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Actualités - CHRONOLOGIE

VIENT DE PARAÎTRE - « La maison aux orties », de Vénus Khoury-Ghata Sortilèges littéraires pour une autobiographie lyrique

Elle n’en a pas fini avec la poésie. Même quand elle fait de la prose. Un roman pour elle est toujours un beau prétexte pour flâner au milieu des mots. Des mots qu’elle traque d’ailleurs depuis longtemps, c’est-à-dire depuis plus de trente-cinq ans, comme une infatigable chasseresse. Une prose vagabonde aux allures de vers libres. Pour elle, il s’agit toujours d’une poésie surréaliste. C’est-à-dire place et pouvoir aux images et à la musicalité. Une musique orphique pour donner vie à une autobiographie lyrique qui n’exclut toutefois pas certains règlements de compte. Peut-être pas très féroces, mais qui ont plutôt souvent la tendresse d’un coup de houppette échappée au mont du Parnasse. Elle, c’est Vénus Khoury- Ghata qui, par-delà ses seize romans, continue à ressasser ses obsessions familiales déjà exorcisées et traitées différemment dans d’autres opus. Des narrations romanesques où la maison, aux bords des larmes ou rigide comme un objet empaillé, reste une inépuisable source d’inspiration. Le père autoritaire aux confins de la dictature, la mère broyée par ses innombrables tâches ménagères et surtout le frère poète et tourmenté jusqu’à la folie… Tous ces personnages « brontéins » à l’orientale, dans une expression francophone novatrice, reviennent une fois de plus dans La maison aux orties (éditions Actes Sud-118 pages) sous la plume de Vénus Khoury-Ghata. Personnages nimbés d’une aura de fiction, revêtus d’atours similaires à ceux conçus dans les livres précédents mais toujours dans le tourbillon des poignants drames de famille qui marquent à vie. L’auteur de Vacarme pour une lune morte se souvient. En poète, bien entendu. Avec une prééminence au verbe flamboyant, à la formule qui fait mouche, aux images sonores et rutilantes, aux poses théâtrales et aux situations relevant d’un univers de l’absurde aux tonalités faussement naïves et candides... Elle ne s’en cache d’ailleurs pas Vénus Khoury-Ghata, elle qui dit en substance, dans son prologue : « L’écriture, seul maître à bord, a tiré les ficelles et m’a entraînée vers une réalité enrobée de fiction. Il m’est impossible de faire la part du vrai et de l’inventé, de démêler la masse compacte faite de mensonges et de vérités. » Dans cet inextricable écheveau où réalité et onirisme font bon ménage, l’auteur fait revivre, avec un certain talent, l’enfance et le présent. Les deux à la fois merveilleux et douloureux, riches et surprenants, tendres et émouvants, déroutants et imprévisibles, précis et décalés…Atmosphère délurée, faite d’un humour grinçant d’un roman moderne aux effluves d’un romantisme un peu suranné et parfois trop fleuri. Mais aussi d’un lyrisme profondément empreint des beautés d’une nature à la fois hostile et enveloppante, où s’agitent des personnages cocasses et touchants, aux propos délirants et « ionesciens », aux jugements délibérément insolites, provocateurs ou moqueurs. Telle cette phrase : « La poésie et la masturbation rendent fou. » Ou telle autre : « Et Dieu à quoi ressemble-t-il ? Est-il concave ? Convexe ? Y a-t-il de lui un portrait, une photo, au moins une esquisse ? Lui aussi trace-t-il un trait chaque fois qu’un être vivant vient au monde, qu’un être le quitte ? Lui arrive-t-il, dans un souci d’équilibre, de transvaser les traits d’un mort dans le visage d’un vivant ? » Si les orties envahissent et mangent cette maison de l’enfance, juchée sur les hauteurs de Bécharré, les turbulentes pérégrinations de l’auteur vont bien au-delà de la terre natale. Elles jettent la lumière, avec une tonique et originale fantaisie, tel un rire de sorcière, saugrenue certes, mais pas vraiment très méchante, sur le parcours d’une vie et ceux qui y ont joué un rôle…De fulgurants flash-back en images surgies du passé, voilà qu’émergent les silhouettes de Jean, l’époux aimé, trop tôt et trop cruellement décédé, avec allusion aussi au premier mari, bâtisseur acharné, qui éventre les montagnes pour remblayer la mer ! Il y a aussi M., peintre énigmatique aux prétentions de consolateur, avec l’amusant voisin Boilevent, voyageur à tous vents, défenseur attitré des Indiens d’Amazonie pour meubler ce roman cocasse et grave, où les morts conversent paisiblement avec les vivants. Vénus Khoury-Ghata déploie ici une curieuse vocation médiumnique pour des dialogues à une seule voix, où les habitants de l’au-delà palabrent en toute quiétude avec les exilés de la terre… Sans oublier les chaleureux témoignages d’amitiés parisiennes pour le cercle des poètes où revient, avec quelques effusions, le temps de quelques lignes ou de quelques pages, l’évocation d’Alain Bosquet, J.C. Renaud, Jean Rousselot et de bien d’autres… Et l’on sourit à ce chapelet de noms, tels Salomé, Casanova, Socrate, Platon et Lulu pour désigner des chats qui ont voix au chapitre ! Charmant cortège animalier escortant une femme-écrivain qui, par personnages interposés et sous la voilette de la littérature, trace cette phrase cinglante : « Mais tu n’es jamais contente. Tu n’aimes que les hommes morts. Tu n’aimes que les mots et les chats. » Si l’auteur entreprend dans ce livre, foisonnant d’images et de questionnements, hanté par les morts parfois plus présents et loquaces que les vivants, la quête pour le sens d’une vie, nul ne lui fournit de réponses pertinentes ou patentes. Cependant, surgissent certaines phrases révélatrices, comme un aveu évident et probant, échappé dans un moment de relâchement libératoire : « L’écriture me tenait lieu de vie » ou « Je continuerai à écrire même si je n’ai qu’un seul lecteur au monde. » Qu’elle se tranquillise et se rassure, Vénus Khoury-Ghata. Avec la veine et la verve truculentes d’un livre tel que La maison aux orties, elle en aura toujours des lecteurs ! Sans qu’elle dorme pour autant sur ses lauriers ! Edgar DAVIDIAN
Elle n’en a pas fini avec la poésie. Même quand elle fait de la prose. Un roman pour elle est toujours un beau prétexte pour flâner au milieu des mots. Des mots qu’elle traque d’ailleurs depuis longtemps, c’est-à-dire depuis plus de trente-cinq ans, comme une infatigable chasseresse. Une prose vagabonde aux allures de vers libres. Pour elle, il s’agit toujours d’une poésie...