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CORRESPONDANCE - Table ronde sur la révolution du Cèdre au Salon du livre de Paris D’un Printemps libanais à l’autre…

PARIS, de Zéna ZALZAL Certains d’entres eux étaient à cette même tribune, il y a un an, en compagnie de Samir Kassir. Avec l’enthousiasme en plus. Cette année, c’est avec un sentiment plus mitigé, pas vraiment « désillusionnés », mais certainement moins euphoriques, qu’ils se sont retrouvés, dans le cadre du Salon du livre de Paris et devant un auditoire nombreux, pour analyser et commenter les événements de 2005 au Liban. Réunis par Henry Laurens (professeur au Collège de France) autour d’une table ronde sur le thème du « Printemps libanais », Samir Frangié, Ziyad Maged, Joseph Maïla (directeur du Centre de recherche sur la paix et de l’Institut de formation à la médiation et à la négociation) et Asma Andraos (en charge du groupe Société civile au sein du mouvement Indépendance 2005) ont dressé le bilan d’un printemps malheureusement inachevé. Un printemps libanais qui s’éternise, a fait remarquer le modérateur français au point de « sembler devenir éternel » ! Les interrogations de Samir Frangié Quelle est la nature de ce printemps libanais ? Pourquoi cette révolution, qui a conduit au retrait syrien du Liban, n’a pas été au bout de sa logique ? À quel avenir peut-on réflechir ensemble ? C’est à l’ensemble de ces questions qu’ont essayé de répondre le plus sincèrement possible – et sans chercher à s’extraire des responsabilités – les intervenants. Premier à prendre la parole, Samir Frangié a entamé une réflexion par strates. « Est-ce que ce printemps a été l’expression d’une volonté politique ou a-t-il été l’expression du ras-le-bol de la société libanaise ? Les forces du 14 Mars se réduisent-elles aux forces politiques ou est-ce que ce mouvement déborde les politiques pour concerner l’ensemble des Libanais ? Ce mouvement peut-il être réduit à quelques revendications (comme par exemple le changement présidentiel, la question des armes du Hezbollah ou celle des fermes de Chebaa) ? Ou marque-t-il le point de départ d’une refondation du pays ? Faudra-t-il, une fois les problèmes litigieux réglés, créer un État strictement sur la base d’une identité communautaire ou faut-il travailler à élaborer un État sur la base de l’égalité des droits entre citoyens, et qui prenne en considération la pluralité des identités communautaires ? » Des questions qui dressent le plan de l’intervention de Samir Frangié. « Le 14 Mars n’est pas l’incarnation d’une volonté politicienne. C’est au contraire la première manifestation après la longue expérience de la guerre de la volonté des Libanais – toutes confessions confondues – de vivre ensemble. Ce qui s’est passé ensuite, c’est que le séisme était d’une telle ampleur qu’on a assisté à des peurs, des retours en arrière, des crispations et des querelles politiciennes. Je pense que ces réactions sont normales, l’événement était tellement énorme et inattendu que les forces politiques présentes – et je parle sans distinction aucune – n’étaient pas encore prêtes à suivre. » Sauf que selon le député du Nord, le 14 février 2006, les manifestants descendus spontannément dans la rue ont donné une seconde chance aux politiciens. « Cette nouvelle chance doit déboucher sur une nouvelle Constitution. On ne peut plus continuer à considérer que la hantise démographique des chrétiens ou des druzes, le sentiment de persécution des chiites, le sentiment de frustration des sunnites peuvent continuer à constituer le moteur de l’histoire libanaise. Le grand débat, qui devrait s’instaurer après l’achèvement du dialogue actuellement en cours, devrait s’attaquer à la formulation d’un nouveau projet. Le mouvement du 14 Mars, avec toutes ses composantes, peut aboutir à un Liban différent de celui que nous avons connu. Et je pense que l’accord de Taëf, dans une lecture non communautaire (puisqu’il arrête le décompte démographique) nous en offre le moyen. » Vice-président du Mouvement démocratique de gauche au Liban, Ziad Maged a, pour sa part, rappelé que le Printemps de Beyrouth ne se limite pas aux 14 mars et 14 février. « Il y a eu des bourgeons avant. Pendant les années 90, il y a eu énormément de militantisme : des signatures de pétitions par les intellectuels, des manifestations d’étudiants