Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Henri Abou Khater, l’homme du choix libanais

Henri Abou Khater, qui vient de décéder à Johannesburg (Afrique du Sud), était un vrai libanais, un homme d’une grande générosité, qui voua une grande partie de sa vie au service de son pays et de sa communauté. Grec-catholique de Zahlé, il était le fils d’Ibrahim bey Abou Khater, qui était un des trois représentants du Liban lors de la négociation du Traité de Versailles en 1922 délimitant les frontières actuelles du Liban. Né le 31 mars 1919 et dernier enfant d’une famille de sept, ses frères et lui prirent une part active dans la vie du Liban durant les années 1940 à 1975. Certains étaient juristes, à l’instar de Jamil Abou Khater, qui fut – et reste à ce jour – le plus jeune docteur en droit, diplômé de l’Université de Lyon à l’âge de 19 ans, et un des plus jeunes juges jamais nommés au Liban. D’autres s’engagèrent dans la politique, comme Joseph Abou Khater, diplomate de haut rang et ministre plénipotentiaire du Liban, Henri Abou Khater était, lui, avocat pénaliste à la cour de Beyrouth et écrivain. Homme de conviction, Henri Abou Khater a toujours intercédé pour les plus faibles. Avocat au barreau de Beyrouth, il avait été surpris en séance plénière par un client de plus de 70 ans qui avait plaidé coupable afin de couvrir le véritable auteur du crime, son neveu de 40 ans plus jeune. Le vieillard avait été convaincu à tort par sa famille que la cour aurait prononcé un verdict clément en raison de son vieil âge. Il fut condamné à vingt-cinq ans de prison ferme. Convaincu de son innocence, Henri Abou Khater fit casser le jugement.Généreux comme son frère Jamil qui, brillant juge à Beyrouth, condamnait les auteurs de crimes, mais payait les amendes à leur place, Henri Abou Khater paya de sa poche tous les frais pour redonner au vieil homme sa liberté et sa dignité. Arabe et chrétien, Henri Abou Khater aimait la Palestine, les musulmans et le monde arabe. Il avait longtemps correspondu avec le président égyptien Gamal Abdel Nasser et le rabbin français Emmanuel Lévyne, auteur du livre Judaïsme contre-sionisme, qui écrivait à propos des sionistes en 1969 que: «Reconquérir la terre d’Israël par l’argent et les armes, c’est manquer de foi: c’est-à-dire commettre le péché principal qui a été la cause de l’exil (Zohar 1, 2196). C’est le plus sûr moyen d’en repartir et d’en être chassé totalement et définitivement.» Rabbin Emmanuel Lévyne ne pouvait être qualifié d’antisémite ou de révisionniste. Ses détracteurs ne trouvèrent alors d’autres moyens de s’en prendre à lui que de détruire toutes les copies de ce livre qui demeure encore introuvable aujourd’hui. Pour l’homme de droit Henri Abou Khater, la guerre civile libanaise qui débuta en 1975 signifia que les armes avaient la parole et qu’il était temps de passer à autre chose, dans le respect de la légalité et sans compromettre ses principes. Sa connaissance de la langue arabe (il reçut le 1er prix d’honneur de langue arabe de l’Association des anciens de l’Université de Beyrouth en 1939) ainsi que du français, de l’italien (qu’il avait apprit grâce à sa femme, Biancamaria, qu’il épousa en 1952 à Rome) et de l’anglais et son goût pour l’écriture et la philosophie prirent le dessus. De 1969 à 2004, il publia plusieurs ouvrages (auxquels de nombreux articles de presse furent consacrés) en langue arabe, en français et en italien. Durant l’été 1976 , il tenta pacifiquement de s’opposer aux pyromanes qui allumaient les feux de la guerre. Il publia de nombreux articles et tracts, qui exhortaient les Libanais chrétiens et musulmans à ne pas tomber dans le piège. Homme influent, très respecté et doté d’un grand charisme, il reçut plus d’une proposition pour rejoindre à tour de rôle les deux camps durant la guerre. Il refusa de manière catégorique et avec beaucoup de courage, allant même jusqu’à s’exprimer devant des assemblées hostiles aux idées qu’il défendait. Il avait très vite compris qu’au jeu de la violence, le Liban et chaque participant perdraient leurs âmes. On lui posa un jour de 1980 la question de savoir si entre l’occupation syrienne et l’occupation israélienne et pour avoir la paix il n’y avait pas lieu de choisir le moindre mal et faire preuve de «pragmatisme». Il saisit la balle au bond et rétorqua: «Qu’est-ce que le pragmatisme, si ce n’est brader au plus offrant nos principes ? En tant que Libanais, je ne pourrais jamais cautionner l’occupation syrienne, et en tant qu’Arabe, je ne serais jamais un traître à la solde d’Israël.» Henri Abou Khater avait un sens profond de son identité libanaise. À l’heure d’aujourd’hui où le Liban souffre toujours d’une crise d’identité et oscille entre l’appui à l’occupation syrienne et l’opportunisme de la pax americana attisé par les sionistes, force est de constater, plus de 20 ans après cette réflexion d’Henri Abou Khater sur un pragmatisme à court terme, que le sectarisme ne sera vaincu que si les Libanais acceptent que leurs différences constituent une richesse unique qui leur permet d’être le pont entre l’Occident et le monde arabe auquel ils appartiennent. En tant que Libanais, nous ne pouvons que regretter profondément que ce manque d’identité à l’échelle nationale se soit développé, depuis notre indépendance de 1943. Dans un monde où la raison du plus fort est toujours la meilleure et où toute allégeance s’achète et se défait à coup de pétrodollars, Henri Abou Khater nous a appris que le courage ne réside pas dans la capacité à utiliser la force physique ou ne consiste pas à céder à la corruption économique, mais plutôt dans notre capacité à ne pas compromettre notre héritage de valeurs et de principes. Tarek ABOU KHATER

Henri Abou Khater, qui vient de décéder à Johannesburg (Afrique du Sud), était un vrai libanais, un homme d’une grande générosité, qui voua une grande partie de sa vie au service de son pays et de sa communauté. Grec-catholique de Zahlé, il était le fils d’Ibrahim bey Abou Khater, qui était un des trois représentants du Liban lors de la négociation du Traité de Versailles en...