Un ancien ministre de l'Intérieur gambien a été condamné mercredi en Suisse à 20 ans de prison pour crimes contre l'humanité sous le régime de l'ex-président Yahya Jammeh, le plus haut dirigeant jamais condamné en Europe pour des crimes graves au nom de la justice universelle.
Ousman Sonko, 55 ans, est « coupable d'homicides volontaires répétés, d'actes de torture répétés et de privations de liberté répétées, infractions réprimées au titre de crimes contre l'humanité », a conclu le Tribunal pénal fédéral, à Bellinzone, dans le sud-est de la Suisse.
Selon la Cour, il a commis ces infractions « dans le cadre d'une attaque systématique contre la population », lorsqu'il « était un proche de confiance du président gambien de l'époque Yahya Jammeh, qui a dirigé la Gambie de manière répressive entre 1994 et 2016 ».
La Cour a prononcé son expulsion de Suisse - une fois la peine exécutée - pour 12 ans, et il devra verser une réparation aux parties civiles.
TRIAL International, à l'origine de la procédure, a qualifié la condamnation d' »historique » et Human Rights Watch de « monumentale », les deux ONG soulignant que « M. Sonko est le plus haut fonctionnaire jamais condamné en Europe pour des crimes internationaux en vertu du principe de la compétence universelle ».
Le parquet fédéral avait requis la réclusion à perpétuité, pour des crimes contre l'humanité allant de 2000 à 2016, l'accusant d'avoir agi d'abord en tant que membre de l'armée, puis en tant qu'inspecteur général de la police et enfin comme ministre.
« Très satisfait »
La Cour a écarté la prison à perpétuité, ne retenant « pas qu'il s'agit d'un cas particulièrement grave de crimes contre l'humanité », et a classé les charges de viol en tant que crime contre l'humanité.
Le parquet « est très satisfait du jugement », a déclaré la procureure fédérale, Sabrina Beyeler, mais se réserve le droit de faire appel.
L'avocat de M. Sonko, Me Philippe Currat, qui avait plaidé l'acquittement, a estimé que « la peine de 20 ans est cohérente avec le jugement de culpabilité » mais a assuré qu'il fera « vraisemblablement » appel.
Il a expliqué que son client ne faisait pas de commentaire, n'ayant pas pu comprendre le verdict en allemand sans traduction.
« Je m'attends à ce qu'il soit déçu », a réagi sa fille, Olimatou Sonko, au tribunal.
Ousman Sonko avait été arrêté le 26 janvier 2017 en Suisse où il avait demandé l'asile après avoir été démis de ses fonctions ministérielles qu'il a occupées pendant 10 ans, jusqu'en septembre 2016.
« Le long bras de la loi rattrape les complices de Yahya Jammeh dans le monde entier et, espérons-le, rattrapera bientôt Jammeh lui-même », a réagi auprès de l'AFP Reed Brody, un avocat de la Commission internationale des juristes qui travaille avec les victimes de Jammeh.
En Suisse, c'est la première fois que la notion de crime contre l'humanité - des crimes commis dans le cadre d'une attaque de grande ampleur visant des civils - était abordée en première instance.
« Village global »
« Nous sommes heureux que la responsabilité d'Ousman Sonko dans tout ce qui s'est passé en Gambie et le temps qu'il a passé sous le régime de Yahya Jammeh soit reconnue », a réagi Fatoumatta Sandeng Darboe, partie civile et fille de l'activiste Solo Sandeng, torturé et tué.
Ce procès « montre que le monde est devenu un village global et que la justice peut être rendue n'importe où », a réagi le numéro deux de la représentation gambienne auprès de l'ONU à Genève, Cherno Marenah, venu à Bellinzone.
Selon la défense, les conditions du crime contre l'humanité ne sont pas remplies. Elle estime que les faits retenus par le parquet étaient des actes isolés dans lesquels l'ex-ministre de l'Intérieur ne porte aucune responsabilité, pointant du doigt l'Agence nationale de renseignements (NIA) et les Junglers, un groupe paramilitaire.
La défense considère aussi que certains éléments de l'acte d'accusation échappent à la législation suisse car antérieurs à 2011, date depuis laquelle la Suisse se reconnaît une compétence universelle pour juger certains crimes graves en vertu du droit international. C'est également en 2011 que les crimes contre l'humanité ont été inscrits dans le droit suisse.
Selon la Cour, les dispositions pénales de crimes contre l'humanité trouvent application, même si une partie des faits remonte jusqu'à l'année 2000, « dès lors que les homicides volontaires, les actes de torture et de privation de liberté n'étaient à ce moment-là pas encore prescrits ».
En Gambie, le gouvernement a endossé en 2022 les recommandations d'une commission qui s'est penchée sur les atrocités perpétrées sous l'ère Jammeh. Les autorités ont accepté de poursuivre 70 personnes, dont M. Jammeh, parti en exil en Guinée équatoriale en janvier 2017.
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