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Actualités - REPORTAGE

ENVIRONNEMENT - Toutes les régions sont touchées Prolifération débridée des carrières à coups de délais administratifs

Décision après décision, le Conseil des ministres accentue encore plus la confusion totale qui règne actuellement dans le dossier des carrières au Liban et qui permet à certains de profiter des regards tournés vers les développements pour accroître leur fortune aux dépens de l’environnement et des intérêts de la population. On se serait peut-être attendu, après les grands bouleversements qui ont eu lieu dans le pays depuis un an et l’apparition d’un grand mouvement populaire et démocratique, à ce que le domaine de l’environnement connaisse quelques avancées ou du moins un répit. À la grande surprise des écologistes et des observateurs, le Conseil des ministres a déjà pris à trois reprises la décision de donner au ministère de l’Intérieur la prérogative d’accorder des délais administratifs aux exploitants des carrières, une décision renouvelée samedi dernier et prorogée jusqu’à ce que le décret organisateur préparé par le ministère de l’Environnement, et approuvé par le conseil, soit publié dans le « Journal Officiel » et qu’un plan directeur soit finalisé. Ce décret ne sera d’ailleurs mis en application que trois mois après son adoption définitive. Résultat:des centaines de carrières, parfois fermées depuis des années suite à de longues luttes, ont été rouvertes dans toutes les régions. Pire encore, des centaines de nouvelles sont venues s’ajouter au lot. Les populations des localités voisines de ces sites ainsi que les écologistes sont alarmés par le rythme effréné de l’extraction de sable et de gravier, et par la défiguration croissante, voire la quasi-disparition des montagnes. Ils poussent aujourd’hui un cri d’alarme afin que cessent ces agressions contre l’environnement. Plus encore, ils réclament que soit ouvert une fois pour toutes le débat au sujet des carrières, sous toutes ses facettes, non seulement écologique, mais économique également (quelles taxes sont payées par les propriétaires de carrières et quel profit pour l’État ? se demandent-ils), rappelant que la dégradation écologique est coûteuse à plus d’un titre. La polémique autour du jugement sur les indemnités de la carrière des frères Fattouche à Aïn Dara est venue s’ajouter aux discussions, imposées par une situation que les associations écologiques estiment d’ « on ne peut plus grave ». Il est évident que le pays reste exposé à des secousses d’ordre politique et sécuritaire. Mais cela justifie-t-il que l’on ferme les yeux sur la dilapidation des ressources, qui seront d’autant plus précieuses pour l’aider à retrouver sa santé économique et sociale dans une phase ultérieure? Surtout que la gestion de ce dossier dans les années précédentes offre un parfait exemple de la corruption, de l’inefficacité administrative et même des conséquences de la tutelle étrangère, aujourd’hui dénoncées à très large échelle. Suzanne BAAKLINI Sarraf : «Nous avons enfin une méthodologie de contrôle» En tant que ministre de l’Environnement, Yacoub Sarraf se trouve être par le fait même président du Haut conseil des carrières. Nous l’avons interrogé sur les récents rebondissements de ce dossier et sur sa responsabilité dans cette affaire, ainsi que sur les modifications des textes, proposées récemment. Si, à trois reprises, le Conseil des ministres a confié au ministère de l’Intérieur la prérogative d’accorder des délais administratifs qui ont permis aux propriétaires de carrières de poursuivre (ou de recommencer) leur travail, M. Sarraf assure que c’était à chaque fois « contre mon gré ». Comment cela se fait-il ? « Il y avait unanimité autour du sujet, à l’exception de ceux, comme moi, qui ont refusé la proposition », dit-il. Se montrant aussi alarmiste que les écologistes eux-mêmes, le ministre indique que les anciennes carrières ne sont pas les seules à avoir recommencé à fonctionner, mais que... 200 nouvelles se sont ajoutées à la liste. « Nous ne sommes même pas sûrs des titres de propriété de ces terrains, ce qui est encore pire, poursuit-il. Les exploitants munis de sursis administratifs ne payent aucune taxe. Le contrôle est lui aussi absent, que ce soit sur la sécurité, sur la technique employée ou même sur la qualité des matériaux. Au-delà du problème légal, nous sommes confrontés à un problème technique également », notamment concernant la qualité des matériaux extraits, les méthodes d’extraction et les procédés de concassage. Mais tant que les exploitants de ces carrières ne payent pas de taxes, il s’agit d’une perte sèche pour l’État ? « Ce n’est malheureusement pas perdu pour tout le monde, ils ont des complices au sein de l’Administration », répond-il. Et que font les responsables comme lui dans ces conditions ? « Voilà pourquoi il y a quelques semaines, nous avons adopté les modifications du décret » sur l’organisation du travail des carrières, répond-il. Le décret 8 806, voté en 1996, qui a limité les zones d’extraction à la chaîne de l’Anti-Liban, n’était techniquement pas viable, selon M. Sarraf. « D’un côté environnemental, je me refuse à considérer que la chaîne de l’est ne fait pas partie du Liban, dit-il. L’approche qui consiste à éloigner les carrières des agglomérations et puis à laisser faire est d’après moi erronée, même si l’impact sur la vie des citoyens