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Actualités - REPORTAGE

Depuis des mois, les ressortissants syriens boudent le pays, provoquant l’agonie des commerces à Masnaa Pour les habitants de Chtaura, plutôt « crever de faim » que voir les troupes de Damas réinvestir le Liban

Le 26 avril, le Liban célébrera le premier anniversaire du retrait des troupes syriennes de son territoire, départ ayant mis un terme à 29 ans d’occupation. Il a fallu environ deux mois aux troupes de Damas, l’année dernière, pour évacuer toutes les régions qu’elles avaient investies de longues années durant. Dans la Békaa, les soldats syriens faisaient presque partie du paysage. Dans cette zone limitrophe de la Syrie, beaucoup restaient incrédules devant le mouvement des troupes, pensant que la Békaa ne serait jamais évacuée. Cette région a été la dernière à être abandonnée par les Syriens, qui y avaient maintenu quelques-unes de leurs positions jusqu’au 25 avril, la veille de leur départ officiel. Et le lendemain, c’est à la base aérienne de Rayak, à une dizaine de kilomètres de la frontière syrienne, que les responsables libanais ont tenu à rendre hommage, lors d’une cérémonie, aux troupes de Damas. C’est ainsi qu’une page de l’histoire du Liban a été tournée. En moins d’un an, la frontière de Masnaa s’est métamorphosée. L’espace qui grouillait de taxis, de bus et de voyageurs, arrivant de Syrie ou quittant le Liban, est quasi désert. Ce n’est pas le départ des troupes syriennes qui a influé sur le va-et-vient des voyageurs, racontent les riverains, mais « la tension qui règne entre les deux pays, notamment la fermeture des frontières l’été dernier, les discours virulents de certains responsables libanais, les rumeurs qui circulent en Syrie sur les mésaventures qui peuvent arriver au Liban et surtout, côté syrien, les permis d’entrée dont le prix – pour les véhicules et les individus – a plus que doublé ». Que ce soit à Chtaura ou à Masnaa, le chiffre d’affaires des commerces a chuté. Même s’ils réalisent de plus en plus, surtout après le retrait des troupes de Damas, qu’ils sont les laissés-pour-compte du développement, les habitants de cette zone de la Békaa disent qu’ils « préféreraient crever de faim plutôt que voir les soldats syriens occuper à nouveau le Liban ». Ils tiennent cependant à faire la différence entre « les troupes d’occupation syriennes » et « les voisins syriens qui seront toujours bien accueillis ». Chtaura, la route principale, bordée de deux côtés de magasins : ici, les commerçants rapportent que leur chiffre d’affaires a chuté de 40 % en six mois. Tony, propriétaire d’une importante laiterie, souligne que « cette chute dans le chiffre d’affaires n’est pas due uniquement à l’absence des ressortissants syriens qui viennent au Liban. Ceux-là constituaient peut-être 10 % de ma propre clientèle ». Par contre, il met en cause la crise que connaît le pays depuis février 2005. « Les Libanais, qui font normalement une halte petit déjeuner à Chtaura, ne vont plus à Damas comme par le passé. Plus encore, ils vivent depuis des mois dans l’insécurité, réduisant leurs déplacements. Ils font de moins en moins de tourisme et ne se rendent plus que rarement dans la Békaa. Cette tendance s’est confirmée depuis la fin du mois de ramadan (en novembre dernier) », dit-il. Il indique aussi qu’il suffit que « le pays recouvre sa sécurité et que la situation politique s’assainisse pour que tout rentre dans l’ordre ». Samir, propriétaire d’une autre importante laiterie de la région, indique lui aussi que la chute du chiffre d’affaires est due à la crise que connaît le pays ainsi qu’à un facteur du côté syrien de la frontière : « Les douaniers syriens empêchent désormais toute voiture en provenance du Liban de