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Actualités - OPINION

IMPRESSION La pomme d’Allan

Le Pentagone retirait hier sa directive concernant la classification de l’homosexualité dans la catégorie des troubles mentaux. C’est tombé juste au moment où Marie (11ans) me demandait si l’homosexualité était une maladie. Nos réponses sont-elles jamais à la hauteur des questions des enfants ? J’ai répondu non, pas une maladie, une simple différence comme la couleur des yeux ou de la peau. Et pour une fois, j’ai trouvé chouette ma trouvaille. Mais ça n’a pas duré longtemps. Aussitôt me sont revenus, vieux cauchemar, les hurlements de Francis à travers la porte de la salle de bains. C’était il y a plus de trente ans. Dans l’impénétrable montagne maronite qui abritait nos vacances d’enfants, personne n’avait jamais vu un noir. Or Francis était un adorable petit Ivoirien de cinq ans, inséparable copain de mon frère. Ses parents avaient consenti à nous le confier pour quelques jours, certains de le laisser en de bonnes mains. C’était compter sans Kawkab. Chargée de décrotter les enfants après une journée entière dans la boue, la vieille villageoise trouvait étrange que la terre noirâtre de cette contrée adhère si fermement à la peau de Francis. Et de frotter le malheureux avec une telle sollicitude qu’il en fut presque écorché. Les larmes de Francis. Première révélation à mes yeux des exquises cruautés de l’ignorance. À peine au seuil de l’âge de raison, j’intégrais ma première leçon sociale : il est dangereux d’être différent. Je rédige ces notes sur le clavier d’un Power Book Mackintosh de 12 pouces. Un déjà vieux compagnon, avec une pomme croquée qui clignote au démarrage. Une petite recherche m’a appris que cette pomme était un hommage au créateur du premier ordinateur domestique : Allan Turing. Ce génie qui avait formé toute une génération de chercheurs (il enseignait au MIT) était homosexuel, et vivait gentiment en couple avec un fidèle alter ego. Il ne dérangeait personne… sauf l’Administration américaine qui, toute de compassion pour cet homme par ailleurs plein de talent, et craignant pour la moralité de ses pupilles d’une éventuelle contagion, décida de le placer sous camisole chimique. Il s’ensuivit cinq années de souffrances inhumaines où Turing fut naturellement écarté de l’enseignement. À bout de forces, il mordit dans une pomme trempée de cyanure. Il ne se trouva pas de prince pour le réveiller d’un baiser. Mais les nains fédéraux avaient fait leur boulot, Hi-ho, Hi-ho ! Allan, Francis, mêmes victimes de cette hypocrite compassion qui pousse le plus grand nombre à formater les minorités selon ses normes. On soigne l’un de sa nature, on nettoie l’autre de sa couleur de peau, on les torture pour mieux les camoufler, on les camoufle pour se rassurer. Car la différence interroge, elle fragilise, elle terrifie, et renvoie chacun se réfugier dans le giron bétonné de la masse à laquelle il appartient. Et la masse est une chatte dévoyée, toujours prête à renier celui de sa progéniture qui aurait changé d’odeur au contact de l’étranger. Sur l’écran de mon ordinateur brille un fruit défendu. Adam et Ève en perdirent le paradis. Allan Turing, en le mordant, quitta l’enfer. Fifi ABOU DIB

Le Pentagone retirait hier sa directive concernant la classification de l’homosexualité dans la catégorie des troubles mentaux. C’est tombé juste au moment où Marie (11ans) me demandait si l’homosexualité était une maladie. Nos réponses sont-elles jamais à la hauteur des questions des enfants ? J’ai répondu non, pas une maladie, une simple différence comme la couleur des yeux...