieusement ébranlé. C’est mon père qui m’a déposée devant l’école publique où se déroulent les examens. Il est 7 heures du matin et déjà une foule d’adolescents (dont la moitié fume) attend. À 8 heures, nous passons à la fouille puis nous cherchons nos places. Jetant des regards anxieux aux autres élèves, nous rejoignons nos salles respectives. Je m’installe au fond. À ma droite, une espèce de mastodonte aux dents pourries m’observe avec une attention soutenue, presque douloureuse. À ma gauche, une adolescente voilée m’adresse un sourire crispé. Mon voisin de droite, Toufic, me demande d’un air innocent, qui ne trompe que moi, en quelles matières je suis bonne. Puis, il me propose un marché : je le laisse copier mes réponses en une ou deux matières et lui fait de même en ce qui concerne la géographie et l’histoire arabe (ma hantise). Sans comprendre son optimisme qui me semble frôler la bêtise, j’accepte. J’ai tôt fait de comprendre. Les surveillantes, deux femmes qui ont l’air de s’ennuyer profondément, distribuent les copies de chimie. Je m’empare de la mienne, mais j’ai à peine le temps de lire la première question. Déjà, Toufic se penche maladroitement vers ma table (provoquant ainsi la chute de la totalité de mes affaires, dont ma carte d’identité) et me demande la réponse du premier exercice. Je jette un regard affolé vers les surveillantes, persuadée qu’elles vont se précipiter sur nous et nous arracher nos feuilles. Voyant qu’elles considèrent le spectacle avec un intérêt poli, proche de l’indifférence, je fais signe à mon voisin de patienter. Finalement, je trouve la fameuse réponse et la lui dicte précipitamment, puis commence à l’écrire sur ma propre feuille. Je n’en ai pas rédigé le quart que déjà Toufic se penche à nouveau, en quête cette fois-ci de la réponse du numéro deux... Ulcérée par tant de sans-gêne (le fait qu’il halète dans mon cou comme un phoque ne plaide pas non plus en sa faveur) je l’envoie promener le temps de finir les quatre premiers exercices. Puis, ne pouvant décemment plus ignorer ses supplications mi-hurlées, mi-chuchotées, je laisse pendre ma feuille vers lui. C’est suffisant pour cet expert de la triche. Il copie hâtivement mes réponses. Souvent, je lève prudemment le nez et guette les surveillantes : rien à craindre de ce côté-là. L’une fume en regardant le plafond. L’autre se contente de lancer un « chut », sans conviction, de temps à autre. Elles nous préviennent lorsque l’inspecteur arrive par des signaux désespérés. Quand ce dernier entre, elles prennent l’air sévère et attentif ; certaines, faisant preuve de zèle, font même semblant de circuler entre les tables… En réalité, quand les pionnes circulent, c’est surtout pour donner un coup de pouce aux malheureux qui ne savent même pas tricher convenablement. Dès qu’elles repèrent un élève paralysé devant sa feuille, elles lui demandent maternellement sur quelle question il « bloque ». Puis, elles interrogent les autres : « Avez-vous trouvé la réponse à telle question ? » En général, il y a toujours une personne suffisamment naïve (moi par exemple) pour répondre par l’affirmative. Du coup, je me retrouve ainsi préposée au sauvetage des élèves en détresse, au détriment de mon propre sauvetage. Les surveillantes, cependant, peuvent faire preuve d’une sévérité admirable... et arbitraire. Pas de pitié pour celui ou celle qui, d’une manière ou d’une autre, leur a déplu. Lorsqu’elles ne parviennent pas à maîtriser un chahut, elles nous menacent de nous empêcher tous de nous « entraider », et le silence se fait aussitôt. J’ouvre ici une parenthèse : sans doute pour alléger nos consciences du poids de la culpabilité, elles ne prononceront à aucun moment le mot « triche ». Elles pousseront la délicatesse jusqu’à utiliser, à la place, un euphémisme parfait : « aide » ou, à la limite, « copiage »... Je viens de passer mon brevet et j’en veux à mon collège et à ma famille : on m’a fait croire que la vie en société est basée sur la réussite, et la réussite sur le travail. Alors qu’en réalité, la réussite, la véritable réussite, n’est qu’une étrange et hypocrite affaire de fraude. N’est-ce donc pas le modèle que nous propose notre État dès l’adolescence ? Mia JAMHOURI
Je viens de passer mon brevet et j’en veux à ma famille et à mon collège de m’avoir appris que l’honnêteté est une valeur essentielle. Je leur en veux surtout de m’avoir convaincue que toute réussite est le fruit de nos efforts. Ce jeudi 29 juin, premier jour du brevet libanais, mon sens des valeurs et de la morale a été sérieusement ébranlé.
C’est mon père qui...