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Actualités - OPINION

Beyrouth, sans retour

Vendredi, anniversaire de la Fête nationale française. Et escalade de la guerre au Proche-Orient. Lorsque résonne en moi l’écho de ce terrible sentiment, je ne peux que constater la faiblesse de l’âme humaine. En scrutant les informations sur ce qui se passe au Proche-Orient, je demeure muet. Impossible pour moi de dire ou d’exprimer quelque opinion. Certes, le contexte géopolitique de ce pays n’est pas facile à comprendre. Pourtant, je pourrais en parler. Il part de la loi du talion, de la fierté nationale et religieuse (ce qui, selon moi, revient au même). Il s’inscrit dans les chairs. En silence, j’ai arpenté les reliefs libanais, ses plaines et ses vallées. Dans la Békaa, il me semblait si étrange de voir se côtoyer blindés et bergers. Je ne m’habituais guère à cette plaine aux terres arables sur lesquelles fleurissent encore agression et violence, intégrisme et désespoir. Mais, je ne pouvais juger de la situation. De par ma nature, j’absorbais sans mot dire jusqu’à ce que l’interstice par lequel je pouvais me faufiler afin de « ressentir » la tragédie proche-orientale s’offre à moi. Je n’avais plus qu’à écouter. Nabil s’ouvrait à un pur étranger. Le risque était quasi, pour lui venant de moi, inexistant. De part et d’autre, le dialogue de la distance a pris le pas sur la proximité du corps. Les militaires, au nom d’une unité nationale, au nom d’un peuple, s’arrogent le droit au meurtre. Des pertes regrettables, disent-ils. Je n’arrive pas à imaginer leurs réactions si les pertes regrettables dont ils parlent s’avéraient être parmi leurs proches. Et il est compréhensible, pour un homme (une femme également aujourd’hui) qui naît, grandit et vit dans la guerre, l’armement et la violence, de se constituer à même sa psyché une armure contre ce que les soldats appellent de la mièvrerie. Il n’est pas question de cueillir une fleur, ou de s’émerveiller sur la beauté du monde lorsqu’un missile sol-air frappe votre immeuble. Car Beyrouth n’avait pas été assez mutilée. Il fallait en remettre. Comme Haïfa d’ailleurs. Ni pour ni contre, mais surtout pas indifférent. J’étais à Saïda, l’été dernier. En voyant les ponts détruits, les voitures calcinées, les gens massacrés, je réalise que ce que, dans le sud du Liban, j’avais vu – des factions du Hezbollah, des blindés, des défenses antiaériennes, tout ça côtoyant allègrement les plages et les filles en maillots de bain, les garçons sur les scooters des mers – n’avait rien à voir avec quelque fiction hollywoodienne. Je visitais le musée bien vivant – je le précise – de la guerre. Je demeurais coi, sentant en moi le conflit qui n’était pas intérieur cette fois. On parle souvent de pertes civiles. C’est « regrettable ». Mais cela n’importe pas aux militaires, et par l’entremise de leurs supposés mentors, les « dirigeants nationaux », ils déchirent la chair à l’aide de leurs canons (Louis-Ferdinand Céline). Quand le mot meurtre, dans une déclaration, se synchronise à lui-même, l’humanité s’effondre : « Israël a le droit de se défendre». Ainsi, au nom d’un droit à la vie, des meurtriers s’entre-tuent et entraînent avec eux dans la mort d’innocentes victimes. Car l’humanité est là, toujours là, menacée. J’ai des amis au Liban. Des gens à qui aujourd’hui je pense très fort. Je ne prie pas pour eux. Mais je fais acte de mon silence. Je suis solidaire de l’espoir, malgré tout. Mais surtout – et c’est là que compte mon silence –, il me rappelle un ami qui je l’espère va bien (il est dans mon cœur). Et je pense à ceux de Beyrouth, de Jbeil, de Saïda, de Baalbeck, de Tripoli. À ceux du Metn qui nous ont accueillis, ma fille Katherine et moi. Je pense à Noura, à la belle Noura qui a dix-huit ans et qui attend que la vie l’aime. À Élias, à Micheline. À Romain, à Olivier, à Armelle, à la merveilleuse Armelle. Je regarde le ciel de Montréal, vide de missiles. Les gratte-ciel sans trous d’obus. La lascivité des gens, par ce trente-trois degrés de canicule et de smog. Et je réfléchis à la seule chose à faire, en ces situations tragiques. Se souvenir. Coûte que coûte, vaille que vaille, se souvenir de ne jamais participer à tout cela. Se souvenir de se détourner et de ne jamais cautionner ce que le langage porte, toute violence qu’il faille en soi taire, enterrer au plus profond de soi-même, afin de laisser vivre l’autre. Se souvenir en silence que tout passe par le regard. Occuper sa pensée en réagissant lorsque le moment se présente. Quand cesserons-nous d’être insensés, au nom d’un Dieu qui a depuis longtemps quitté le cœur de l’homme ? À tous mes amis du Liban, je dis, je pense à vous. Aux Libanais, je dis, nous sommes là, ne l’oubliez pas. André MELOCHE Montréal, Canada
Vendredi, anniversaire de la Fête nationale française. Et escalade de la guerre au Proche-Orient. Lorsque résonne en moi l’écho de ce terrible sentiment, je ne peux que constater la faiblesse de l’âme humaine. En scrutant les informations sur ce qui se passe au Proche-Orient, je demeure muet. Impossible pour moi de dire ou d’exprimer quelque opinion. Certes, le contexte...