Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

EXPOSITION - Jusqu’au 27 mai, à la galerie Janine Rubeiz Huguette Caland, ou le bonheur de peindre

Elle prétend avoir plus de 1000 ans, Huguette Caland. «1075 ans», précise-t-elle même malicieusement. Une boutade qui révèle une singulière relation au temps. Entre affranchissement et présence obsédante. Car c’est pour «prolonger le temps, le remplir, le savourer» que cette artiste élabore, par jeux de traits appliqués au pinceau, ses toiles gigantesques. Et libres. Libres de tout support. Libérées des formats et des figures conventionnelles. Des œuvres qui évoquent tout aussi bien des tapis persans, des paysages urbains, des constructions babyloniennes, des images byzantines ou encore des… fermetures Éclair! À la galerie Janine Rubeiz (Raouché, immeuble Majdalani), où elle expose le fruit de ses trois dernières années de travail et de «joyeuses» expérimentations, Huguette Caland, grandes lunettes rondes cerclées de noir, blouse de peintre façon «abbaya» et sourire radieux, se promène une dernière fois entre ses toiles suspendues au plafond. Une dernière fois, parce qu’elle aimerait que «ces peintures, qui sont le résultat d’un travail fait en Californie (où elle vit depuis près de vingt ans), avec le Liban en tête et dans le cœur, restent à Beyrouth». À cet effet, elle a tenu que les prix affichés n’aient rien à voir avec ceux de Paris et de Los Angeles. «Beyrouth est ma ville natale, c’est ma seule explication», dit-elle avec pudeur. Des Klimt surréalistes et joyeux Une trentaine de grandes techniques mixtes sur toiles libres de lin ou de coton déclinent des traits, de longueurs, d’épaisseurs, de rythmiques et de couleurs variables. Cinq grandes peintures représentant des «rossinantes» (cheval maigre et poussif, comme celui de Don Quichotte) et une série de petites rossinantes mêlent, quant à elles, des lignes, des formes et des couleurs claires et pétillantes. Sortes de «Klimt surréalistes et joyeux», des peintures qui dégagent un bonheur ineffable et contagieux. Et enfin, en petit format, des dessins, à l’encre sur papier, reproduisent, en lignes fines et sinueuses, des silhouettes qui rappellent un peu «les momies enveloppées de bandages», reconnaît en riant l’artiste. Laquelle signale que ces petites œuvres, réalisées durant une période où elle était forcée de se ménager, «à cause d’un ménisque déchiré et d’une sciatique», ne pouvaient qu’être imbibées de sa condition physique d’alors. Plus sobres que les grandes toiles libres ou les allègres rossinantes, ces dessins n’en dégagent pas moins une certaine fantaisie, un paramètre ludique insolite qui est la facture même du style de Caland. Laquelle revendique haut et fort «le droit de s’amuser tout en étant sérieux». «Toutes mes peintures me donnent beaucoup de joie lors de leur élaboration», dit d’ailleurs l’artiste, qui parle de ses œuvres comme d’êtres animés. Pour Huguette Caland, ses toiles ont leur vie propre. De leur naissance à leur aboutissement, ce sont elles qui mènent le jeu, elles qui guident ses «coups de pinceau à main levée» qui tracent ces traits-segments si caractéristiques de son travail. «En fait, ce sont des lettres silencieuses, ce sont des écritures qui expriment tout ce que je ne peux pas dire avec les mots», explique-t-elle. «Je ne sais pas comment je travaille, qu’est-ce qui m’inspire, pourquoi je m’arrête. À un moment, mes toiles s’arrêtent d’elles-mêmes. C’est comme une écriture automatique. Je peins en pensant à mille autres choses. Parfois même, en regardant mes toiles, je me demande qui les a faites.» Peinture automatique Sauf que dans cette «peinture automatique», faite de tracés qui donnent parfois une impression d’enluminures, de miniatures persanes presque, avec leur abondance de détails, de couleurs et de couches superposées, Huguette Caland exprime tout un vécu. «J’y retrouve, après coup, tout ce à quoi j’ai été confrontée»: l’Orient natal, «ce côté byzantin», les tapis persans qui ornaient les sols et les murs de la maison familiale, les neuf ans de piano à Beyrouth et cette recherche constante de liberté qui l’a fait traverser Paris, New York, avant de trouver son havre à Venice, en Californie. «Je vis aujourd’hui dans une maison dénuée d’objets, presque sans tapis, et pourtant quand je vois mon travail, je me dis que je reste influencée par les tapis et les tapisseries qui ornaient la maison de mes parents.» «On passe son temps à se débarrasser de ses racines et, cependant, elles vous poussent sous les pieds», soutient Huguette Caland. La preuve: même ses toiles d’un minimalisme extrême cachent, sous l’épurement d’une couche monochrome et sombre, un foisonnement de traits et de motifs. Et si elle a «tendance à préférer les couleurs mates», elle ajoute souvent «pour faire scintiller» une pointe d’or ou d’argent. Huguette Caland reste finalement une fille d’Orient malgré ses semelles de vent. Zéna ZALZAL
Elle prétend avoir plus de 1000 ans, Huguette Caland.
«1075 ans», précise-t-elle même malicieusement. Une boutade qui révèle une singulière relation au temps. Entre affranchissement et présence obsédante. Car c’est pour «prolonger le temps, le remplir, le savourer» que cette artiste élabore, par jeux de traits appliqués au pinceau, ses toiles gigantesques. Et libres....