transporter de la marchandise, que ce soit un petit pot de lait, une boîte de biscuits ou des couches-culottes ». « Depuis que leurs soldats ont quitté le Liban, il semble que c’est la consigne à la frontière », dit-il. Il explique qu’il « n’y a jamais eu de loi régissant le transport des marchandises, notamment en ce qui concerne les voyageurs transportant des biens personnels achetés de l’autre côté de la frontière ». « Le système de taxe n’existait pas. Pour faciliter le passage des marchandises, les voyageurs venant du Liban versaient un pourboire aux soldats stationnés à la douane syrienne », raconte-t-il. Lui et beaucoup d’autres confirment que tel a toujours été le cas… jusqu’à l’été dernier. « Cela arrange les Syriens actuellement de confisquer et de jeter, à la frontière, tous les produits achetés au Liban, et décourage leurs propres ressortissants ou les étrangers qui franchissent la frontière, comme les Jordaniens, et les Libanais qui visitent la Syrie. » La clientèle syrienne Hani, qui travaille dans le commerce de gros à Chtaura, rappelle que « beaucoup de Syriens venaient régulièrement au Liban, soit pour voir de la famille, se promener, soit pour faire des achats. Depuis que la situation s’est envenimée entre les deux pays, ils ne mettent plus les pieds au Liban. Il y a des commerçants qui comptaient majoritairement sur eux. Ils sont sur le point de fermer boutique ». Il ajoute que « Chtaura abrite une vingtaine de banques. Elles n’ont certes pas été créées pour les Libanais et avaient beaucoup de dépositaires syriens, qui ne se rendent plus aussi régulièrement au Liban… ». « Depuis des années, un grand nombre de commerçants de la Békaa misent sur la clientèle syrienne…C’est la perte sèche depuis des mois. La situation ne peut plus continuer ainsi. Nous sommes voisins. Il faut que l’on apprenne à vivre ensemble », indique Hani qui a fait la fête, comme la majorité des habitants de la région, au départ des troupes syriennes. C’est que les habitants de la Békaa n’osaient même pas rêver d’un départ des troupes de Damas, qu’ils rendaient responsables de toutes leurs misères. Avec la libération, ils se rendent compte désormais que l’État a délaissé depuis longtemps la région et demeure absent, notamment en ce qui concerne les projets de développement en matière d’agriculture, de santé, d’éducation. Et la crise politique et sécuritaire qui touche le pays est loin de les aider à reprendre confiance. Élias est propriétaire d’un supermarché à Chtaura. Il indique que « ce sont les discours de certains responsables libanais qui ont envenimé encore plus la situation. Les mesures prises par Damas à la frontière avec le Liban découragent les ressortissants syriens de venir, et les tarifs pour entrer au Liban ont été augmentés ». « Nous faisons très bien la différence entre les troupes syriennes qui ont évacué le Liban et les ressortissants syriens qui se rendaient très souvent chez nous. Ces derniers seront toujours les bienvenus. Ils seront toujours bien traités », dit-il. « Jusqu’à présent, entre Chtaura et Masnaa, 26 entreprises situées sur la route internationale ont fermé leurs portes. D’autres suivront sûrement. Pour que tout rentre dans l’ordre, il faut que les autorités syriennes modifient les mesures qu’elles ont prises depuis l’année dernière à leurs frontières », conclu-t-il. C’est le même son de cloche que l’on entend dans les villages limitrophes de la route internationale Beyrouth-Damas et proches de la frontière de Masnaa. Chez l’un des plus importants changeurs de la zone, Abou Ghassan raconte : « Depuis le 14 février 2005, le travail a baissé. Cela a commencé avec une chute de 30 % du chiffre d’affaires pour atteindre actuellement les 90 %. Chaque mois, nos pertes sont encore plus