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Opinion L’intégration nationale, un concept fasciste

À écouter le discours adopté par l’ensemble de la classe politique, on dirait que la guerre du Liban n’a jamais eu lieu. Elle correspondrait plutôt à une hallucination collective que tout le monde s’est hâté d’oublier. Au lieu d’essayer de comprendre cette guerre afin qu’elle ne se reproduise plus, nos politiciens préfèrent suivre la politique de l’autruche qui leur permet de continuer à se mentir les uns les autres et à fuir les vrais problèmes. La cause de cette raison morale et politique est sans aucun doute notre démocratie consensuelle unique qui, comme son nom l’indique, est basée sur les concessions mutuelles, mais aussi l’hypocrisie. Malheureusement, la plupart du temps, c’est une communauté, ou l’alliance entre plusieurs d’entre elles, qui gouverne et impose ses lois. Ainsi, les concessions sont faites uniquement par la (ou les) partie(s) faible(s). L’un des principaux slogans de cette politique hypocrite était, et demeure, « l’intégration nationale ». La Constitution, les lois, les médias, le discours politique... suivent tous une seule logique et imposent à tous les citoyens libanais une seule et unique vision du Liban et de la citoyenneté libanaise. Le pire, c’est que les critères et la substance de cette intégration nationale changent selon la partie au pouvoir qui cherche à véhiculer à travers ce slogan ses propres principes et vision du Liban. Cette vision est, par conséquent, au centre d’une propagande que la partie en question cherche à imposer à toute la mosaïque libanaise, essayant ainsi d’uniformiser les Libanais et d’éliminer toute forme de multiculturalisme local. Des concepts semblables à notre « intégration nationale » ont déjà été employés par tous les régimes nationalistes fascistes du début du siècle dernier, notamment en Allemagne, en Italie et en Espagne. Le défi de ces régimes totalitaires était de prouver à leurs citoyens et au monde que leurs pays étaient des États-nations et que leur population était homogène. Pour atteindre ce but, ils employèrent tous les moyens militaires et médiatiques à leur disposition. Certains ont adopté des critères raciaux comme ce fut le cas dans l’Allemagne hitlérienne qui a opéré une véritable épuration ethnique éliminant ainsi les juifs, les Arabes, les Tziganes, les handicapés... D’autres, comme Franco, ont mené une guerre culturelle contre tous les peuples d’Espagne, comme les Basques et les Catalans, en leur interdisant de porter leurs costumes folkloriques, de célébrer leurs fêtes traditionnelles et même de faire usage de leur langue locale. Au fil du temps, la diversité s’est manifestée dans tous les pays du monde y compris au sein de pays qui se veulent des États-nations. Après le soulèvement des minorités dans la région des Balkans, connue pour la diversité de son tissu social, c’est au tour d’États qui se veulent des États-nations de voir surgir aujourd’hui des revendications identitaires. La France, à titre d’exemple – qui ne s’est toujours pas remise de la récente crise des banlieues –, a même fini par reconnaître l’existence d’une crise identitaire, comme l’a souligné la déclaration du président français lui-même. Alors que le monde entier s’oriente vers la reconnaissance de la diversité et du multiculturalisme, notre lumineuse classe politique navigue à contre-courant en essayant de faire de la surenchère en se basant sur une logique plus que discutable. Le Liban, pays multiculturel par excellence, avec ses 18 communautés religieuses, ayant chacune son identité, son histoire, sa culture, ses habitudes, le Liban avec ses approches différentes du concept de citoyenneté, et suite à la guerre civile de 30 ans, s’avère être un « État-nation », à en croire nos grandes têtes pensantes. Ainsi, depuis 1943, les mouvances au pouvoir tentent, chacune à son tour, d’utiliser le concept d’intégration nationale pour imposer à toutes les composantes libanaises leur vision de ce soi-disant État-nation qui change d’identité avec chaque changement des rapports de forces internes. De nos jours, à titre d’exemple, l’intégration nationale passe : par la reconnaissance de l’identité arabe du Liban alors qu’il est censé être un pays pluriculturel ; par la reconnaissance de l’accord de Taëf alors que ce dernier constitue pour beaucoup de Libanais un accord d’armistice signé par le Liban du fait de son occupation par le voisin syrien ; par l’occultation de la guerre du Liban, de ses causes et de ses réalités alors qu’on ne peut bâtir l’avenir sans comprendre notre passé douloureux ; par l’octroi du statut de Résistance au Hezbollah alors que cette milice, qui ne cache pas sa volonté d’établir un État islamique au Liban, est considérée comme une organisation terroriste par la communauté internationale, notamment les États-Unis ; par le souvenir d’un seul et unique martyr de l’indépendance du Liban alors que les martyrs de la résistance libanaise se comptent par milliers et comptent parmi eux de grands hommes d’État ainsi que des héros qui constituent la source d’inspiration de toute une génération ; par le passage sous silence de toute la période d’occupation syrienne entre 1990 et 2004 alors que pendant cette période les grands démagogues au pouvoir à l’époque, qu’ils soient aujourd’hui pro ou antisyriens, se sont rendus coupables de collaboration avec l’occupant, de vol des caisses de l’État, d’abus de pouvoir, de complicité dans les assassinats politiques perpétrés durant cette période par les services syriens, d’atteinte aux droits de l’homme sous toutes leurs formes, notamment en ce qui concerne les sévices dont ont été la cible les étudiants libanais ainsi que toute personne s’étant opposée à l’occupation syrienne. Telles sont donc les quelques conditions à remplir pour que le citoyen libanais soit, aujourd’hui, politiquement correct et qu’il puisse briguer un poste législatif ou ministériel. À notre avis, il est nécessaire d’accepter que les malheurs du Liban trouvent leur source, notamment, dans l’hypocrisie qui régnait et qui règne toujours au sein de la classe politique. En effet, la crise de 1958, par exemple, qui a failli très mal tourner, aurait dû éveiller les consciences et initier un dialogue sur les grandes divergences sociales, politiques et identitaires. Mais c’était sans doute un pas beaucoup trop logique et rationnel. On préféra à l’époque tourner rapidement la page. À notre avis, ce n’est pas en essayant de cacher les différences et d’éliminer le pluralisme identitaire et politique du Liban que nous réglerons le problème. Bien au contraire, si l’on désire la paix et la prospérité, il faut commencer par accepter les différences et les désaccords. Il s’agira ensuite d’envisager un congrés national sous l’égide de l’ONU afin d’assurer la neutralité et la crédibilité du dialogue. Les craintes et les attentes des différentes communautés y seraient discutées en toute liberté et sans aucun tabou. Les efforts devraient ensuite porter sur l’édification d’un nouveau système politique qui permettrait à chaque Libanais de sentir que ce pays est le sien et qu’il y vit respecté, libre et fier. Samy GEMAYEL
À écouter le discours adopté par l’ensemble de la classe politique, on dirait que la guerre du Liban n’a jamais eu lieu. Elle correspondrait plutôt à une hallucination collective que tout le monde s’est hâté d’oublier. Au lieu d’essayer de comprendre cette guerre afin qu’elle ne se reproduise plus, nos politiciens préfèrent suivre la politique de l’autruche qui...