contre le régime syrien et la corruption. Il y a eu aussi, à partir de 2000, la fondation du Rassemblement de Kornet Chehwan, avec son discours politique mûr et relié à la question de l’indépendance du pays, et la tribune démoratique (également reliée à la question de l’indépendance et de la démocratie). Ce qui a changé avec l’assassinat de Hariri, c’est la contribution du bloc sunnite au grand soulèvement. » Les ratages, selon Maged Pour Ziyad Maged, le laboratoire politique qu’a vécu le Liban au centre-ville entre le 14 février et le 14 mars 2005 « a donné la sensation qu’un autre Liban est possible ». Malheureusement « ce momment de refondation du Liban, on l’a râté temporairement ». À cause des hésitations communautaires, de certaines alliances électorales douteuses, de la répétition de mécanismes du passé et d’une abscence de projet véritable pour la reconstruction de l’État, a indiqué en substance, et en toute franchise, Ziyad Maged. Qui affirme cependant que tout n’est pas perdu puisque « depuis quelques mois, nous sommes en train de revivre de nouvelles énergies politiques qui, avec de la persistance et plus de relations entre les leaders et la rue, pourraient donner lieu à un nouveau contrat. Un Liban qui serait fondé sur des réformes politiques, économiques, administratives, sur une certaine justice sociale et sur le dépassement des communautarismes actuels ». Mais la démocratie au Liban n’est pas viable et durable, sans une démocratie à nos frontières, en Syrie, et sans le règlement de la cause palestinienne... a également signalé le vice-président de la Gauche démocratique au Liban. Les espérances déçues de la société civile Très active au sein de la sociét civile, Asma Andraos, qui a assuré la logistique du camp de la Liberté de la place des Martyrs a apporté, elle, son témoignage en tant que représentante de la jeunesse libanaise en commençant par dresser le bilan positif des événements de l’année écoulée : « On est aujourd’hui libre de dire ce qu’on pense au Liban. Même si certains ne sont pas totalement libres, comme les journalistes par exemple qui sont encore en danger. Et, chose très importante, on a réalisé qu’on a le droit d’avoir une opinion, de ne pas être d’accord, sans que cela ne signifie qu’on va s’entre-tuer. » La synthèse de Joseph Maïla Remettant les points sur les « i », Asma Andraos a également affirmé qu’ « au moins 50 % de la population est descendue dans la rue, non pas pour soutenir tel ou tel politicien, mais pour le Liban. Cette rue-là éprouve aujourd’hui un sentiment de désillusion, car elle était là pour demander un changement intrinsèque de la structure du système libanais. Cette population a investi la place pour dénoncer un problème dont on n’ose pas encore beaucoup parler : le confessionnalisme. Qui ronge notre société et notre administration à tous les niveaux, qui engendre le clientélisme,la corruption.. En vrai analyste, Joseph Maïla a fait, pour sa part, une synthèse des propos et des événements. Il a d’abord réfléchi sur ce qu’a été le Printemps de Beyrouth : « Quelque chose de formidable, qui a permis la redécouverte, dans l’histoire libanaise, de ce qu’on pourrait appeler le “périmètre démocratique”. Pour la première fois, en redescendant dans la rue, les Libanais ont exprimé leur vouloir vivre en commun dans un espace politique, défini comme territoire de souveraineté démocratique ». Par contre, « le 14 Mars n’est pas un mouvement démocratique, car nous ne sommes pas sortis du confessionnalisme qui hiérarchise et divise ». Tout l’enjeu maintenant est, selon Joseph Maïla, « de penser la vigilance démocratique (et c’est la société civile qui doit l’exercer pour faire en sorte que le Liban ne retombe pas dans ses vieux démons). De trouver une sortie non confessionnelle au confessionalisme (contrairement à ce que nous présente l’accord de Taëf) et de cultiver l’espérance démocratique, non seulement pour nous, mais pour l’ensemble du Moyen-Orient ».
PARIS, de Zéna ZALZAL

Certains d’entres eux étaient à cette même tribune, il y a un an, en compagnie de Samir Kassir. Avec l’enthousiasme en plus. Cette année, c’est avec un sentiment plus mitigé, pas vraiment « désillusionnés », mais certainement moins euphoriques, qu’ils se sont retrouvés, dans le cadre du Salon du livre de Paris et devant un auditoire nombreux, pour...