importantes. » Chez ce changeur, on évoque les ressortissants arabes, notamment saoudiens, qataris, émiratis et koweïtiens qui boudent la frontière libano-syrienne. « Ils faisaient du tourisme, venaient par voix terrestre au Liban ou se rendaient auprès de leur famille en Syrie…Ils sont probablement effrayés par les explosions, l’insécurité et la situation politique », note Abou Ghassan. Au premier abord, l’on tente de minimiser l’absence des voyageurs syriens. Chez ce changeur ou ailleurs, les commerçants disent qu’ils « préfèrent retourner à l’agriculture ou rester au chômage que voir les soldats syriens réoccuper la Békaa »…Même si, depuis presque un an, la crise économique que connaît la région est liée au départ des troupes de Damas. « C’est comme s’ils voulaient punir les Libanais parce qu’ils ont été obligés de quitter le pays », note Mohammad. « Il y a eu la fermeture des frontières, l’été dernier, les rumeurs depuis plus d’un an qui effrayent les ressortissants syriens. Ces derniers affirment qu’ils seront maltraités par les Libanais... Il y a aussi les discours de certains de nos dirigeants, qui sont en train d’envenimer la situation », ajoute-t-il. Mohammad affirme pour sa part : « C’est vrai que les Syriens ne mettent plus les pieds au Liban. Mais c’est aussi réciproque. » En fait, beaucoup d’habitants de villages entourant Masnaa, notamment Chtaura, Taalbaya, Taanayel, Bar Élias ont pris part aux manifestations du centre-ville, l’année dernière, alors que les troupes de Damas étaient toujours stationnées dans la Békaa. Ces personnes craignent qu’elles ne soient fichées à la frontière syrienne. Elles ont ainsi peur de franchir la frontière et d’être arrêtées en Syrie. « Même ceux qui n’ont pas participé à ces manifestations ne se rendent plus à Damas pour éviter d’être insultés », ajoute-t-il. Abou Ghassan indique qu’il « préfère mourir que voir les soldats syriens réinvestir le Liban. Que l’État assure la sécurité, et le travail reprendra ». Mohammad et d’autres personnes présentes au bureau de change acquiescent. La plante de la résistance Une centaine de mètres avant Masnaa : ici, le travail des changeurs, des pharmaciens et des commerçants qui vendent toutes sortes de produits a chuté de 90 %. Nombre de magasins qui bordent la route des deux côtés ont fermé leurs portes, ne pouvant plus assumer les pertes qui s’accumulent depuis des mois. « Avant, nous n’avions même pas le temps de respirer. Maintenant, nous jouons aux cartes et au trictrac pour faire passer le temps, et nous parlons aux journalistes », indique Mohammad, qui veut malgré tout voir le bon côté des choses : « Mais quand les troupes de Damas étaient toujours là, nous n’osions pas donner notre avis. Nous ne pouvions pas parler. » À Masnaa, où la plupart des commerçants sont originaires de Majdel Anjar, on parle surtout « de l’embargo économique syrien qui frappe le Liban ». « Ils ont été obligés de partir et ils nous font payer le prix », indique Tarek, qui tient à préciser que « les Syriens sont nos voisins, et une fois la situation politique assainie entre les deux pays, ils reviendront se promener et faire des achats au Liban ». Une pharmacienne souligne qu’il « y avait dans la zone dix pharmacies qui ne désemplissaient pas. Les Syriens achetaient chez nous les médicaments importés ». « Nous sommes quasiment au chômage », dit-elle, soulignant que « certains de mes clients syriens viennent encore au Liban et sont très attristés de voir que la situation a autant empiré entre les deux pays. C’est comme s’ils nous en voulaient un peu…Mais ce n’est pas de notre faute si la situation est malsaine. » À Masnaa et à Majdel Anjar, tout le monde a rêvé du départ des soldats syriens et de celui du général Rustom Ghazalé, ancien chef des