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Un entretien avec le P. Fadi Daou, directeur général de l’Institut supérieur des sciences religieuses de l’USJ Une question brûlante : peut-on dépasser le confessionnalisme politique ?

L’Institut supérieur de sciences religieuses (ISSR) de l’USJ organise aujourd’hui une conférence dont le thème, « Les chrétiens et le renouveau politique au Liban », reflète une volonté de repenser, ou mieux, de poser à nouveau le rapport entre foi et engagement politique, dans une société dangereusement minée par le communautarisme (*). Sur ce thème brûlant interviendront le ministre de la Culture, Tarek Mitri, et le représentant de la communauté druze au sein du comité national pour le dialogue islamo-chrétien, Abbas Halabi. Le modérateur de cette rencontre sera Carole Dagher, et l’on peut gager qu’elle ne se contentera pas de présenter les conférenciers. En avant-propos, il nous a paru utile d’interroger le père Fadi Daou, directeur de l’ISSR, sur ce qui l’a poussé dans cette direction. Vous rêvez pour le Liban, et les chrétiens en particulier, d’une nouvelle théologie politique ? Qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Il n’est pas difficile de constater que le confessionnalisme nous met dans une situation d’impasse. Sur le plan individuel, le confessionnalisme déforme la foi, en jouant sur les sentiments d’angoisse, de peur de l’autre, d’insécurité existentielle. Sur le plan politique, le confessionnalisme ralentit dangereusement le processus national. Les choses sont bloquées faute d’un consensus intercommunautaire. Du point de vue chrétien, l’émergence d’une théologie politique permettra d’assumer cette mission critique de revisiter le lien entre la foi chrétienne et l’engagement politique au Liban. On a tendance à croire qu’il n’y a pas d’alternative au confessionnalisme, du fait que le christianisme ne propose pas une théorie politique et ne prétend pas au pouvoir. Ceux-là oublieraient l’essentiel de la foi chrétienne, son incarnation et son engagement dans toutes les dimensions de la vie humaine. Mais ne sommes-nous pas condamnés au communautarisme, de par la nature même de la religion musulmane, qui ne distingue pas entre les deux sphères du sacré et de la politique ? Certes, certains musulmans rêvent toujours d’un État islamique. Cependant, pour ma part, je refuse d’enfermer le musulman dans un cadre communautariste. L’islam libanais est très divers, et il y a des musulmans qui sont contre un tel État. Je pense par ailleurs que le rapport à l’islam dépend en partie de l’existence d’une théologie politique musulmane qui ferait de son côté la déconstruction du rapport de la religion musulmane à l’ordre politique dans le contexte libanais. De son côté, un chrétien ne cherche pas une patrie qui lui appartienne exclusivement. Si ce rêve continue de rôder dans certains esprits, il faut au moins que ces derniers sachent qu’ils ne peuvent pas le justifier par leur foi chrétienne. La notion de « Royaume chrétien » est antinomique avec l’idée de « Royaume de Dieu », qui est au cœur du message évangélique. Le chrétien se situe donc d’emblée en société en tant que partenaire. Vous faites une critique du confessionnalisme politique, mais sans proposer autre chose que des espoirs qui, peut-être, ne se matérialiseront jamais. Il faut quand même essayer. Ce que nous recherchons d’abord, et de toute urgence, c’est l’émergence d’un débat interne dans chaque communauté, ce qui élèverait le niveau général du discours politique dans le pays, et favoriserait le décloisonnement des communautés. Ceci devrait progressivement aboutir à la libération de la pensée politique véritablement prise en otage. C’est pourquoi, dans les pays de longue tradition démocratique, quand il s’agit de questions fondamentales, on fait appel aux citoyens par la voie référendaire et non aux responsables des communautés qui pourraient décider à leur place. Mais certains Libanais voient plutôt dans la laïcité la solution à l’enlisement dans le communautarisme. Une théologie politique exclut-elle la laïcité ? Pas du tout ! La laïcité, dans son sens modéré, signifie la construction d’un système politique autonome par rapport à toute instance religieuse, et fondé sur la représentativité citoyenne. Dans ce sens, la théologie politique peut même être au service de la laïcité, en empêchant l’exploitation du sentiment religieux à des fins politiques. La laïcité n’est pas a priori contre la religion. Et la foi chrétienne n’est pas contre une laïcité respectueuse des valeurs humaines et religieuses fondamentales. Le milieu universitaire est-il le lieu idéal pour lancer pareille initiative ? Il ne faut pas se faire des illusions. La politique est avant tout un système fondé sur le pouvoir. Le discours universitaire n’est qu’un maillon de la chaîne. Il contribuera à l’émergence d’une nouvelle culture politique. Les citoyens et les partis pourront s’en inspirer, comme nous le souhaitons. Je sais qu’il y aura des résistances. Cela dit, et pour répondre à votre question, je dirais que l’USJ n’est pas étrangère à ce type d’engagement. Aux temps des résistances, elle était au rendez-vous. Pourquoi ne le serions-nous pas aujourd’hui ? Cependant, je pense qu’il est plus facile de résister que de construire un pays. Avant, il fallait du courage pour affronter l’agresseur ; maintenant, il faudra du courage pour affronter ses propres angoisses et égoïsmes. Nous sommes appelés à passer des slogans aux concepts, de la propagande à la culture, de la mobilisation à la réflexion. Propos recueillis par Fady NOUN (*) Campus des sciences humaines, rue de Damas, bâtiment C, 5e étage, salle polyvalente, 18h30.

L’Institut supérieur de sciences religieuses (ISSR) de l’USJ organise aujourd’hui une conférence dont le thème, « Les chrétiens et le renouveau politique au Liban », reflète une volonté de repenser, ou mieux, de poser à nouveau le rapport entre foi et engagement politique, dans une société dangereusement minée par le communautarisme (*). Sur ce thème brûlant interviendront...