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Été 2006 : lettre à mes amis libanais

Il a plu tout l’été des missiles et des katiouchas dans nos têtes et nos cœurs. La foudre et le tonnerre ont frappé le Liban avec une violence et une précision jamais égalées, ravageant le sud du pays du Cèdre. Tandis que je tentais d’expliquer autour de moi la réalité et l’enjeu du conflit entre Israël et le Hezbollah, il me revenait sans cesse à l’esprit l’image de ces villages du Sud, le souvenir de l’extraordinaire innocence et de la générosité de ces villageois au grand cœur, qui depuis des décennies subissent occupations et guerres, deuils et souffrances, et qui n’ont plus que Dieu pour seul recours. Comment survivre, après tant de vagues d’horreur successives, sans devenir totalement fou, à moins que la foi religieuse ne vienne justifier le supplice ! Mon cœur a saigné avec le Liban et tous les Libanais jetés sur les routes, avec ceux qui ont souffert dans leur chair, hurlé de douleur devant le corps d’un enfant martyrisé, tous ceux qui ont invoqué le ciel devant tant d’atrocités. Je pensais à tous mes amis cantonnés dans leur maison à Beyrouth ou ses environs, impuissants à agir, à secourir, faute de pouvoir gagner le Sud ou l’Est par les routes défoncées, et qui enrageaient, réduits comme ils l’étaient à tendre l’oreille et à compter les explosions de missiles s’abattant sur la banlieue, à quelques kilomètres ou à quelques centaines de mètres seulement, et à bien d’autres encore à tous les points cardinaux. Toute cette colère rentrée, cette haine qui nous étreint, comme à chaque fois que le Liban est pris pour cible, ou qu’un attentat fait taire à jamais l’un de nos amis, et que l’on est loin, à l’abri du désastre, mais le cœur déchiré, sans autres repères que les commentaires de nos confrères sur place, sans autre vision que l’angle forcément étriqué de reportages montés à la hâte pour une édition télévisée du soir, qui doit être politiquement correcte, donc différente selon la latitude du pays destinataire. Comment est-il possible qu’en un mois, le Liban ait subi de tels ravages ? Et qu’avec une régularité de métronome, la puissance de feu israélienne ait atteint un tel nombre d’objectifs ? L’opération était planifiée, elle l’était bien avant la capture des deux soldats israéliens et la mort des cinq autres qui servirent d’« étincelle, de celles qui mettent le feu aux poudres ». Comme à chaque fois, à chaque guerre, l’alibi inéluctable. Qui avait intérêt à allumer ce brasier, du Hezbollah ou d’Israël, de l’Iran ou des États-Unis, sans compter la Syrie ? Tous en réalité, persuadés qu’ils sont de lutter pour leur survie ou leur hégémonie dans le cadre de cette guerre des civilisations, dont les uns et les autres nous rebattent les oreilles, et qui ne sert que leurs intérêts militaires et stratégiques particuliers. Mais rien, aucun droit à l’autodéfense, ne peut justifier la démesure qui a guidé l’armée israélienne dans ses frappes sur la totalité du Liban, ramené des années en arrière par les destructions subies, à l’exemple de l’Irak (toutes proportions gardées) au lendemain des bombardements américains. La violence des mots, elle aussi, nous accable. Les slogans simplistes, toujours brandis et répétés à longueur de temps, font du Hezbollah les seuls et éternels « terroristes », comme l’OLP en son temps, comme le Hamas aujourd’hui. Mais les slogans sont là pour marquer les esprits ou les rassurer, tromper les hommes, mobiliser les peuples. Et chacun est prêt à s’emparer du premier slogan venu pour expliquer une situation ou un enjeu trop complexes, qui le dépassent ou qui défient l’entendement commun. Le monde avait pourtant pu constater, avec la guerre de 2003 contre l’Irak, la force de la propagande de guerre. Comment reprendre pied après un été si meurtrier et délétère ? Il faut s’accrocher à chaque parole d’espoir, chaque signe d’espérance, d’où qu’ils viennent. Partout des voix se sont élevées et s’élèvent, de plus en plus nombreuses et fortes, pour dire qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit israélo-arabe. Sans compter que les Européens, derrière la France, ont resserré les rangs autour de la « cause libanaise ». Le Liban renaîtra, comme toujours plus fort et plus grand après l’épreuve. En écrivant ces mots, j’écoute de toute mon âme le Concerto al-Andalus de Marcel Khalifé, qui réconcilie la force et la douceur, la tradition et la modernité, l’Orient et l’Occident, et je puise dans cette ardente symphonie la conviction que le Liban saura se relever avec foi et courage, relever cet ultime défi, « pourvu que la Finul lui prête vie ». Joëlle HAZARD
Il a plu tout l’été des missiles et des katiouchas dans nos têtes et nos cœurs. La foudre et le tonnerre ont frappé le Liban avec une violence et une précision jamais égalées, ravageant le sud du pays du Cèdre.
Tandis que je tentais d’expliquer autour de moi la réalité et l’enjeu du conflit entre Israël et le Hezbollah, il me revenait sans cesse à l’esprit...