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Actualités - REPORTAGE

Reportage - Privés de maisons, les habitants se plaignent du manque d’intérêt de l’État De sous les décombres, Bint Jbeil affiche son allégeance à Nasrallah

Bint Jbeil la fière, qui pendant des jours et des nuits a occupé l’actualité militaire au cours des combats féroces entre les combattants du Hezbollah et les soldats israéliens, n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir. La bourgade de près de 30 000 âmes est totalement détruite et la grande majorité de ses habitants l’a désertée faute de toit pour s’abriter. Il faut d’ailleurs faire un effort devant les amoncellements de pierres et de gravats pour tenter de se rappeler ce qu’était Bint Jbeil, il y a deux mois à peine. Coïncidence étrange, le monument de la place principale, construit après le retrait des troupes israéliennes en 2000, et la husseyniyé de la bourgade sont encore debout. Tout le reste n’est que ruines. Mais des ruines hantées d’histoires de courage et de bravoure. Déterminés à effacer au plus vite les traces de la guerre, les habitants viennent dans la journée pour entamer des réparations d’urgence et rentrent dormir chez des proches ou des connaissances dans les villages voisins. Ils se retrouvent entre eux au milieu des rues détruites pour tenter de faire le point et pour raconter aux rares visiteurs l’extraordinaire expérience vécue. Car les habitants de Bint Jbeil sont fiers d’annoncer que les soldats israéliens n’ont pas pu occuper leur localité. Hussein raconte ainsi qu’il avait une échoppe dans le souk, mais aujourd’hui, il n’en reste plus rien. « Ce n’est pas grave, s’empresse-t-il d’ajouter. Les biens matériels peuvent être récupérés, mais la dignité est un trésor bien plus précieux. » Hussein affirme que près de 450 familles sont restées à Bint Jbeil pendant la durée des combats. Cachées dans des sous-sols ou des maisons plus ou moins abritées, elles n’avaient nulle part ailleurs où aller, même si elles étaient assourdies et terrifiées par la dureté et l’âpreté des combats. « Ici, les combats ont commencé le 13 juillet et ils se sont poursuivis jusqu’au 10 août », relate à son tour Fatmé, une vieille dame édentée à la voix à peine audible. « Nous ne savions rien, poursuit la hajjé. Pendant plus de deux semaines, nous n’avons même pas osé sortir au grand air, terrés dans notre sous-sol, qui est en fait le dépôt d’un magasin. Nous étions quatre, ma sœur, son mari et une voisine, tous âgés et pauvres. Mais je ne sais par quel miracle, nous ne manquions pas de pain, mon beau-frère se le procurant auprès des “chababs”. » Les « chababs » du village Pour les habitants de Bint Jbeil, les « chababs » (les combattants du Hezbollah) sont de véritables héros. Tous en parlent, mais nul ne peut les identifier. «Ils apparaissent dès qu’on a besoin d’eux et ne demandent jamais rien en contrepartie. Ils sont discrets et courageux et semblent surgir de nulle part, explique Fatmé. Un jour, j’avais pris quelques affaires de ma maison avant qu’elle ne soit à terre et je voulais les transporter vers le dépôt. Mais les sacs étaient lourds et je traîne la jambe. Soudain, un jeune homme est venu m’aider. Il a porté les sacs et arrivé à destination, il est reparti sans un mot. Je ne l’ai plus revu. Pourtant, j’aurais voulu pouvoir le remercier. » Ali, lui, est fier de rapporter les hauts faits des combattants. « Ils ont laissé les Israéliens s’approcher du village, en leur faisant croire qu’ils pouvaient en avoir le contrôle. Mais lorsque ceux-ci ont commencé à avancer dans les rues menant à la place, ils ont surgi des égouts et ont multiplié les pièges, prenant les soldats à revers. Derrière chaque arbre, chaque rocher il y avait des combattants cachés qui tiraient sur l’ennemi. Les combats étaient très proches et finissaient toujours par la fuite des soldats israéliens. Nous avons entendu leurs cris d’effroi pendant plusieurs nuits. Et pour se venger, ils ont commencé à lancer des bombes à fragmentation sur la bourgade. » Au milieu du souk, un éclat tombé d’une de ces bombes est gardé en guise de souvenir. Tous les visiteurs doivent passer à côté et faire attention à ne pas le heurter. C’est une façon pour les habitants de ne pas oublier ce qui s’est passé ici, pendant plus de trois longues semaines. « Vous savez, explique Hussein, pendant des années, Bint Jbeil est restée inaccessible pour nous, en raison de l’occupation israélienne. Nous y sommes revenus en mai 2000 et la bourgade a alors connu un essor incroyable. Le sayyed (Hassan Nasrallah) l’avait d’ailleurs choisie pour y prononcer son premier discours après la libération. Bint Jbeil lui voue une admiration sans limites. C’est peut-être pour cela que la localité n’a reçu aucune aide, aucun médicament de l’État libanais. » À Bint Jbeil, dès qu’on évoque le gouvernement ou le Haut Comité de secours, les habitants présents multiplient les invectives. Ils sont convaincus qu’on cherche à les punir en raison de leur allégeance sans faille au Hezbollah, car la localité est connue pour être un des réservoirs humains de cette formation. Elle a d’ailleurs eu quinze morts au cours des derniers événements, dont des combattants. « Même maintenant, après l’arrêt des combats, aucun responsable du gouvernement ou du Haut Comité de secours n’est venu sur place pour évaluer les dégâts ou s’enquérir de nos besoins, poursuit Hussein. Ils nous ignorent totalement comme si nous étions des pestiférés. Ils critiquent le Hezbollah, mais lui, au moins, s’occupe de nous. » L’aide du Qatar Déjà les équipes du Hezbollah ont entamé un recensement des dégâts, évalué les maisons réparables et celles qui sont totalement à reconstruire. Certains volontaires ont même acheté des câbles électriques pour tenter de rétablir le courant dans la localité. En dépit de ses destructions, Bint Jbeil revient à la vie par la volonté et la détermination de ses habitants et du Hezbollah. Mais aussi grâce à l’aide du Qatar. En effet, l’émir de cet État a promis de reconstruire la localité ainsi que le village voisin de Aïnata. « Une délégation est même venue sur place au lendemain de la cessation des hostilités pour faire une première estimation du coût de la reconstruction, affirme Ali. C’est le seul pays arabe qui a eu un élan de solidarité avec nous. Qu’il en soit remercié. Mais de toute façon, depuis longtemps, nous avons appris à ne compter que sur nous-mêmes. Toutefois, lorsqu’une partie cherche à nous aider, nous ne pouvons que lui en être reconnaissants. » Privés de maisons et de travail, les habitants de Bint Jbeil ne se laissent pas aller au désespoir. Des terribles dernières semaines, ils ne se souviennent que des moments héroïques. Et l’esprit rempli de la bravoure des combattants, ils se tournent déjà vers l’avenir, un avenir qu’ils ne conçoivent pas sans le Hezbollah. Doucement, Bint Jbeil revient à la vie... Scarlett HADDAD
Bint Jbeil la fière, qui pendant des jours et des nuits a occupé l’actualité militaire au cours des combats féroces entre les combattants du Hezbollah et les soldats israéliens, n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir. La bourgade de près de 30 000 âmes est totalement détruite et la grande majorité de ses habitants l’a désertée faute de toit pour s’abriter.
Il faut...