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Actualités - REPORTAGES

Pour Joël Hubrecht, spécialiste de la région, la solution tient en un triptyque : indépendance, décentralisation et intégration à l’UE Le règlement de la question kosovare, un espoir de stabilisation pour les Balkans

Lundi dernier, Serbes et Kosovars se sont assis autour d’une même table pour discuter de l’avenir du Kosovo, province administrée par les Nations unies depuis 1999. Il s’agissait là des premiers entretiens directs entre Belgrade et Pristina. Si au bout de 48 heures, les deux délégations sont rentrées chez elles sans être parvenues à des avancées majeures, les observateurs ont souligné le « ton positif » qui a régné lors de cette rencontre. Les deux parties doivent en outre se retrouver le 17 mars. Joël Hubrecht* assistant de recherche à Paris au Centre d’études et de recherches internationales et spécialiste des Balkans, revient sur ces négociations ainsi que sur les options envisageables pour l’avenir du Kosovo dans le cadre si sensible des Balkans. Q – Le 10 juin 1999, après trois mois de bombardements par l’aviation de l’Alliance atlantique de la République fédérale de Yougoslavie, le président Slobodan Milosevic est contraint de retirer ses troupes du Kosovo. Une résolution, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU, reconnaît la souveraineté de la RFY sur le Kosovo, tout en octroyant à cette province à majorité albanaise une « autonomie substantielle ». Des institutions provisoires, sous tutelle d’une mission de l’ONU, la Minuk, sont instaurées. Il aura néanmoins fallu 7 ans, pour que des contacts réels aient lieu entre Serbes et Kosovars afin de déterminer l’avenir de cette province. Comment expliquez-vous un tel délai ? R – « Personnellement, j’étais favorable à l’ouverture de négociations plus tôt. Mais la résolution onusienne 1244 était totalement floue sur la question du statut du Kosovo. Par ailleurs, on a assisté durant toutes ces années à un enlisement, qui a contribué à geler les positions adverses des deux camps, Kosovars albanais et Kosovars serbes. Les premiers demandaient une indépendance, les seconds ne voulaient pas intégrer le processus de mise en place d’institutions démocratiques. En ce qui concerne la communauté internationale, celle-ci a eu un rôle productif au cours des deux premières années suivant l’arrêt des bombardements, en promouvant la reconstruction. Mais, composée d’une multitude d’acteurs aux intérêts différents, la communauté internationale n’est pas parvenue à prendre des décisions politiques difficiles. On s’est donc laissé aller, à toutes les étapes de la crise, au maintien du statu quo . » Q – Lundi dernier, Serbes et Kosovars se sont retrouvés à Vienne pour entamer des négociations qualifiées d’historiques. Que peut-on attendre de cette rencontre ? R – « Les négociations vont être difficiles car les Serbes manquent de souplesse, les Kosovars albanais d’initiative et l’Union européenne de fermeté. Les résultats ne sont donc pas assurés. On ne peut toutefois que se réjouir de l’ouverture de négociations, car maintenir le statu quo était la formule la plus risquée et menait droit dans le mur. Je pense, par ailleurs, que la manière de négocier à Vienne est plutôt habile. Les différentes parties en présence ont choisi de commencer par les questions techniques, essentielles pour les Serbes. Il s’agit de leur montrer qu’un compromis est possible. Il existe un risque, toutefois, que la question du statut final de la province soit de nouveau repoussée au bout du chemin. Selon moi, il faut aborder, sans trop tarder, les questions politiques et ne pas se cacher indéfiniment derrière les mécanismes techniques. Et ce d’autant plus qu’il existe, en filigrane, une solution raisonnable : indépendance pour le Kosovo, décentralisation pour les Kosovars serbes et intégration à l’Union européenne pour la région. » Q – Plus précisément, comment définissez-vous ces trois paramètres ? R – « En ce qui concerne l’indépendance, celle-ci peut prendre différentes formes. Il n’est pas dans l’intérêt des Kosovars albanais de gagner une « mauvaise » indépendance qui s’engluerait dans la corruption, l’isolement et l’impuissance. Les Kosovars serbes, quant à eux, veulent obtenir des garanties en termes de décentralisation, de réorganisation des communes à majorité serbe et pour leur patrimoine religieux. Enfin, l’Union européenne doit jouer un rôle de liant pour permettre l’établissement d’un projet viable. La question de l’intégration des Balkans est un projet dans lequel l’UE doit véritablement s’investir. Et ce notamment sur le plan économique. » Q – Précisément, quelle est la situation économique du Kosovo ? R – « La situation économique est dramatique. Le chômage est massif et, selon les chiffres de la Banque mondiale, la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. C’est une source de violences endémiques. L’indépendance ne doit pas être une fin en soi mais un moyen de sortir d’une telle misère. » Q – Quelles sont les conditions de vie de la communauté serbe aujourd’hui au Kosovo ? R – « Elles sont tragiques. Il reste aujourd’hui environ 100 000 Serbes au Kosovo. On estime, mais il existe là une bataille des chiffres, qu’entre 150 000 et 200 000 Serbes ont quitté la province. Aujourd’hui, un tiers de cette communauté vit au nord, les deux autres tiers étant installés à l’intérieur de la province. Que les Serbes puissent rester là où ils vivent actuellement est d’ailleurs l’un des enjeux des négociations actuelles. En termes de violences, on ne peut parler d’assassinats quotidiens. Les incidents sont rares car les zones serbes et albanaises sont cloisonnées. Mais il suffit d’un dérapage pour mettre le feu aux poudres. » Q – La mort d’Ibrahim Rugova a-t-elle eu un impact sur les négociations serbo-kosovares ? R – « La mort d’Ibrahim Rugova a privé le Kosovo d’un personnage charismatique qui aurait pu faire accepter certaines concessions à son peuple. Mais, en dehors de ce rôle, non négligeable, Rugova n’était pas un initiateur. Sa succession, assurée par Fatmir Sejdu, s’est, en outre, faite sur un mode consensuel. Face aux enjeux à venir, les Kosovars se sont montrés sages lors des négociations visant à choisir un successeur à Rugova. Le choix du nouveau président est celui de la continuité, et ceci est positif. Nommer Lufti Haziri à la tête de la délégation kosovare me paraît également un bon choix. Il est en effet le président de l’association des maires du Kosovo et, à ce titre, maîtrise le dossier de la décentralisation si essentiel pour les Serbes. De plus, il vient d’une région où les Serbes sont mieux intégrés qu’ailleurs. » Q – Quelles seraient les conséquences, pour les Balkans, d’un Kosovo indépendant ? R – « Tout dépend de la forme que prendra cette indépendance. Belgrade et Pristina peuvent parvenir à un compromis, sinon ce sera au Conseil de sécurité d’imposer une solution. Le spectre de la radicalisation, des attentats, voire des émeutes, accompagne ce processus difficile et incertain. Mais c’est dans la sortie de l’inertie et le règlement de la question du Kosovo que réside l’espoir de la région. » Propos recueillis par Émilie Sueur (*) Auteur de « Kosovo. Établir les faits », Éd. Esprit, Paris, 2001.
Lundi dernier, Serbes et Kosovars se sont assis autour d’une même table pour discuter de l’avenir du Kosovo, province administrée par les Nations unies depuis 1999. Il s’agissait là des premiers entretiens directs entre Belgrade et Pristina. Si au bout de 48 heures, les deux délégations sont rentrées chez elles sans être parvenues à des avancées majeures, les...