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Actualités - OPINION

LibanCell saisit les biens de l’État Politique, mensonges et cellulaires !

La bonne foi et l’équité dans la négociation du contrat et dans son exécution (rappelées à bon escient à l’article 221 du Code des obligations et des contrats), puis la loyauté et la rectitude (ce dernier terme est utilisé à l’article 133 du Code de procédure civile) au cours de la procédure d’arbitrage et dans l’exécution de la sentence arbitrale, ne sont pas de vagues concepts éthiques et moraux, mais des contraintes juridiques qui pèsent sur le contractant et sur le plaideur, des règles élémentaires qui sécurisent les relations économiques et sociales. Celui qui ne s’y plie pas n’est pas un joueur dénué d’esprit sportif ou mauvais perdant, mais un contrevenant à cette véritable loi qu’est le contrat pour les parties et aux obligations nées du lien d’instance entre les adversaires. L’État est au fait des principes contractuels et procéduraux et il ne peut, pas plus que le plus modeste des citoyens, alléguer ignorer la loi. Et pourtant dans la malheureuse saga de la téléphonie mobile, il a délibérément mis à mal, par trois fois, ces règles élémentaires de bonne foi, d’équité, de rectitude et de loyauté : une première fois, dans la manière de rompre les deux contrats conclus avec les deux opérateurs Cellis et LibanCell ; une deuxième fois, dans la manière de se comporter au cours des instances arbitrales qui ont suivi ; et une troisième fois, dans la manière de réagir face aux sentences arbitrales. Une partie à un contrat peut bien décider d’y mettre fin, mais à condition de respecter les règles prévues à cet effet ; elle peut à la rigueur ne pas respecter ces règles, mais ensuite se soumettre à l’arbitrage qu’elle a accepté dès l’origine pour le cas où, précisément, un litige l’opposerait à son cocontractant ; elle peut enfin, dans des cas extrêmes, ne pas se soumettre de bonne grâce à l’arbitrage, mais en respecter la finalité, exécuter la sentence qui en résulte. Mais obtenir le score parfait de trois sur trois (ne pas respecter les règles du contrat, ne pas se soumettre à l’arbitrage et ne pas exécuter la sentence), c’est faire fi de la parole donnée, du respect de la signature, de la réputation et de la crédibilité, et c’est surtout se mettre hors la loi. Première confrontation avec les règles élémentaires Sans rentrer dans les détails dans lesquels certains acteurs de cette saga aiment plonger pensant pouvoir ainsi diluer leur responsabilité, commençons par planter le décor (à cette époque où la remémoration de nos années noires est à la mode !). Quand, au début des années quatre-vingt-dix, les deux contrats de BOT (Build Operate and Transfer) sont négociés par l’État libanais avec France Télécom Mobiles Internationale (par la suite, FTML Cellis) et Telecom Finland International (LibanCell) au terme d’un appel d’offres international, les investisseurs étrangers ne se pressent pas au portillon de notre pays déchiré par quinze ans d’une guerre meurtrière et destructrice, ravagé par une inflation asphyxiante et miné par une dépréciation monétaire abyssale. Pour ce qui est du secteur des télécommunications, il suffit de rappeler l’époque héroïque où il fallait arriver jusqu’au ministre en personne et patienter des années pour espérer décrocher un abonnement au téléphone fixe, où le numéro une fois octroyé se léguait de père en fils, et où il fallait rester pendu des heures au combiné à attendre une improbable « tonalité » pour pouvoir enfin former le numéro du correspondant sans aucune garantie de l’ « accrocher » (!). L’État n’était vraiment pas un modèle de bon opérateur et c’était ne rien lui soustraire que de confier ce marché (alors inexistant) à des opérateurs privés. Deux sociétés de renommée mondiale s’en viennent alors et créent à partir de zéro le secteur du cellulaire, importent de nouvelles technologies, installent des équipements, les entretiennent, les font fonctionner avec le succès technique et commercial que nous savons, créent des emplois, forment des techniciens, avec à la clef pour l’État rentier un partage des revenus et la certitude de devenir propriétaire, sans contrepartie, des équipements au terme des contrats. Puis soudain, l’État décide de mettre la main sur le secteur et résilie deux contrats, apparemment sans en respecter les dispositions et sans entendre dédommager les deux sociétés ; au contraire, et pour faire bonne mesure, il leur réclame 600 millions de dollars de pénalités pour des violations alléguées. C’était la première confrontation avec les règles