Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

ÉCLAIRAGE - Kornet Chehwane n’a aucune intention de renaître La polémique lancée par Frangié ouvre enfin le débat sur le document du synode maronite

Il y a peut-être du bon dans la polémique stérile initiée par le chef du Courant des Marada, Sleimane Frangié, au lendemain de ses attaques pour le moins hâbleuses contre Mgr Youssef Béchara et Kornet Chehwane, qui ont maladroitement provoqué Bkerké. L’intérêt des critiques de l’ancien ministre de l’Intérieur n’est certainement pas dans le fait d’avoir attaqué une instance religieuse qui s’occupe de politique, ce qui est, du reste, de son droit. On ne peut pas défendre Bassmet Watan lorsqu’ils se moquent d’un sayyed converti en zaïm politique parce qu’il fait de la politique et monter sur ses grands chevaux parce que l’ex-député de Zghorta a décidé de s’en prendre à l’ancien parrain spirituel de Kornet Chehwane. À partir du moment où un dignitaire religieux, quel qu’il soit, plonge dans les méandres de la politique, il doit accepter la règle du jeu, d’autant qu’elle n’est pas, ici comme ailleurs, l’espace de prédilection de l’éthique et du respect de l’autre... Critiquer est un droit qu’il appartient bien à tout le monde de pratiquer, mais à ses risques et périls, car s’il est un art pour les habiles rhéteurs, il est en revanche d’un goût douteux lorsqu’il est utilisé d’une manière qui ne brille ni par le verbe ni par l’esprit. S’il faut en effet reconnaître un mérite quelconque au chef de la « constante » nordiste vert-pistache, c’est d’avoir contribué à initier un embryon de débat en milieu chrétien sur un texte qui semblait voué à passer quasiment inaperçu, surtout sur la scène chrétienne. Le texte en question, c’est le document politique issu du synode maronite, qui n’a jusqu’à présent pas suscité l’enthousiasme qu’il mérite, notamment au sein de la communauté chrétienne. Mais où donc réside l’originalité de ce document, que l’on peut à juste titre considérer comme l’un des premiers textes fondateurs du Liban de l’après-guerre ? Probablement dans le fait qu’il envisage l’avenir du pays dans un contexte dépassionné, en essayant de faire ressortir l’aspect humaniste de la vocation du pays du Cèdre concernant la promotion du vouloir-vivre en commun dans le respect des spécificités et des particularités de l’autre, et des principes de liberté et de dignité humaine. « Les défis majeurs auxquels sont confrontés les maronites, et qui sont liés au politique, restent d’abord le retour à l’identité de l’Église maronite, fondée sur la liberté, la diffusion de l’esprit consensuel, et le recours au dialogue, au contact permanent, à l’ouverture et à l’amour (...) », indique le texte du synode. « Il s’agit ensuite de développer le nouveau concept de citoyenneté, fondé sur le contrat social, lequel repose sur la vie commune dans le cadre d’un État démocratique garantissant l’égalité entre ses individus en droits et en devoirs, ainsi que le respect de la diversité communautaire », poursuit-il. « Enfin, il s’agit de préserver le Liban en tant qu’espace de dialogue islamo-chrétien, dans un monde livré à des divisions importantes à ce niveau, tout en se solidarisant avec le monde arabe pour faire face à la théorie du choc des civilisations qui braque l’islam contre le christianisme. Il nous faut nous élever au niveau de nos responsabilités, de notre authenticité et de notre message dans cette région du monde », ajoute-t-il, avant de mettre l’accent sur l’importance de l’engagement des maronites dans la vie publique et dans la société. Il paraît difficile de croire que quelqu’un – Sleimane Frangié inclus – puisse refuser un document (beaucoup plus long et qui mérite véritablement d’être lu dans son intégralité étant donné la richesse du contenu) qui replace l’Église maronite et le Liban dans sa trajectoire démocratique, citoyenne, réformatrice, « nahdawie », c’est-à-dire dans la lignée originelle du phénomène du 14 Mars. Par contre, il est fort possible (et malheureux, sinon scandaleux) que peu parmi les représentants de la communauté chrétienne aient jugé bon de lire ce document, pour différentes raisons, alors même que ce texte est véritablement fondateur, et propose une vision pour