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Actualités - OPINION

Clair-obscur

Ces rapports périodiques des enquêteurs de l’ONU, les Libanais se rongent les sangs tout au long des semaines, et même des mois, précédant leur publication. Ils se perdent en spéculations, échafaudent les hypothèses les plus exaltantes, ou alors les plus sombres. Les uns misent gagnant sur la vérité, avec une belle assurance qu’on leur envierait bien ; et les autres vous assènent sans aucune pitié leur conviction absolue qu’il y a anguille sous roche ; que toute cette agitation ne sert qu’à gagner du temps (ou bien à en perdre, ce qui revient au même). Et que dans le bras de fer qui se joue en ce moment au Proche-Orient, c’est la loi du marché – le fameux deal or no deal – qui habille en définitive une Dame Vérité s’exhibant rarement en tenue d’Ève. Le document présenté samedi à Kofi Annan par Serge Brammertz, qui dirige l’enquête internationale sur l’attentat terroriste du 14 février 2005, ne donne évidemment raison ni aux uns ni aux autres : lesquels s’accordent à oublier un peu vite en effet qu’un rapport d’étape n’est pas un recueil de conclusions, mais une simple évaluation circonstancielle de l’avancement des travaux. Parce que le style, c’est l’homme et que toute situation requiert son homme, c’est un fait que bien des choses ont changé depuis un an ; mais pas seulement du côté des enquêteurs. Ainsi, l’Allemand Detlev Mehlis, à qui échut la mission de défricher le terrain, avait forcé l’admiration d’une grande partie des Libanais en faisant part des graves suspicions pesant sur la Syrie ; en revanche, il fut accusé par Damas et ses alliés locaux de se mouvoir avec toute la délicatesse d’un char d’assaut Panzer téléguidé par Washington. Le Belge Brammertz s’est barricadé dans un silence absolument hérmétique, ce qui lui a valu récemment des certificats syriens de professionnalisme ; si toutefois il a fini par avoir accès aux hauts dirigeants baassistes, si ceux-ci se sont civilement prêtés à ses questions, c’est aussi en raison des bordées de résolutions tirées dans l’intervalle par le Conseil de sécurité pour fustiger la mauvaise volonté syrienne. Vierge de toute révélation, ce deuxième rapport Brammertz est rigoureusement conforme, en somme, à l’air du temps. Il évite toute allusion à une quelconque responsabilité de la Syrie dans l’assassinat de Rafic Hariri et de ses compagnons, mais il se garde tout aussi bien de blanchir celle-ci. Il se félicite de la coopération satisfaisante dans l’ensemble manifestée par Damas ; mais des treize pays qu’ont eu à approcher les enquêteurs, c’est la seule Syrie qui se voit inviter à maintenir, car cruciale, une coopération précisément qualifiée de totale et d’inconditionnelle. Ce n’est peut-être pas tout dire ; c’est, quand même, en dire assez. Pour prudent à l’extrême qu’il puisse être cependant, ce document Brammertz ne manque pas d’émouvoir, de troubler, de déranger parfois. Ainsi, on est saisi d’effroi devant les extraordinaires torrents de haine que vouaient ses tueurs à Rafic Hariri, devant les moyens monstrueux – de 1 200 à 1 800 kilos d’explosifs – mis en œuvre pour lui ôter, même en cas d’imprécision dans le minutage exact de l’explosion, la plus infime chance de survie. On reste songeur devant la possibilité, que n’écarte pas Brammertz, d’un complot tentaculaire visant un homme d’une telle stature : d’un contrat collectivement lancé sur Hariri par une sorte de syndicat du crime et groupant certain État (devinez), de puissants ennemis personnels, de vils bénéficiaires du scandale de la Banque al-Madina et des groupes terroristes mus par l’idéologie. On se réjouit, bien sûr, des progrès considérables enregistrés par l’enquête, même si on reste sur sa faim. On applaudit au soutien massif qu’apporte Serge Brammertz à la requête libanaise d’une prolongation de l’enquête qui ouvrirait la porte à des actions ultérieures, telle la constitution d’un tribunal international. Et on a le cœur serré à l’idée de cette rallonge d’un an, encore que le rapport n’exclut pas une éclaircie automnale. Car un an, c’est bien trop long dans l’état de déliquescence, de paralysie, de clivage forcené où se trouve plongé le Liban miraculeusement débarrassé, pourtant, de l’occupation syrienne. Après la déception des uns et le fatalisme (on vous le disait bien) des autres, reste à digérer la honte : celle que devrait éprouver tout Libanais à voir consignée, noir sur blanc, l’incapacité structurelle de l’État de traiter des 14 autres attentats, souvent meurtriers, qui ont terrorisé le pays. Le Liban ne possède pas, c’est vrai, les moyens modernes d’investigation médico-légaux vulgarisés par les séries télévisées policières. Mais du fait de ses divisions et de la rivalité des services de sécurité, c’est de volonté qu’il manque surtout. Celle, élémentaire, de chercher sérieusement à savoir qui donc a fauché ses martyrs. Issa GORAIEB
Ces rapports périodiques des enquêteurs de l’ONU, les Libanais se rongent les sangs tout au long des semaines, et même des mois, précédant leur publication. Ils se perdent en spéculations, échafaudent les hypothèses les plus exaltantes, ou alors les plus sombres. Les uns misent gagnant sur la vérité, avec une belle assurance qu’on leur envierait bien ; et les autres vous assènent...