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Actualités - OPINION

Téléphone cassé

«Nous ne sommes plus dans l’équilibre de la terreur, nous sommes dans la terreur », affirmait l’autre soir un expert militaire à la télévision. De fait, maintenant qu’Israël et le Hezbollah sont passés aux actes, il n’est plus question d’équilibre, mais de puissance. Et cette puissance, c’est la population civile qui en ressent, dans sa chair, les plus terribles effets. Car les civils sont, de toute évidence, l’une des cibles privilégiées de cette guerre. C’est son volet psychologique. C’est à quelle population craquera en premier et demandera que la terreur cesse. Un nouveau degré dans la guerre psychologique, ou faut-il dire dans la terreur, a été franchi hier, avec les tracts demandant aux habitants de Bourj Brajneh, Hay el-Sellom et Chiyah d’abandonner leurs foyers. Des foyers condamnés à servir de cibles aux bombardements israéliens, si les tirs de fusées et de roquettes sur le nord d’Israël, par le Hezbollah, se poursuivent. Le « si », bien entendu, est de pure forme. Comme on sait, le Hezbollah a pris les devants, mercredi, en demandant à la population arabe de Haïfa d’évacuer la ville. Consciente que l’escalade est à l’ordre du jour, la population civile a réagi hier en conséquence et a déserté ses foyers. Le spectacle en était déchirant. En y réfléchissant, il y a une chose hautement anormale dans cette situation. C’est la dichotomie apparemment totale qui existe entre l’autorité militaire, incarnée par le Hezbollah, et l’autorité politique, incarnée par le gouvernement. Alors que la concertation est quotidienne, permanente, entre ces deux instances en Israël, au Liban on a mis en place une sorte de « téléphone cassé » formé d’une chaîne d’intermédiaires entre le Premier ministre et le secrétaire général du Hezbollah, qui mène le combat dans la clandestinité. Deux logiques s’expriment, en parallèle, sur le plan national, chacune s’accommodant des données de l’autre. Ainsi, le Hezbollah a été forcé de souscrire à la décision d’envoi de l’armée au Liban-Sud, et le gouvernement doit s’accommoder, par exemple, de la décision du Hezbollah de continuer à bombarder Haïfa. Entre eux, aucune concertation n’a eu lieu, qu’on le sache. Pourtant ce ne sont pas les sujets qui manquent, à commencer par celui de l’échange des prisonniers. Que se passe-t-il donc entre le Premier ministre et le secrétaire général du Hezbollah ? La rivalité entre les deux centres de décision, qui s’exprimait en temps de paix sous la forme d’un malaise confinant à l’impasse, pourrait-elle se transformer en un conflit ouvert ? Après tout, n’était l’unité de façade, nous y serions presque, puisque notre quotidien, depuis quatre semaines, est une conséquence directe du choix militaire du Hezbollah, un choix qui, en dernière analyse, est politique. S’il est difficile de répondre par l’affirmative à cette question, on comprend au moins pourquoi le pays est divisé sur cette guerre, pourquoi l’union sacrée, réelle, profonde est si difficile à réaliser. C’est que le pays était déjà divisé, avant l’ouverture des hostilités. L’impossible avait été fait pour convaincre le Hezbollah non pas de désarmer, mais d’intégrer ses capacités militaires dans une structure étatique qui lui aurait fourni une protection adéquate et une légitimité. Ne l’ayant pas fait avant la guerre, le fera-t-il après ? Cette question aussi est condamnée à rester sans réponse. Et c’est l’une des raisons majeures d’une certaine faiblesse du front interne. Qu’on le veuille ou pas, il y a, pour le Liban, un enjeu interne à cette guerre qui continuera de soulever des points d’interrogation. À moins d’une conversion de sayyed Hassan Nasrallah à la vision de Mohammad Mehdi Chamseddine, d’une mutation qui le conduirait à faire prévaloir la logique étatique sur ses options idéologiques et religieuses. Hors de cette logique, c’est le pays tout entier qui continuera d’aller, et lui avec, à l’aventure. Fady NOUN
«Nous ne sommes plus dans l’équilibre de la terreur, nous sommes dans la terreur », affirmait l’autre soir un expert militaire à la télévision. De fait, maintenant qu’Israël et le Hezbollah sont passés aux actes, il n’est plus question d’équilibre, mais de puissance. Et cette puissance, c’est la population civile qui en ressent, dans sa chair, les plus terribles...