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SOCIÉTÉ - Une musique traditionnelle aux vertus spirituelles Le « zar », des racines populaires aux cercles branchés du Caire

Étudiantes à la mode, jeunes intellectuels et touristes en quête d’exotisme se pressent autour d’Oum Sameh, dont le chant envoûte le public de l’une des dernières troupes égyptiennes de « zar », musique traditionnelle aux vertus spirituelles. L’Égyptienne aux yeux soulignés de khôl noir invoque pêle-mêle le prophète Mohammad et ses descendants, le prophète Issa (Jésus dans le Coran) et les djinns, au son du tamboura, un instrument à cordes répandu en Afrique, et du mangour, une ceinture en bois piquée de sabots de chèvres et accrochée autour de la taille d’un homme. À l’origine, ce rituel était destiné à neutraliser les djinns lors d’une cérémonie où l’extraordinaire s’invitait dans l’ordinaire des sociétés rurales. « Vous pouvez imaginer qu’un tel mélange ne peut que faire grincer des dents les puritains de l’islam », note Ahmad al-Maghrabi, directeur du centre culturel Makan où la troupe de zar Mazaher (pluriel de mazhar, nom arabe d’un instrument à percussion) se produit actuellement. Interdit religieux et désintérêt d’une société urbanisée obligent, les artistes du zar ne sont plus que 25 à perpétuer la tradition depuis 5 ans à Makan, où les quelque 200 chants répertoriés sont précieusement archivés. « Après nous, il n’y aura plus de zar. La nouvelle génération ne l’aime pas. Mes propres enfants refusent de l’apprendre », note Oum Sameh, 56 ans. Comme elle, Raafat Moustapha, 45 ans, a appris le zar de ses parents alors qu’il n’était qu’un enfant. Depuis 25 ans, il fait vibrer les cordes de sa tamboura dans les soirées. « À l’époque de mon père, nous travaillions tous les soirs. C’est fini », déplore le musicien, moustache bien taillée et « galabiya » blanche immaculée. Il arrive encore à la troupe d’être sollicitée pour des soirées privées par des personnes qui se croient vraiment habitées par des esprits malveillants. Pendant ces rencontres, le zar traditionnel, au cours duquel un animal, souvent une volaille, est sacrifié et où les participants entrent en transe, est pratiqué. Mais à Makan, une version édulcorée de cet art musical est proposée aux nombreux touristes. « Nous ne tuons pas d’animaux et nous évitons les chants qui peuvent froisser les sensibilités », explique M. Maghrabi, en citant l’exemple du « chant du couvent » qui parle d’hommes ivres dans un monastère où l’alcool coule à flot. « Une fois, un spectateur l’a demandé à mon insu et une copte présente dans le public s’était indignée. Nous préférons éviter ce genre de situation et nous cantonner à l’art », poursuit-il. Mais s’il arrive encore que quelques rares initiés demandent des chants précis, la majorité des spectateurs viennent pour la musique et l’ambiance décontractée. « Les étrangers aiment le zar, même s’ils ne comprennent pas les paroles », assure Oum Sameh, entourée de 3 jeunes Italiennes qui se balancent au rythme des tambours. Assises sur des tabourets bas dans la lumière tamisée, des Égyptiennes, jeans griffés et look branché, applaudissent, alors qu’un jeune spectateur entre dans le cercle des musiciens pour une communion des sens. Dans le public, des Français battent le rythme de leurs pieds. « Les jeunes et les intellectuels découvrent un monde qu’ils croyaient primitif et dévalorisé, alors que les étrangers trouvent ça exotique », note la sociologue Malak Rouchdi. « Cet engouement va permettre à la troupe de faire une petite tournée en Italie et en Allemagne à l’automne », explique M. Maghrabi. Mais il admet que ces représentations « peu rentables » ne sont pas un gagne-pain pour les artistes. Le directeur du Conservatoire du Caire, Rajeh Daoud, affirme que le seul moyen de sauvegarder cette musique serait une aide de l’État. « Il doit considérer le zar comme un héritage culturel et non pas religieux, ce que personne ne contestera », dit-il.

Étudiantes à la mode, jeunes intellectuels et touristes en quête d’exotisme se pressent autour d’Oum Sameh, dont le chant envoûte le public de l’une des dernières troupes égyptiennes de « zar », musique traditionnelle aux vertus spirituelles.
L’Égyptienne aux yeux soulignés de khôl noir invoque pêle-mêle le prophète Mohammad et ses descendants, le prophète...