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La vie dans l’angoisse près des pylônes orphelins

Un pylône gigantesque de près de cent mètres de haut à... quelques mètres à peine d’un immeuble. C’est la vue à laquelle ont droit dorénavant des centaines d’habitants du quartier de Mansourieh-Aïn Najem. En certains endroits, les pylônes (installés dans l’attente des câbles) se succèdent sur un terrain très accidenté, entourant des groupes d’immeubles qui semblent pris en tenaille. Tout profane qu’il est, l’observateur peut alors aisément imaginer que les câbles, une fois installés, passeront pratiquement juste au-dessus de ces habitations. Fady Fren et Joseph Ibrahim, deux pères de famille habitant le quartier, vivent dans l’angoisse depuis que la nouvelle est tombée. Le premier habite un immeuble qui se trouvera juste en dessous des câbles de haute tension, l’autre vit à quelques dizaines de mètres du pylône le plus proche, mais n’en a pas moins des raisons de s’inquiéter. M. Fren, notamment, combat l’éventualité de la construction d’une ligne de haute tension dans cette région très peuplée depuis des années, sans que cela l’ait empêché d’être surpris, tout comme son voisin et le reste des habitants, par la construction très prompte et très rapide des pylônes il y a quelques semaines. Tous deux ne comprennent pas pourquoi les autorités tiennent à faire passer cette ligne dans une zone peuplée par plus de trois cents familles et où se trouvent quotidiennement quelque 15000 élèves dans plusieurs grands établissements. Mais n’y a-t-il pas impossibilité technique d’adopter un autre itinéraire pour cette ligne? M. Fren dément catégoriquement. Étalant une carte officielle qu’il a réussi à obtenir, il montre que «le parcours de la ligne devait être autre, et passer tout droit par d’autres terrains non peuplés, mais l’intervention de personnages influents, à qui ces terrains appartiennent, a fait dévier ce parcours». Selon lui, la déviation est évidente puisque, «selon le plan initial, la ligne suivait son cours tout droit, alors que selon le nouveau plan, comme on peut le constater sur la carte, la ligne évolue en zigzag et effectue clairement un détour». Selon les deux hommes, les alternatives existent. «Nous avons soulevé avec les responsables la possibilité d’enfouir la ligne sur plus ou moins un kilomètre, le long de la zone peuplée, raconte M. Ibrahim. Ils ont argué du coût très élevé du projet. Or les municipalités de Mansourieh et de Beit-Méry ont proposé de s’occuper à leurs frais des excavations. Si on en déduit les droits de passage que l’EDL devra verser aux habitants dont les domiciles se trouvent sous la ligne, l’opération ne serait plus aussi onéreuse.» De plus, M. Fren évoque la fameuse «ligne Litani», qui aurait passé par la vallée non habitée de Nahr Beyrouth (Anater Zbeidé) et qui a été abandonnée depuis. Quand ils ont acheté leurs maisons dans les années 90, n’étaient-ils pas au courant de l’éventualité de la construction de la ligne? Les deux voisins pensent que les propriétaires qui leur ont vendu les appartements étaient peut-être au courant de l’affaire, mais eux pas. «Ce qui prouve que nous ne sommes pas en contravention, c’est que EDL nous a concédé un droit de passage des câbles au-dessus de nos maisons», disent-ils. Mais cela reste une maigre consolation. Les habitants savent que, désormais, leur vie ne sera plus jamais la même. «J’étais prêt à subir ce spectacle, moi qui avais acheté ma maison en partie pour sa vue imprenable, dit M. Ibrahim, montrant du doigt l’énorme pylône qui défigure désormais la vallée. Mais puis-je passer outre les risques sur la santé de mon fils?» En effet, les habitants de la zone touchée ne peuvent croire que la présence d’une ligne de 220 kilovolts à proximité des domiciles soit inoffensive. «Pensent-ils que nous sommes aussi naïfs?», s’indigne M. Fren, qui déclare s’être abondamment informé sur les risques de l’exposition permanente aux champs électromagnétiques. Dans tous les cas, il ne faudra pas attendre les conséquences à long terme sur la santé pour constater les premières retombées de cet état de fait sur cette zone résidentielle. Il y a premièrement l’impact psychologique sur les habitants qui vivent désormais en permanence dans l’inquiétude pour la santé de leurs familles à l’avenir. Mais il y a aussi un aspect plus tangible et matériel: dans ce quartier plutôt luxueux, les prix des appartements s’effondrent et la perspective de les vendre au cas où la situation devenait intenable s’avère extrêmement difficile, sinon impossible. M. Fren en a déjà fait l’amère expérience, n’ayant pu vendre son appartement à la moitié de son prix. «La situation économique n’est plus ce qu’elle était, dit-il. Il n’est plus facile de tout recommencer comme avant.» Aujourd’hui, cependant, il n’est pas question de baisser les bras, même si l’espoir est plutôt ténu. Les deux hommes évoquent avec reconnaissance le rôle dynamique joué par le secrétaire général des écoles catholiques, le père Marwan Tabet, et les députés de la région, notamment Ibrahim Kanaan, Ghassan Moukheiber et Nabil Nicolas. Ils attendent impatiemment l’expertise qui sera fournie par les spécialistes européens. Mais, selon eux, des mesures d’escalade seront prises au cas où les autorités décideraient de passer outre la contestation des habitants. «Nous demandons aux parents d’élèves des écoles du voisinage de ne pas s’opposer à la participation de leurs enfants aux sit-in, parce que cette question est vitale pour nous tous», concluent-ils.
Un pylône gigantesque de près de cent mètres de haut à... quelques mètres à peine d’un immeuble. C’est la vue à laquelle ont droit dorénavant des centaines d’habitants du quartier de Mansourieh-Aïn Najem. En certains endroits, les pylônes (installés dans l’attente des câbles) se succèdent sur un terrain très accidenté, entourant des groupes d’immeubles qui semblent pris...