services de renseignements syriens au Liban, qui habitait une villa de Anjar. Ici, les commerçants évoquent les mesures prises de l’autre côté de la frontière : « À Jdeidet Yabous (Syrie), au barrage frontalier, les employés des douanes jettent tous les produits achetés au Liban, même si ce n’est qu’un sac de chips », indique Hajj Abdelkarim, qui tient une épicerie avec son épouse. Entouré d’autres commerçants, sur cette frontière déserte, il sait que « tout nécessite désormais des sacrifices ». Le groupe, formé d’hommes et de femmes, raconte que beaucoup d’habitants de Majdel Anjar ne se rendent plus en Syrie de peur d’être arrêtés à la frontière. C’est qu’ils avaient pris part aux manifestations qui avaient eu lieu au centre-ville après l’assassinat de Rafic Hariri, alors que les troupes de Damas n’avaient pas encore évacué le Liban. « Pour aller en Syrie sans être dérangé, quand on a une voiture immatriculée au Liban, il faut lui coller le portrait du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah », indique un commerçant. Cette remarque est également reprise par d’autres personnes à Masnaa et à Chtaura. Nazira raconte que les magasins de Masnaa qui ont ouvert leurs portes il y a plus de 25 ans n’ont jamais fait face à une telle crise. « C’est aux responsables libanais de trouver une solution. Les Syriens finiront par revenir. Avant l’arrivée des troupes syriennes en 1976, la Békaa était une zone qui vivait uniquement d’agriculture. Ici, il n’y avait ni commerces, ni changeurs, ni agences de location de voitures…Il faut encourager les agriculteurs », dit-elle. Mazen enchaîne : « Mais le gouvernement se fout de nous, il n’a jamais eu de véritables projets pour la Békaa, il ne subventionne aucun de nos produits. Il ne nous aide pas à écouler notre marchandise. » « Une seule plante est vraiment subventionnée. Mais elle ne nous appartient pas. C’est le tabac, la plante de la résistance », lance-t-il, ironique. Louer des voitures à la frontière Un peu plus loin, Younès tient une entreprise de location de voitures et un bureau de change. Il rapporte que les tarifs d’entrée au Liban, imposés à la frontière syrienne, ont presque quadruplé et confirme ce que tous les commerçants de Masnaa racontent : « Le travail a chuté de 90 % depuis le 14 février 2005. » « Je ne suis pas le seul à en souffrir. Il faut voir la situation des chauffeurs de taxi assurant la liaison Beyrouth-Damas, qui ne travaillent plus, s’endettent pour payer l’assurance – s’élevant à 230 dollars – leur permettant d’entrer en Syrie », raconte-t-il. Younès, qui a pris part aux manifestations appelant au retrait syrien l’année dernière et qui affirme qu’il est prêt à fermer boutique pour préserver la souveraineté du Liban, précise qu’il a effectué son service militaire et qu’il ne veut que de l’armée libanaise sur le sol libanais car c’est uniquement à la troupe de veiller sur la frontière. Il sait que la situation s’arrangera, mais se doute si les commençants de la région pourraient tenir le coup en attendant. « Nous sommes une zone frontalière, nous travaillons avec la Syrie. La situation est intenable, mais nous savons aussi que c’est une période exceptionnelle », dit-il. Le jeune homme, originaire de Majdel Anjar, qui a arrêté de se rendre en Syrie « depuis l’assassinat de Rafic Hariri », raconte qu’il ne voit « plus mes clients syriens car ils ont peur de venir au Liban, à cause de toutes ces rumeurs qui circulent chez eux et qui prétendent qu’ils seront tabassés, insultés et tués au Liban ». Il souligne qu’à Damas, « il y a ceux qui racontent que les voitures immatriculées en Syrie sont brûlées en plein Beyrouth». « D’ailleurs, ajoute-t-il, mes rares clients syriens qui tiennent à venir encore au Liban garent leurs voitures à