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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE Tours operators

Dix-neuvième semaine de 2006. La langue française a parfois de ces richesses que les autres peuvent réellement lui envier ; une façon de parfaitement résumer une situation, de carrément dessiner une réalité, la retranscrire avec une simplicité confondante, et, même, de donner à entrevoir les premières ébauches de solution. Il ne faut pas péter plus haut que son cul. Ce n’est peut-être pas d’une élégance folle, mais cela a l’inestimable mérite d’être franc, clair, net, extrêmement précis et, surtout, facile à comprendre. Plein de bon sens aussi. Il est largement temps de cesser de vouloir à tout prix franchir le mur du son avec une trottinette. L’axiome de base est le suivant : attendre est suicidaire. Attendre que Serge Brammertz trouve quelque chose et qu’on lui permette de le dire haut et fort ; attendre que les uns et les autres admettent que l’on peut atteindre ses buts sans pour autant faire rugir de plaisir l’imprévisible Syrie des Assad ; attendre qu’Émile Lahoud quitte enfin Baabda ; attendre que la majorité sache une fois pour toutes qu’elle est majoritaire ; attendre l’évolution des relations Washington-Damas, Washington-Téhéran ; attendre un miracle infini, ou une banqueroute définitive, ou un puits de pétrole au large de Jounieh ou de Saïda, tout cela est criminel. Il est impératif de faire. Il ne faut pas péter plus haut que son cul. Il est impératif d’imposer une vision, un programme, un panier de réformes. De s’attaquer à la CNSS. À l’électricité. À la pieuvre des fonctionnaires ultrasurnuméraires. De changer les mentalités. D’engager les privatisations. De se souvenir qu’il y a une dette de 40 milliards de dollars. De permettre à la commission Boutros d’accoucher d’une loi électorale juste et définitive. D’ouvrir une ambassade syrienne. De tracer les frontières. De désarmer le Hezbollah. De commencer à instaurer une pleine société civile. C’est tellement évident que cela devient d’une banalité insupportable. Impératif, donc, mais ce serait un comble de sottise, ou d’imbécilité heureuse, d’y penser maintenant. Ce n’est pas qu’on ne devrait pas – bien au contraire : c’est qu’excepté deux ou trois originaux/marginaux, personne ne veut de la primauté de l’intérêt général. Alors, en attendant que germe un peu de conscience(s), il ne reste plus qu’à s’atteler à ce que les divisions des hommes politiques libanais ont, en principe, épargné : le tourisme. Joe Sarkis a dit s’attendre à un bon substantiel dans ce secteur pour l’été 2006, de façon à porter à 1,5 million le nombre de touristes sur l’année. Le Liban peut/doit faire plus. Même la Syrie, cette brave Syrie, entend arriver à 7 millions de touristes pour dans quelques années. Même l’Arabie saoudite, l’austère Arabie, a commencé une offensive de charme à l’adresse des touristes non musulmans, allant même jusqu’à vanter, avec un aplomb formidable, les nuits saoudiennes, leurs pique-niques, leurs narguilés, leurs thés. Le ministère du Tourisme devrait rester allumé et grouillant d’enthousiastes nuit et jour. Le syndicat des hôteliers, des restaurateurs, des cafetiers devrait tenir une réunion quotidienne jusqu’à la fin octobre. Des fonctionnaires des ambassades libanaises dans les grandes capitales devraient travailler d’arrache-pied pour carrément draguer les touristes étrangers, leur donner l’envie, le besoin même, de venir passer quelques jours dans cette exception insensée qu’est le Liban. Les municipalités libanaises concernées devraient rivaliser d’inventivité, quitte à investir un peu de dollars pour en récolter les juteux dividendes. Les ONG, toutes les ONG, même celles qui s’estiment trop politisées pour s’occuper de tourisme, devraient s’y coller. Entre les Occidentaux, les Arabes, les familles, les night-clubbers du monde arabo-musulman, au pouvoir d’achat plus élevé que la moyenne et qui choisissent le bien moins rigide Liban pour leurs week-ends, les voyages organisés, les randonneurs écolos, les amateurs d’archéologie, les amoureux de sensations fortes ou de pays hybrides terriblement exotiques, le chiffre avancé par Joe Sarkis pourrait être revu très à la hausse. Oui, bien sûr : à condition qu’il n’y ait ni attentats, ni manifestations, ni émeutes, ni heurts avec les deux voisins, ni, ni, ni… Et de là à voir Hassan Nasrallah aller lui-même faire visiter la ligne bleue aux touristes, Samir Geagea les emmener respirer dans les cédraies, Michel Aoun gloser devant eux sur les beautés et les bienfaits des orangers, Nabih Berry leur vanter les joies du jet-ski au large de Tyr, Walid Joumblatt leur servir lui-même le matté dans les jardins suspendus de Moukhtara, Saad Hariri leur proposer des chambres d’hôte à Koraytem, Élie Skaff les promener le long du Berdawni, Mohammad Safadi les accompagner dans les souks de Tripoli, Hagop Kassarjian et Hagop Pakradounian leur préparer la kebbé aux cerises et les initier au basterma, Boutros Harb les emmener en escalade à Tannourine, Ghassan Tuéni leur expliquer l’histoire des sept familles, Fouad Siniora leur raconter des contes de fées, etc., il n’y a qu’un pas. Qu’on les verrait bien franchir, puisque leurs goûters mondains place de l’Étoile ont prouvé qu’ils ne servent strictement à rien. Ils feraient au moins quelque chose d’utile pour ce pays. Il ne faut pas péter plus haut que son cul. La politique au Liban ? Elle est devenue tellement inutile, ridicule, naine, qu’elle devrait laisser la place au tourisme. Cela fera plaisir à tout le monde : les méchants et les gentils. Et cela apprendra cette vertu rare qu’est l’humilité. Ziyad MAKHOUL
Dix-neuvième semaine de 2006.
La langue française a parfois de ces richesses que les autres peuvent réellement lui envier ; une façon de parfaitement résumer une situation, de carrément dessiner une réalité, la retranscrire avec une simplicité confondante, et, même, de donner à entrevoir les premières ébauches de solution.
Il ne faut pas péter plus haut que son cul.
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