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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - « Qu’elle aille au diable Meryl Streep », mise en scène par Nidal el-Achkar, au Madina * Sexe, mensonges et télévision

C’est à une œuvre salutaire de dynamitage des faux-semblants et des idées creuses que nous entraînent Nidal el-Achkar and Co. avec «Qu’elle aille au diable Meryl Streep». Un nouvel opus qui nous mène, soixante-quinze minutes durant, sur les pas d’un couple qui s’ébat et se débat dans un bouillonnement maîtrisé de mots, d’images et de gestes. Chroniques, sur le mode grinçant, des désordres matrimoniaux, sur fond d’analyse des mécanismes d’aliénation qui taraudent les cultures arabes, en général, et la libanaise, en particulier. Ils se sont rencontrés la première fois dans un café sur le bord de mer. C’était un «blind date» orchestré par la maman du jeune homme. Lorsque «elle», en robe blanche virginale, a commandé une bière, «lui» a sursauté. Il veut se marier, pour s’intégrer dans la société et avoir des enfants. Elle l’a aussi choisi par défaut, parce que mieux vaut être divorcée que célibataire. Les premiers jours de mariage, lui se consume de désir non assouvi. Elle ne cesse d’aller chez sa mère, «parce qu’elle a la télévision câblée». Il achète donc l’objet en espérant obtenir, finalement, les faveurs de sa tendre épouse. Il succombe à son tour à la fascination des images venues du monde entier. Le film Kramer contre Kramer le bouleverse. Ne comprenant pas l’anglais, il parvient juste à deviner que la célèbre actrice est en train de se séparer de son mari. Il admire la liberté de Meryl Streep, mais sent confusément que cet idéal est en contradiction avec sa volonté étriquée d’avoir une femme qui soit «vierge, qui soit pure de tout savoir et de tout plaisir», et qu’il soit seul à «posséder», comme c’est «son droit» de le désirer, voire de l’exiger, conformément aux coutumes dont il est l’héritier. Ce divorce le renvoie soudain à la réalité de son propre couple. Il se rend compte, au fur et à mesure, qu’elle connaît des termes, des pratiques sexuelles «enseignées dans les magazines». Elle se sert de mots anglais ou français lorsqu’elle évoque le sexe (comme si elle ne devait avoir qu’une langue étrangère à son corps pour exprimer le désir ou le plaisir). Lui, alors, s’inquiète de la vertu de sa jeune épouse. Il la harcèle de questions quand il soupçonne qu’elle n’était pas vierge. Ce qui ne l’empêche pas, à lui mâle dominateur et moralisateur, de se vanter d’avoir couché avec d’autres femmes. Mais l’idée que son épouse, celle qui lui «appartient» et qu’il a acquise par le mariage, ait pu «se donner» à un autre, lui est proprement insupportable. Peut-il vraiment croire à la virginité de son épouse avant le mariage alors que les médecins savent maintenant très bien réparer les choses? Alors que les filles dans ce pays ressemblent à des poêles antiadhésives? Quelle a été, au fond, la vie de cette femme dont il ne sait finalement pas grand-chose et qui lui échappe chaque jour un peu plus? Le spectateur suit la lente descente aux enfers des personnages, avec un humour acerbe et faussement naïf. Le rire est au détour des phrases que le couple se lance comme des roquettes. L’intelligence du détail Ils sont trois à se partager la scène. Elle (Rana Alamuddin), lui (Élie Karam) et l’écran. Scénographie épurée, dénudée, pour une histoire de couple en forme d’artichaut, qui dévoile à tout instant une nouvelle facette de l’homme et de la femme, jusqu’au drame final. Les acteurs tirent leur épingle du jeu avec un professionnalisme admirable. Leur performance scénique est minutieusement travaillée. Tout est dit dans une inflexion de voix, un penchement d’épaule, un frémissement de jambe. Mohammad Kacimi a théâtralisé le roman de Rachid el-Daïf avec juste ce qu’il faut d’audace. Élie Karam l’a «libanisé» avec beaucoup de justesse, en adoptant une langue beyrouthine familière et proche. Nidal el-Achkar et son nucléus de jeunes pros ont plébiscité ainsi un langage résolument et formidablement moderne. C’est une pièce où l’on rigole beaucoup. Mais l’on réfléchit aussi sur le lien (d’opposition, d’analogie) entre le couple et la communauté, qu’elle soit familiale, politique ou sociale. Car cette pièce de couple, intime voire intimiste, est aussi une pièce éminemment politique et militante. La cellule conjugale problématique et violente est à l’image des turpitudes de la société libanaise. Les deux personnages ont intimement vécu ce qu’on appelle parfois d’un euphémisme «les déchirures» libanaises. Leur quotidien conjugal, avec ses exaspérations, ses dégoûts, ses mesquineries, ses mensonges, ses démons, son hypocrisie, son égoïsme, son aveuglement et, surtout, l’incommunicabilité, le dialogue avorté rappellent immanquablement notre quotidien politique. Au chaos intime répond l’incohérence du pays. Tostofil Meryl Streep? Une petite merveille d’intelligence, un kaléidoscope étourdissant sur les relations homme-femme. Crise de couple mais aussi et surtout réflexion plus large sur une société sclérosée dans ses conflits, ses oppressions, ses mensonges et ses faux-semblants. Pour s’oublier, se perdre, se retrouver, rêver mais aussi douter, questionner ensemble dans ce lieu magique du théâtre qui est pour Nidal el-Achkar un des derniers refuges de la pensée agissante. L’équipe de travail Assistant mise en scène: Jessy Kossaify Décor: Nada Zeini Éclairage: Mona Knio Musique: Khaled Naim (composition et guitare) et Fouad Zakka (clarinette) Travail corporel et mouvements: Nada Kano Affiches et programme: Caroline Dagher et Karine Wehbé Dessins: Omar Khouri Images et montage vidéo: Liliane Hanbali Consultation artistique: Nagy Souraty Directeur technique: Mohammad Farhat Directeur de production: Louay Ramadan. Maya GHANDOUR HERT * Jusqu’au 9 avril. Tél.: 01/753070-1.


C’est à une œuvre salutaire de dynamitage des faux-semblants et des idées creuses que nous entraînent Nidal el-Achkar and Co. avec «Qu’elle aille au diable Meryl Streep». Un nouvel opus qui nous mène, soixante-quinze minutes durant, sur les pas d’un couple qui s’ébat et se débat dans un bouillonnement maîtrisé de mots, d’images et de gestes.
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