Masnaa et louent des véhicules immatriculés au Liban, une fois la frontière franchie ». Gergi est avocat. Il vient de traverser la frontière à bord d’un taxi libanais. Youssef est syrien. La voiture qui le transporte s’arrête devant une pharmacie de Masnaa. Il fait quelques achats. Pause déjeuner ensuite. Il échange également ses livres syriennes contre des livres libanaises et des dollars. Gergi est pressé. Il raconte brièvement : « Je suis obligé de venir au Liban pour les affaires. Je suis damascène, ma femme est libanaise. Jusqu’au 14 février 2005, nous passions la plupart de notre temps au Liban. Ce n’est plus le cas actuellement », dit-il. Pourquoi ? « La situation n’est plus comme avant. Je me promenais normalement à Beyrouth et dans tout le Liban dans ma voiture immatriculée à Damas. Je n’avais pas à cacher mon accent syrien. Avant le 14 février 2005, les choses étaient différentes, les gens étaient tolérants, gentils. Ils sont devenus agressifs envers les Syriens », poursuit-il. Quelqu’un l’a-t-il agressé ? « Oui, et depuis, je ne viens plus avec ma voiture au Liban. J’étais à Hazmieh en mars 2005, un automobiliste a klaxonné, il m’a fait une queue de poisson avec sa voiture et m’a dépassé », raconte Gergi, qui précise en réponse à une question que « l’automobiliste ne m’a pas insulté ». Gergi a terminé son déjeuner. Il quitte les lieux. Un serveur s’exclame : « Nous avons vécu sous leur botte, sans broncher, durant trente ans. Ils nous ont tués, emprisonnés, torturés, insultés, volés… Et maintenant, ils se plaignent d’une queue de poisson, et boudent le Liban et les Libanais parce que leurs troupes sont parties et qu’ils ne sont plus les maîtres des lieux… Quel peuple ! » Il faudra probablement du temps pour que Libanais et Syriens – qui sont présentés par Damas et ses alliés au Liban comme étant un seul peuple dans deux États – puissent classer le passé et tisser à nouveaux des liens, qui doivent être normaux et sains, entre bons voisins. Les tarifs d’entrée ont quadruplé Depuis plusieurs mois, les autorités syriennes ont augmenté les tarifs douaniers à la frontière de Jdeidet Yabous (le pendant de Masnaa au Liban). Ces tarifs s’appliquent à toute voiture ou tout individu empruntant la voie terrestre en direction du Liban. Ainsi, chaque véhicule devrait verser à la douane l’équivalent de 30 dollars au lieu des 8 dollars en rigueur avant le retrait syrien. Pour les individus, le tarif a quadruplé. Ainsi, chaque individu se rendant au Liban doit payer à la douane syrienne l’équivalent de 16 dollars au lieu de 4 dollars avant le retrait des troupes de Damas. La voie militaire complètement fermée depuis janvier C’est au début du mois de janvier que la route militaire reliant le Liban à la Syrie a été totalement bloquée au niveau de Masnaa. Cette route, qui a été partiellement fermée en avril dernier, peu après le départ des troupes de Damas, est désormais inaccessible car bloquée par des monticules de sable et des chicanes, et surveillée en permanence par l’armée libanaise. Avant sa fermeture complète et durant des mois, cette route a servi de passage à plusieurs responsables libanais qui se rendaient à Damas, racontent les habitants de Majdel Anjar et les commerçants de Masnaa. Ahmad rêve de vivre dans un pays souverain Un magasin d’électroménagers à Bar Élias. Ahmad attend des clients qui se font de plus en plus rares depuis des mois. « Depuis que j’ai ouvert mon magasin, je n’ai jamais travaillé avec les Syriens. Je ne comptais pas sur eux, mais sur les habitants de la zone. La crise touche tout le monde, la situation est lamentable et les gens ne viennent plus… Ceux qui ont quelques sous préfèrent les garder, en attendant une éventuelle amélioration », raconte-t-il. Celui qui a vécu le