de bonne foi, d’équité, de rectitude et de loyauté, cette fois au niveau des deux contrats principaux de BOT. Deuxième confrontation avec les règles élémentaires Chacun des deux contrats comporte une clause d’arbitrage aux termes de laquelle tous les différends « seront tranchés définitivement suivant le Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale ». Cela signifie que si l’État a une manière qui lui est propre de lire les contrats, de les interpréter et de les exécuter, et si les deux opérateurs ne sont pas d’accord avec lui, les protagonistes se soumettent volontairement à la décision qui sera rendue sous l’égide de l’une des plus importantes institutions mondiales d’arbitrage. Cette clause est un contrat en elle-même, et elle doit être respectée et exécutée de bonne foi et en équité au même titre que le contrat principal qui la contient. « Pacta sunt servanda », les conventions doivent être respectées ; ce principe immémorial de valeur universelle s’applique autant au contrat principal qu’à la convention d’arbitrage. Chacun des deux opérateurs déclenche donc une procédure d’arbitrage contre l’État. Mais, plutôt que de se soumettre à l’arbitrage et de se défendre loyalement devant les arbitres, celui-ci a recours à toutes sortes de manœuvres pour subvertir les deux procédures arbitrales, pour empêcher que les sentences soient rendues. Les péripéties n’ont pas seulement fait la manchette de nos quotidiens, mais ont aussi alimenté les chroniques juridiques nationales et étrangères. C’était la deuxième confrontation avec les règles de bonne foi, d’équité, de rectitude et de loyauté, cette fois au niveau des clauses d’arbitrage. Troisième confrontation avec les règles élémentaires Malgré tout, les arbitres ont finalement été en mesure de prononcer leur sentence et l’État a été condamné à payer des centaines de millions de dollars à chacun des deux opérateurs ; quant à sa propre demande de 600 millions, elle n’a été accueillie par les arbitres que dans une proportion infinitésimale (l’État reçoit… 1,5 million de dollars !). Mais, plutôt que d’exécuter spontanément les sentences, comme cela est la règle, l’État a préféré ici encore emprunter les chemins de l’exception, ceux-là mêmes que fréquentent les débiteurs condamnés et récalcitrants auxquels il faut appliquer les voies d’exécution forcée : il refuse tout simplement d’obtempérer à l’ordre de payer qui lui a été donné par les arbitres. Il est pourtant acquis que la partie qui insère dans son contrat une clause d’arbitrage CCI se soumet à l’effet obligatoire de la sentence qui sera rendue et s’engage à l’exécuter sans délai (article 28-6 du Règlement CCI). C’était la troisième confrontation avec les règles de bonne foi, d’équité, de rectitude et de loyauté, cette fois au niveau des sentences arbitrales. Conséquences de cette triple confrontation L’État a cru pouvoir échapper à ses obligations et ne pas donner suite aux sentences arbitrales rendues contre lui en se retranchant derrière l’immunité d’exécution absolue qui lui est accordée sur son propre territoire (article 860 du Code de procédure civile), cette immunité qui empêche la personne qui a réclamé des droits à l’État et qui a eu gain de cause devant les tribunaux de pouvoir le forcer à s’exécuter. Mais l’État a été rappelé à la raison par la récente décision de LibanCell de procéder à l’exécution forcée de la sentence arbitrale à l’étranger, là où les immunités d’exécution (et, avant elles, les immunités de juridiction) sont rattrapées par les droits processuels fondamentaux, là où l’exécution des décisions de justice est intimement liée à la notion de procès équitable, là où les textes ont un sens et où la parole donnée vaut engagement ferme et irrévocable. Le prix à payer pour ces trois confrontations avec les règles élémentaires de bonne foi, d’équité, de rectitude et de loyauté, mais aussi pour la décision politique de déclencher ce funeste processus, est exorbitant : un quart de milliard de dollars américains rien que pour LibanCell et une perte de crédibilité sur les marchés internationaux. Osons espérer qu’il puisse réconcilier l’État avec le droit. Nasri Antoine DIAB Professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, avocat à la cour
La bonne foi et l’équité dans la négociation du contrat et dans son exécution (rappelées à bon escient à l’article 221 du Code des obligations et des contrats), puis la loyauté et la rectitude (ce dernier terme est utilisé à l’article 133 du Code de procédure civile) au cours de la procédure d’arbitrage et dans l’exécution de la sentence arbitrale, ne sont pas de...