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Actualités - OPINION

Place aux jeunes

La situation aujourd’hui est, je pense, la plus délicate de l’histoire du Liban contemporain. Ni occupation ni souveraineté… Entre-temps, les différentes forces politiques s’en prennent les unes aux autres, laissant aux intellectuels et aux professeurs d’université le soin de réfléchir, à la lumière d’un passé riche en leçons utiles, à l’avenir du pays, à son système, au confessionnalisme et à la laïcité, bref, à tout ce sur quoi nous avons fondé notre république. Malheureusement, chez nous, quand les débats tournent au sérieux, ce n’est plus au sein des institutions qu’ils se déroulent mais entre des intellectuels qui ne sont représentés au sein du Parlement et du pouvoir que par Ghassan Tuéni, Samir Frangié et Tarek Mitri, alors que tous les autres se contentent de faire écho à leurs chefs de blocs ou, au mieux, leur servent de porte-parole ou de messagers, pendant que les « ténors » limitent leur dialogue aux sujets d’actualité, sans pour autant parvenir, même pour les thèmes mineurs, à des résultats concrets. Ce désordre politique n’est pas dû à la seule loi électorale de Ghazi Kanaan et ne pourra pas être réglé par la simple élaboration d’une nouvelle loi, aussi juste soit-elle – bien qu’on apprenne par des on-dit qu’elle serait plus mauvaise encore que celle de l’an 2000 (voir dans L’Orient-Le Jour du jeudi 20 avril 2006 la conférence de presse de Nabil Khalifé sur son projet de réforme électorale). La situation actuelle trouve ses racines au sein des communautés, composantes de la société pluraliste qu’est la nôtre, pour ne pas dire « les sociétés ». Chaque communauté voit en sa fidélité au « zaïm » une protection contre les autres communautés et un moyen indispensable de jouir d’une position privilégiée au sein des institutions étatiques. De ce fait, les membres de cette communauté ne peuvent bénéficier de leurs droits, en tant que citoyens, qu’à travers ce même « zaïm » (trouver un emploi dans les institutions publiques ou privées, asphalter une rue, aides sociales, scolaires, ainsi que les services hospitaliers relèvent du seul devoir de l’État. Si les gens sont contraints de recourir au « zaïm » et à ses institutions caritatives, c’est parce que ce dernier veille à ce que le gouvernement dont il fait généralement partie ne remplisse pas ses tâches, pour que lui-même ne perde pas sa raison d’être)… Cette fidélité se concrétise par un vote aveugle en bloc, sans se demander qui, comment, ou pour faire quoi : « Zay mahiyyé ». Par conséquent, les gens se trouvent refléter l’avis et les opinions du « zaïm », quelle que soit cette opinion, alors que c’est le contraire qui devrait se produire, comme c’est le cas dans tous les pays démocratiques, où les députés répercutent l’opinion du peuple, et où la popularité de ces derniers est sensible à leurs déclarations et prises de position. Je me permets ici de prendre l’exemple de M. Walid Joumblatt, dont le nombre de partisans reste inchangé, et votent pour lui, qu’il soit pro ou antisyrien. Un autre exemple est celui de l’attachement ombilical de la base populaire à son leader. En contrepartie, les citoyens-clients se voient protégés par lui au cas où ils commettraient des fraudes, et cela en les dispensant des impôts et taxes, en réduisant au minimum leur séjour en prison, de façon que ça soit « juste pour la forme », ou en leur permettant de porter des armes personnelles. Sans parler des frais d’électricité, d’eau, de téléphones fixe et portable, de municipalités et des marchés noirs. Et la liste n’est pas exhaustive. Tout cela va à l’encontre de la « théorie de l’État », mais sert malheureusement les intérêts des seigneurs de la corruption, qui arrivent à préserver le statu quo sans lequel ils n’auraient plus rien à faire. La preuve : ceux qui se sont fait les symboles de l’État souverain et indépendant en acclamant devant le peuple dit du 14 Mars les slogans d’indépendance et de réformes économique et sociale, réussissant par là à gagner les législatives, ne sont, en grande partie, que ceux qui étaient, pour ce même peuple, les symboles de la servitude et de la corruption il y a deux ans. Une crédibilité et une légitimité perdues ont été redonnées à ces mêmes symboles, le 14 février 2006, comme si leur dernière année au pouvoir était un grand succès et qu’il fallait les remercier. Pour en finir, avec ce circuit fermé de clientélisme, il faut qu’il y ait un État fort, qui accorde aux citoyens leurs droits sans passer par ces « zaïms », et que ces derniers n’arrivent pas, voire n’osent pas accorder des privilèges à leurs clients ici et là pour échapper aux lois. Ainsi, les députés cesseront d’être des intermédiaires et les citoyens des mendiants aux portes de ceux qui leur doivent leur députation. Pour en arriver là, il est demandé aux intellectuels de la société civile d’assumer le fardeau. Ces gens ont la lourde tâche de faire appel aux jeunes qui n’ont pas encore la tête polluée, de les inviter à des débats qui se traduiraient au fur et à mesure en actions. Je m’adresse ici aux professeurs d’université, surtout à ceux des sciences sociales, à mes profs à l’USJ, pour leur dire qu’il revient à eux de reprendre la flamme, car nous en avons assez des politiciens. Tout cela, pour que les citoyens s’habituent un jour au fait que c’est à eux qu’incombent, après tout, la première et la dernière responsabilité du pays, et que tout Parlement, gouvernement ou régime corrompu doit son existence à la négligence du peuple. C’est un devoir imminent mais indispensable pour qu’il soit possible de recommencer de rêver à un Liban moderne. Camille MOURANI
La situation aujourd’hui est, je pense, la plus délicate de l’histoire du Liban contemporain. Ni occupation ni souveraineté… Entre-temps, les différentes forces politiques s’en prennent les unes aux autres, laissant aux intellectuels et aux professeurs d’université le soin de réfléchir, à la lumière d’un passé riche en leçons utiles, à l’avenir du pays, à son...