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Actualités - OPINION

IMPRESSION Ancêtres

Au milieu du tintouin soulevé par les festivités de la francophonie, la voix d’un auteur africain qui racontait à la télévision son enfance dans un collège français du Cameroun. Il se souvenait, hilare, de ces cours d’histoire surréalistes où on lui apprenait que ses ancêtres étaient les Gaulois. Comme nous, les Camerounais n’ont pas cassé le vase de Soisson, ni guillotiné de roi à la Révolution française, mais comme il l’a fait chez nous, Astérix a squatté leur arbre généalogique à l’ère coloniale. Il faut reconnaître que c’était une trouvaille, cette histoire d’ancêtres gaulois communs à tous les peuples alphabétisés par la France. Une idée fédératrice. Sinon, qu’est-ce qu’un Indochinois aurait eu en commun avec un Sénégalais ou un Algérien ? Charles Corm, que l’on ressuscitait cette semaine à la faveur d’un hommage émouvant, était, lui, naturellement pétri de culture française. Ses poèmes, parfois grandiloquents, mais c’était la mode de son époque, chantaient ce nationalisme nécessaire à la survie des peuples. On dit souvent que l’écriture est une course contre la mort. Que l’on écrit pour couvrir l’impossible distance qui sépare le désir et la réalité. Corm écrivait pour que le Liban continue à vivre. Et à son tour, il avait tenté de trouver, comme le firent les Français avec leurs Gaulois, des ancêtres communs aux mille petits peuples du Liban. Par conséquent, dès la première année du primaire, on avait testé sur nous cette idée neuve : nos ancêtres les Phéniciens. Tout ce que je savais de ces glorieux ancêtres me venait des images glanées au Musée de Beyrouth : des ossements d’enfant dans une jarre brisée qui ressemblait à un œuf de dinosaure. Des statuettes en fer noir, pas bien belles, hagardes et maigres comme des Giaccometti avant l’heure, avec tout de même, voyez comme nous sommes, des grands chapeaux de clown ornés de feuille d’or. Les Phéniciens ont inventé l’alphabet. Pas pour la littérature, pour les factures. Les Phéniciens ont navigué vers des contrées que d’autres ont découvertes bien plus tard. Comme l’Amérique, dit-on. Les Phéniciens avaient des vaisseaux spatiaux et une NASA à Baalbeck. Où trouvaient-ils le pétrole ? Les Phéniciens adoraient des dieux sanguinaires, pédophiles et cannibales. Ils leur offraient des enfants et des femmes. Les Phéniciens avaient le sens des affaires. Ils vendaient des frigos aux Esquimaux. Les Phéniciens n’avaient pas le sens de l’écologie. Ils détruisaient les forêts de cèdres pour Salomon qui voulait un grand temple et qui payait gros. On a les ancêtres qu’on peut. Et les ancêtres ont la postérité qu’ils méritent. Après nous avoir offert cette lourde hérédité en partage, Corm nous a rêvés unis. Avec des ancêtres communs, il nous imaginait prêts à construire un avenir commun. Et plutôt que de nous voir nous déchirer pour un Dieu unique, le poète nous aurait bien vu revenir au paganisme. Chez nos ancêtres les païens, il y avait des dieux pour tout le monde et un dieu pour chacun. Aujourd’hui, vous ne seriez pas bien fier de nous cher grand Charles. Les navigateurs ont emporté leurs vaisseaux, nous n’avons plus que les rames. Et nous ramons, et nous ramons en rond. Fifi ABOU DIB

Au milieu du tintouin soulevé par les festivités de la francophonie, la voix d’un auteur africain qui racontait à la télévision son enfance dans un collège français du Cameroun. Il se souvenait, hilare, de ces cours d’histoire surréalistes où on lui apprenait que ses ancêtres étaient les Gaulois. Comme nous, les Camerounais n’ont pas cassé le vase de Soisson, ni guillotiné de...