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À ma sœur libanaise, à nos barques bariolées ...

Enfant, ta barque bariolée branle les vagues blanches. Ma main soulevant le vent je t’amarre à bon port. Fendant la brume, lame, tu t’en vas, intrépide, ouvrir la mer, violer les profondeurs. Cri, douleur, rire et folie. La marée me chante un refrain bien-aimé, le sifflement des bombes à mon oreille chuchote. Quel est-il ce bruit à mon tympan familier ? Où tu es mon garçon ? À l’abri de la haine des autres ? Loin de toutes ces horreurs, de ces cruautés ? Mère, ma mère qui au bout de l’hiver ouvre les portes de la demeure, sous le soleil de plomb, avachie devant ton feu de bois qui brûle la fraise, remanie-toi. Le feu que tu couves réchauffe la contrée, l’excite et l’enflamme. Mère, qui de tes entrailles sortent les indomptés, prie que le lendemain te les retourne saufs. L’heure agonisante tique. Ta progéniture aujourd’hui, et d’un seul coup du destin, a peur, soif, mal. Que ne ferais-tu pas pour la réconforter ? Sirène de ma mer du Sud, rame, sue. Que ton front d’acide arrosé se meut fier, sous un tissu amer, résignée mais rebelle. Articule ces mots dans ton gosier serré, murmure cette amertume dans ton sein condensée. Dis-moi ce que je n’entends pas, chuchote ton mal-être, dis-moi ton désarroi. Ma voisine, nos enfants se meurent à des mètres d’écart. Ton jardin si longtemps vert de solitude, ouvert à la mort, à la monotonie. Ton tablier usé de farine en a marre. Tu te barres, te barricades. Mère, défends-toi. Reste. Ton enfant a besoin de ton miel, de sa becquée du matin, de la prière du soir. Le sang chaud brûle la terre de mon enfance, s’y engouffre, le nourrit, la haine et les larmes aussi. Le char vert hante tes nuits, l’avion gris les miennes. Il obstrue la vue de ma mer, iode qui gonfle mon poumon, circule dans mon artère et nourrit ma cellule. Rends-moi le bleu de mon coin de ciel, rend-moi mon horizon d’azur. Je te prendrai ton sable blanc, tes prairies verdoyantes, et te donnerai mon étable, ma paille, et mon vin je t’en fais offrande, en voudrais-tu ? Le vin de la fraternité, le vin de notre vigne que nos mains entrelacées cueilleront. Échangerais-tu le trésor que ton voile cache ? Ton cœur, tes croyances, tes coutumes, les échangerais-tu contre mon amitié ? Éclairons nos chemins au feu de l’amour, chassons le doute, le délire. Viens dans mon champ semer le blond. Tends ta main que je la prenne et la serre. Que de villages méconnus. Que de terres stériles. Que d’infortunes. Nous voilà à cet instant à la guerre confrontés. En voulais-tu vraiment ? À l’heure où je tape, tu devrais cuisiner. Que prépares-tu aux enfants pour le déjeuner ? Bizarre est mon discours, nos jours et nos vies. Qui aurait cru que je puisse te parler en cette nuit ? Musulmane, chrétienne, du Sud, de la montagne, des villes et des bourgs nous sommes, malheureuses femmes, apeurées, flétries, et à peine en vie. Je suis fière de ma terre, fidèle, amoureuse. Viens, rompons les barricades, aimons la fleur de notre champ qui s’étend et s’étend, et s’étend, au monde, à l’infini.... Sue CAMBAR
Enfant, ta barque bariolée branle les vagues blanches. Ma main soulevant le vent je t’amarre à bon port. Fendant la brume, lame, tu t’en vas, intrépide, ouvrir la mer, violer les profondeurs. Cri, douleur, rire et folie. La marée me chante un refrain bien-aimé, le sifflement des bombes à mon oreille chuchote. Quel est-il ce bruit à mon tympan familier ?
Où tu es mon garçon ? À...