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Actualités - REPORTAGE

Patrimoine - Les taux d’exploitation du sol risquent de défigurer le secteur Douze tours mettent le quartier de Gemmayzé en péril

Dans quelle mesure peut-on encore sauver les derniers fragments témoignant de l’histoire architecturale de Beyrouth ? La guerre et ses destructions, la progression démographique et l’extension foncière ont rogné l’héritage architectural de la capitale. Aujourd’hui, les pierres rescapées sont prises en étau par l’acier et le béton, et ne représentent plus que 2,5 % de l’immobilier. Le ministère de la Culture s’efforce depuis 1995 de mettre fin à cette érosion, mais l’application des mesures proposées est toujours renvoyée aux calendes grecques. Les projets de lois portant sur le patrimoine mobilier attendent toujours dans les dédales labyrinthiques de l’administration et les cinq secteurs à caractère historique, Gemmayzé, Furn el-Hayek, Abdel Wahab el-Inglizi, Monnot et Aïn el-Mreisseh, risquent de disparaître. En effet, douze tours attendent le feu vert du Conseil supérieur de l’urbanisme pour planter leur décor à Gemmayzé, un des premiers quartiers à s’être développé entre 1850 et 1920 hors des murs médiévaux de Beyrouth. Dénoncés par l’Apsad (Association pour la protection des sites et anciennes demeures), Umran, la Fondation du patrimoine et l’Association de développement de Gemmayzé, ces immeubles, pouvant atteindre jusqu’à 30 étages, sont qualifiés d’« incompatibles avec le tissu urbain ». Car aujourd’hui, le débat n’est plus réduit à un conflit entre deux camps opposés, les conservateurs et les novateurs, mais il se pose en termes de défi à relever : reconstruire tout en respectant la particularité du quartier, l’ordre et la régulation urbaine. Voilà ce que préconisent les défenseurs du patrimoine, estimant que pour minimiser les dégâts et assurer une continuité entre le traditionnel et le moderne, les nouvelles constructions doivent s’inscrire dans le site et être cohérentes avec leur environnement. « Par conséquent, les tours prévues dans Gemmayzé sont à reconsidérer, principalement sur le plan de la densité de l’occupation du sol. » Sinon, ce sera l’asphyxie qui nous prendra à la gorge. Sans penser à cette infrastructure datant de plusieurs décennies et qui n’en peut plus d’absorber une telle densité. Les contestataires ont exprimé l’espoir, dans leurs démarches, auprès des ministères de la Culture, du Tourisme et des Travaux publics, de voir des normes établies et des lois élaborées afin de mettre fin aux travaux anarchiques. Ils ont réitéré les requêtes présentées, depuis longtemps, à la Direction générale de l’urbanisme (DGU) : définir les formes, les matériaux, les gabarits, la hauteur des édifices, le recul, les échelles des bâtiments et mettre le holà à toutes les pressions, les influences et les marchandages. « Le plan d’urbanisme de Beyrouth, mieux connu sous le nom de “zoning Beyrouth”, date des années cinquante », rappelle l’architecte Grégoire Sérof. Il signale que « dans toutes les villes du monde, même asiatiques et africaines, le centre est préservé par une réglementation très dure excluant les taux d’exploitation des terrains susceptibles de défigurer son identité historique. La particularité libanaise a consisté à planifier le contraire. Le centre a bénéficié depuis le début de coefficients d’exploitation du sol très élevés… Et les quartiers proches du centre, tels que Saïfi et Rmeil comprenant la très caractéristique rue Gouraud (ou rue Gemmayzé), ont hérité d’une législation de construction garantissant la disparition irrémédiable de son tissu urbain si des mesures immédiates et radicales ne sont pas prises », souligne Sérof. Joseph Reaïdy, président de l’Association de développement de Gemmayzé, ajoute pour sa part qu’« il est du droit des promoteurs de chercher le profit maximum, mais il n’est pas de leur droit de dénaturer le quartier. Celui-ci doit être soumis à une étude réglementant la construction ». Il insiste aussi sur le fait que l’État ne peut pas continuer à appliquer une politique de deux poids, deux mesures permettant aux uns de démolir pour édifier des tours et aux autres d’assumer seuls la sauvegarde des vieilles bâtisses. « Un bon nombre de bâtiments “classés” appartiennent à des personnes de conditions moyennes dont la survie dépend de la vente de leur terrain. Il faut leur trouver des compensations : une contribution de l’État axée sur le transfert de coefficient ; un droit de vue, une exonération de l’impôt sur le revenu … » En bref, des lois de compensation donnant les moyens d’agir pour arrêter le massacre de Beyrouth. Mais trouvera-t-on jamais un juste milieu dans ce pays aux mille extrêmes ? Contacté par L’Orient-Le Jour, Berje Hatjian, directeur général de l’urbanisme par intérim, s’est refusé à tout commentaire. « Je suis fonctionnaire ; je ne peux faire de déclaration qu’après autorisation des autorités politiques concernées », s’est-il contenté de souligner. May MAKAREM

Dans quelle mesure peut-on encore sauver les derniers fragments témoignant de l’histoire architecturale de Beyrouth ? La guerre et ses destructions, la progression démographique et l’extension foncière ont rogné l’héritage architectural de la capitale. Aujourd’hui, les pierres rescapées sont prises en étau par l’acier et le béton, et ne représentent plus que 2,5 %...