une politique chrétienne au Liban. Il reste que la polémique entre Sleimane Frangié et le tandem Bkerké-Kornet Chehwane a débuté après une intervention de Mgr Youssef Béchara à une chaîne radio samedi dernier. Du moins est-ce là l’argument avancé par le chef des Marada dans son discours incendiaire de mercredi dernier. Mgr Béchara n’avait pourtant fait que reprendre la position officielle de Bkerké au sujet de la question de la participation du président Lahoud au sommet francophone de Bucarest – selon laquelle il ne fallait pas faire trop de surenchère à ce sujet au nom de la fonction présidentielle, et certainement pas, pour l’occasion, renoncer aux amitiés internationales du Liban. Des sources bien informées au sein de la majorité parlementaire se demandent cependant si ce qui n’aurait pas irrité M. Frangié dans toute cette affaire serait plutôt le fait que le nom du député Samir Frangié ait été étroitement associé à ce texte synodal. Et si l’objectif recherché n’était pas pour l’ancien député de Zghorta de saisir l’occasion qui se présentait pour attaquer les anciens piliers de Kornet Chehwane en s’en prenant à leur père spirituel. La démarche est bien balourde. Non seulement Sleimane Frangié s’est attiré les foudres de Bkerké, qu’il croyait à tort pouvoir éviter, mais il a même permis au Rassemblement de Kornet Chehwane de ressusciter, l’espace d’un jour. Un faux pas qui aura également eu un effet désastreux sur le niveau général du discours politique. L’erreur la plus importante de Sleimane Frangié, dont le parcours politique du temps de l’occupation syrienne est loin d’être reluisant, est d’avoir tenté de jouer aux « révisionnistes » concernant Kornet Chehwane. Il peut en effet paraître grotesque de la part d’un des alliés les plus fervents – et le plus décomplexé de ce point de vue – du régime syrien au Liban de se poser en défenseur des chrétiens tout en s’en prenant aux ténors politiques qui, même s’ils ne sont pas du goût de tout le monde, ont quand même dénoncé la tutelle syrienne depuis l’an 2000, alors qu’une poignée d’étudiants (aounistes, FL, PNL, opposition Kataëb, indépendants et forces de gauches autonomes) osait déjà défier le régime sécuritaire de Jamil el-Sayyed et Rustom Ghazalé. Dans l’attaque de M. Frangié, Kornet Chehwane a perçu deux objectifs : une volonté d’empêcher l’Église de jouer son rôle national et une tentative de décrédibiliser le synode. Le rassemblement a estimé que le fait d’attaquer Kornet Chehwane et Mgr Béchara n’était qu’un prétexte en ce sens. C’est pourquoi il a tenu une réunion exceptionnelle hier – à l’initiative du Parti national libéral – pour proclamer sa solidarité avec l’Église et rendre hommage à l’action du synode. Mais l’objectif était également de rappeler à ceux qui ont la mémoire courte que le retour de la souveraineté s’est fait par étapes, et par un apport collectif, et que Kornet Chehwane a joué un rôle primordial sur le plan du dialogue islamo-chrétien à l’heure où Damas s’acharnait au Liban à diviser pour régner et à briser par la force toute tentative de rapprochement national. Sans compter l’apport de Kornet Chehwane au niveau de la lutte politique contre l’occupation syrienne – même si le comportement de certains de ses ténors était parfois inégal. Elle en a d’ailleurs payé le prix, puisque Gebran Tuéni a rejoint le cortège des martyrs de l’indépendance. Cependant, selon l’une des personnalités dont l’action était autrefois déterminante au sein de Kornet Chehwane, il n’est « pas question » de faire renaître Kornet Chehwane. Et pour cause : quand on a réussi, dans le cadre de l’action nationale, à pouvoir créer des rencontres plurielles comme celles du 14 Mars, on ne saurait se permettre une régression de l’ordre du communautaire comme celle, bien représentative de son contexte historique et spatio-temporel, de Kornet Chehwane. Michel HAJJI GEORGIOU

Il y a peut-être du bon dans la polémique stérile initiée par le chef du Courant des Marada, Sleimane Frangié, au lendemain de ses attaques pour le moins hâbleuses contre Mgr Youssef Béchara et Kornet Chehwane, qui ont maladroitement provoqué Bkerké.
L’intérêt des critiques de l’ancien ministre de l’Intérieur n’est certainement pas dans le fait d’avoir attaqué...