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Comment en est-on arrivé là ?

Pauvres personnes de mon entourage à qui je repose sans cesse la même question depuis quelques jours (du moins à ceux qui ont quelques notions de ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient et en particulier au Liban) : comment en est-on arrivé là ? La réponse de certains est simple : provocation du Hezbollah, riposte israélienne, etc. Mais la question n’appelle pas de telles réponses. Elle s’en réfère davantage aux causes profondes de tous ces événements et est avant tout un cri de désespoir, un appel au secours : dites-moi donc où est mon Liban ? Le Liban. Le Liban. Lebnan ! Ce pays où je passe toutes mes vacances depuis mes tous premiers mois. Ce pays maternel qui m’a accueillie, alors que je n’avais plus d’asile et que je ne me sentais nulle part chez moi (avec un père diplomate, c’est difficile), cette terre qui m’a bercée, calmée, réconfortée quand j’étais révoltée et triste. Cette terre pour laquelle j’ai combattu, à ma façon, en participant aux manifestations de 2005, mes premiers élans patriotiques. Ma première patrie. Ma première cause. Voilà pourquoi aujourd’hui je ne peux que me demander ce qu’il adviendra de mon pays. Et cette peur qui me hante de perdre mon seul refuge, le seul endroit au monde où je pouvais me sentir chez moi, partager l’air frais de la montagne aux côtés de mes cèdres, danser après un long et copieux déjeuner familial à Zahlé, passer des heures à observer Beyrouth depuis les hauteurs de Fanar. Et puis ce Liban plus moderne, le centre-ville reconstruit, les sorties nocturnes, la vie à cent à l’heure, les premiers espoirs amoureux et aussi les premières désillusions. Comment en est-on arrivé là ? Faut-il blâmer les Israéliens, alors qu’ils sont en train d’accomplir le sale boulot que personne n’a eu le courage de faire ? Avons-nous eu tort de mener des pourparlers avec le Hezbollah et de lui ouvrir les portes de la légalité ? N’est-ce pas la conséquence de principes démocratiques auxquels on a voulu croire, malgré les années de guerre, malgré les assassinats ? Mais qu’en est-il de ces principes mêmes ? Ne sont-ils pas la dernière arme, le dernier recours d’une Europe qui, à défaut de faire la guerre, se contente de dénoncer ? Mais surtout où sont les Libanais ? Première diaspora du monde, 12 millions de Libanais à l’étranger, soit trois fois notre population sur notre sol, faut-il en vouloir à ceux qui sont partis ? Sans leur départ, les choses auraient-elles vraiment été différentes ? Pour ma part, je crois que oui. Venant chaque été et presque chaque hiver au Liban, je ne pouvais comprendre tous ces départs : « Maman, pourquoi tel cousin, tel oncle, telle famille, est en train de partir ? » Ce pays où je m’amusais tant, où je gardais, et garde toujours, mes meilleurs souvenirs. Ce pays superbe, pourquoi le quittait-on ? Jusqu’à ce que je grandisse et que je découvre que les obligations professionnelles, dues à la crise économique et aux très minces débouchés, en étaient la cause. Et depuis je vais d’interrogations en interrogations : Pourquoi n’y a-t-il pas de débouchés ? Pourquoi les jeunes ne trouvent pas d’emplois, alors que beaucoup de secteurs de l’économie restent à exploiter ? Pourquoi ? Mais ce qui me fait le plus mal, c’est que j’ai de plus en plus l’impression de m’attacher à une image du Liban qui ne semble être finalement, justement, qu’une image. Je crois profondément que notre rapport aux choses dépend essentiellement de notre expérience. Plus précisément, les choses du monde ne sont pour nous valables qu’à nos propres yeux, car étant la conséquence directe de la façon dont on les voit, forgée par notre expérience de la vie. Donc lorsque je parle d’« image » du Liban, je parle d’image collective. En d’autres termes, le Liban d’aujourd’hui semble être le dernier soupir d’un espoir collectif qui se meurt, le dernier épisode d’un rêve commun qui n’en restera qu’au stade de rêve. Qu’est-ce qui a contribué à tuer ce rêve commun ? Sûrement les départs massifs de Libanais, l’ingérence syrienne et les assassinats de gens qui étaient notre dernier espoir. Comme les premières désillusions de la vie lorsque l’on se rend compte que l’on n’est pas une princesse qui sera sauvée par un prince et qui vivra toujours heureuse dans un monde parfait, ce que je redoute le plus c’est qu’on m’enlève mon Liban, mon seul rêve, et qu’on me dise : « Mais de quoi parles-tu donc ? Le Liban dont tu parles n’a jamais existé. » Ce serait effectivement ma plus grande déception, celle qui vous laisse sans voix et qui souligne que tout ce en quoi vous avez cru n’a jamais été et ne sera jamais. Car le problème du Hezbollah sera-t-il jamais réglé ? Il faudrait pour cela, comme le rappellent si bien nos chroniqueurs, que l’appartenance à l’identité libanaise prime avant toute chose. Mais d’autres puissances sont en jeu, l’Iran, la Syrie. Comment anéantir aussi ces deux pays ? Voisins à vie. Alors qu’espérer ? Qu’attendre de l’ONU ? Qu’attendre de notre armée ? Qu’attendre du Hezbollah ? Personne ne le sait. Mais en attendant, ô Liban, sache que quelque part des gens comme moi, par millions, te soutiennent, t’aiment, et malgré les destructions et les déceptions seront toujours prêts à croire encore et à retrousser les manches pour panser tes plaies et te faire briller de mille feux, tel que tu l’es dans notre souvenir. Car, même si l’on se rend compte que ce qui perdure dans notre esprit n’est qu’une utopie, je suis prête, nous sommes prêts, à croire encore, car sans cela l’homme n’est rien. Irène BEUCLER Franco-Libanaise, étudiante à Paris
Pauvres personnes de mon entourage à qui je repose sans cesse la même question depuis quelques jours (du moins à ceux qui ont quelques notions de ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient et en particulier au Liban) : comment en est-on arrivé là ?
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