retrait syrien comme un rêve raconte que dès « le départ des troupes de Damas, beaucoup de Libanais qui n’avaient jamais mis les pieds dans cette partie de la Békaa sont venus découvrir la région. Il y avait même parmi eux des habitants de Zahlé ». Ahmad veut vivre dans un pays souverain et indépendant, et se déchaîne contre « ceux qui veulent troquer la tutelle syrienne contre une tutelle iranienne ». « Durant trente ans, nous avons vécu sous la botte des Syriens. Ils géraient la Békaa comme ils l’entendaient. Ils sont partis. Pourquoi y a-t-il toujours des Libanais qui refusent que le Liban soit souverain ? S’ils tiennent vraiment à leurs alliés, qu’ils aillent chez eux, en Syrie ou en Iran », ajoute-t-il. « Jusqu’au début des années quatre-vingt, nous n’avons jamais eu dans nos villages des partisans du Baas. Les Syriens l’ont greffé chez nous. C’était leur façon de contrôler les localités, de semer la discorde », raconte-t-il « Je préfère jeûner et crever de faim que voir les Syriens occuper à nouveau le Liban », dit-il, ajoutant : « Basta, il est temps que les habitants de la Békaa vivent tranquillement et soient maîtres chez eux. » Ahmad, comme beaucoup d’autres, ne veut pas oublier la loi sur la naturalisation de 1994, où « des ressortissants syriens qui ne sont même pas nés au Liban ont été naturalisés. Ils sont originaires de localités loin de la frontière libano-syrienne comme Kamichli et Deir ez-Zor ». Il évoque également les produits agricoles de contrebande, que se soit le lait, la viande ou les légumes, que les Syriens écoulaient, durant des dizaines d’années, via la Békaa sur le marché libanais. Comme les autres habitants de la Békaa, c’est le dossier agricole « complètement délaissé par le gouvernement libanais » qui lui tient le plus à cœur. Il n’est pas prêt d’oublier la fermeture de la frontière l’été dernier et « les centaines de camions chargés de produits libanais frais auxquels il était impossible de passer en Syrie ». Pour Ahmad, qui a ras le bol de voir « les dirigeants qui ne servent pas la cause libanaise » et qui s’insurge contre « tous les Sharon du monde arabe », « il n’y a que Feyrouz qui est réellement patriote ». Des réfugiés palestiniens aux origines libanaises Les villages limitrophes de la route internationale de Damas et proches de la frontière syrienne abritent un certain nombre de réfugiés palestiniens qui vivent hors des camps. C’est le cas par exemple des localités de Bar Élias et de Majdel Anjar. Nombre de ces Palestiniens avait fui le Liban-Sud lors des invasions israéliennes de 1978 et de 1982. Ces réfugiés sont très bien intégrés dans la société. Certains d’entre eux ont même de la famille au Liban. Mahmoud habite Bar Élias. Il indique que sa famille est originaire du Liban, des sept villages cédés à Israël, et que son cousin a réussi à récupérer sa nationalité libanaise. Mohammad, lui, originaire de Safad, près de Saint-Jean-d’Acre, réside non loin de Masnaa où il se rend tous les jours pour travailler. Son père, qui est né dans le camp de Nahr el-Bared, à Tripoli, et qui s’est déplacé ensuite jusqu’à la Békaa, a une partie de sa famille qui possède la nationalité libanaise. Mis à part les campements illégaux du Fateh Intifada d’Abou Moussa et du FPLP-CG d’Ahmad Jibril, la Békaa abrite un camp de réfugiés palestiniens non loin de la ville de Baalbeck : le camp de Jarmac. Patricia KHODER

Le 26 avril, le Liban célébrera le premier anniversaire du retrait des troupes syriennes de son territoire, départ ayant mis un terme à 29 ans d’occupation. Il a fallu environ deux mois aux troupes de Damas, l’année dernière, pour évacuer toutes les régions qu’elles avaient investies de longues années durant. Dans la Békaa, les soldats syriens faisaient presque partie du...