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Actualités - OPINION

LE POINT La voie Royal

La nouvelle Jeanne d’Arc est arrivée. Ou plutôt, moins de six siècles après s’être consumée sur un bûcher, elle est de retour, promettant de libérer la France, non plus de ces maudits Anglais, mais d’une morosité qui les corsète et plombe leur économie. Elle a enfourché, à Deux-Sèvres cette fois et non pas à Domrémy, son blanc destrier pour, dans ce but, s’en aller à la conquête de l’Élysée avant même que de s’imposer aux éléphants d’un parti tout aussi réticent que l’étaient jadis les nobliaux du roi Charles VII aux ambitions de la Pucelle. Ségolène Royal a bénéficié, dans un premier temps, de l’effet de surprise. Ce qui fait qu’aujourd’hui, elle caracole en tête dans les sondages, se payant même le luxe de dépasser en popularité, entre autres adversaires potentiels, un Nicolas Sarkozy quelque peu essoufflé par le rythme qu’elle impose à la course et – comment s’en étonner ? – son camarade de promotion à l’ENA, Dominique de Villepin. Au sein du PS, François Hollande, son compagnon à la ville, se fait pour l’heure tout petit, mais, à l’évidence, tout autant que Lang, Strauss-Kahn, Fabius ou même Jospin, le secrétaire général du parti fait figure de poids plume face à ce bulldozer qui a déjà cassé pas mal de porcelaine dans le magasin politique français. Fille de colonel, c’est à la hussarde que la présidente de la région Poitou-Charentes a gagné sa place dans la bataille présidentielle dont l’acte ultime se jouera au printemps prochain. Elle a commencé par chasser sur les terres d’autrui, en l’occurrence celles de l’actuel ministre de l’Intérieur dont elle a fait siennes certaines idées, faisant écrire à l’éditorialiste du vénérable Ouest-France : « Cette femme de gauche parle comme un homme de droite. » Et c’est vrai qu’elle ne s’embarrasse pas de scrupules, l’icône de la France nouvelle, ratissant large chez l’UMP, mais, à l’autre bout de l’échiquier, démolissant ce qui hier encore faisait la fierté de sa formation, ces 35 heures que l’on doit autant à Martine Aubry qu’à son ancien « patron » dans le gouvernement de la cohabitation avec Jacques Chirac. Désormais, elle juge sur son site que cette initiative, dont la naissance remonte à l’an 2000, a créé « trop de flexibilité » et aggravé la situation des salariés les moins nantis. Mais quelques heures après l’adoption, hier mercredi, du projet du parti pour 2007 (fruit de six mois d’États généraux et de dix heures de débats houleux), elle s’est fendue d’un jugement que n’aurait pas désavoué François Bayrou lui-même, déclarant : « Il faut piloter les réformes et rectifier les choses. » Les amis de « la Princesse » – surnom qui circule dans les cercles parisiens – disent que son approche des grands problèmes qui périodiquement secouent la société française est teintée de pragmatisme. Exemple de ce côté normand qu’elle affectionne tout particulièrement depuis quelques mois : sur le contrat première embauche qui a failli emporter dans son naufrage l’actuel cabinet, elle a eu des propos étonnamment mesurés, se gardant de juger l’engagement des jeunes sur la question. Je ne connais pas tout, avoue-t-elle lorsqu’on l’interroge sur le gouffre abyssal représenté par la Sécurité sociale, ou encore la dette publique, la criminalité, l’émigration, l’agitation dans les banlieues. Mais c’est pour s’empresser d’ajouter : « Toutefois, je sais où résident les problèmes. Dans la phase actuelle, il est très important d’écouter. » Est-ce suffisant pour gagner l’adhésion de ses concitoyens. Il semble bien que cela marche, du moins jusqu’à présent, si l’on en croit les sondages qui la donnent favorite des Français avec une régularité propre à décourager ses adversaires. Ce qui ne signifie nullement qu’ici et là, on ne se méfie pas d’une « liste d’emplettes » comportant des promesses qui ne seront jamais tenues. C’est pourquoi elle n’en fait pas, ou alors très peu. Les réticences de ses pairs ? Denis Leroy, qui dirige depuis des années ses campagnes électorales, balaie l’argument d’un revers de main : « Après tout, assène-t-il à l’intention des journalistes, que demande le parti sinon un candidat capable de réussir. » Élémentaire, mon cher Watson. Seulement voilà, la menace est bien réelle d’un dérapage qui bouleverserait une si parfaite ordonnance. Ils sont 69 pour cent à approuver ses idées sur la loi et l’ordre, mais du côté du Front national, la proportion monte à 89 pour cent dès lors qu’il est question de thèmes chers à l’extrême droite. Du coup ressurgit la crainte d’un deuxième tour opposant Royal (ou Sarkozy) à Jean-Marie Le Pen – un scénario qui rappelle celui de 1995, à rebours peut-être. L’intéressée n’en a cure et affiche une insolente sérénité. Après tout, en dix-sept ans de vie publique, elle a remporté dix des onze consultations populaires auxquelles elle a participé. Mais la baraka, cela peut vous lâcher à tout moment. Et en général, c’est au moment où l’on s’y attend le moins. Christian MERVILLE
La nouvelle Jeanne d’Arc est arrivée. Ou plutôt, moins de six siècles après s’être consumée sur un bûcher, elle est de retour, promettant de libérer la France, non plus de ces maudits Anglais, mais d’une morosité qui les corsète et plombe leur économie. Elle a enfourché, à Deux-Sèvres cette fois et non pas à Domrémy, son blanc destrier pour, dans ce but, s’en...