est moins important dans ce cas. De plus, il y a un aspect du dossier que les gens ignorent, celui de la dégradation des routes et des risques induits par le transport des matières, et cette situation s’aggrave à mesure que le site est plus éloigné. » Mais il y a moins d’espaces verts dans les sites proposés par le plan directeur de 1996. « L’objectif du ministère de l’Environnement, à long terme, est de reboiser toutes les chaînes de montagnes, répond M. Sarraf. Le problème des carrières au Liban n’est pas seulement une question de localisation, mais de contrôle. Ailleurs, les normes de contrôle imposent à l’exploitant des conditions essentielles en vue du reboisement. Le problème, au Liban, a été mal géré : on s’est dit que, tant qu’on est incapable d’effectuer un contrôle, autant détruire des lieux éloignés que proches. Tout cela est en relation directe avec les spéculations immobilières. Or ce n’est pas une approche méthodique digne d’un gouvernement. » Sur ce schéma déjà complexe viennent se greffer des problèmes d’ordre économique et confessionnel. « Le problème a commencé quand un citoyen de la région telle, affilié au leader tel, a dû, pour accéder à une ressource naturelle, passer par d’autres citoyens appartenant à une autre confession et affiliés à un autre leader », soutient le ministre. C’est cela, poursuit-il, qui a fait échouer l’adoption de plans directeurs et l’instauration d’un contrôle efficace de 1997 à 2005. Selon lui, l’accord auquel était parvenu le gouvernement lors du dernier Conseil des ministres présidé par Rafic Hariri en 2004, et qui n’a pas été décrété, avait comporté un choix de terrains « à 80 % valables d’un point de vue scientifique », mais dont quelque 20 % continuaient de répondre à des considérations politiques, confessionnelles et même de corruption. « Je préfère un projet valable à 80 % qu’un décret inapplicable», poursuit-il. Terrains publics ou privés ? Une commission a récemment été créée quand le ministre de l’Environnement, selon ses dires, n’a pu s’entendre avec d’autres parties du gouvernement sur l’application de ce texte. « Au sein de la commission, j’ai fait remarquer que nous avions un problème de textes et un problème de plan, indique M. Sarraf. J’ai proposé beaucoup de modifications au texte existant, qui ont été adoptées à l’unanimité par les membres de la commission, notamment la méthodologie de contrôle qui était inexistante dans le décret original. » Mais les avis au sein de la commission restaient partagés, selon le ministre, entre sa théorie qui consistait à « en rester au projet du président Hariri » et une autre qui voulait interdire toute exploitation de carrières dans les domaines privés et limiter les activités aux terrains publics, pour un meilleur contrôle de l’État. Il précise que cette dernière théorie est sous étude et que les biens-fonds publics sont actuellement examinés sous cet angle. « Le plus probable, c’est que nous trouvions un compromis entre secteur privé et secteur public de façon à ce que le propriétaire d’un terrain privé propice à une exploitation soit traité à égalité avec quelqu’un qui aurait loué un terrain public à cette fin, poursuit-il. Le plus important, c’est que les normes d’exploitation et de contrôle soient appliquées sur les deux. » Les rectifications proposées aux normes d’exploitation et de contrôle ont été approuvées en Conseil des ministres, mais pas encore publiées au Journal Officiel. « La publication aurait déjà dû avoir lieu, mais elle a été retardée par les signatures des ministres malgré son adoption à l’unanimité, ce qui pose un problème constitutionnel selon moi », précise-t-il, ajoutant qu’il ne pouvait prévoir quand cette question serait finalisée. Parmi les rectifications qu’il considère comme étant les plus importantes, M. Sarraf évoque celle qui concerne les zones riches en patrimoine, où toute sorte d’exploitation sera dorénavant interdite, « quel que soit le président du Haut conseil et quel que soit le gouvernement, même quand des gisements de bonne qualité y seront repérés ». Cette notion, précise-t-il, était auparavant absente des textes. Des sites naturels, historiques, riches en patrimoine ou religieux seront ainsi protégés par une zone tampon. Selon M. Sarraf, le texte introduit également le concept des tarifications adaptées à la qualité du produit, et des normes définissant l’utilisation des matières premières selon la nature des chantiers. On n’utilise pas les mêmes matériaux si on construit un immeuble de 50 étages ou une cabane, explique-t-il. « Permettre au citoyen d’utiliser les matériaux de première qualité pour tout chantier équivaut à un gaspillage des ressources, dit-il. Le décret est un projet qui régule les grandes exploitations industrielles pour répondre aux besoins du marché en agrégats de qualité supérieure, qui seront utilisés pour des bâtiments de plus de trois étages, pour les édifices publics, pour les grands projets de l’État et pour le pavement des routes. » À chacun sa carrière ? Selon ses estimations, une proportion de 20 % des chantiers requiert ces matériaux de bonne qualité, d’où son concept d’un choix de gisements consacrés aux activités industrielles, ponctuels et bien contrôlés, et d’une libéralisation du secteur pour les gisements de moins bonne qualité. « Un agriculteur qui veut construire une ferme dans la Békaa pourra ainsi se servir sur son terrain si celui-ci s’y prête, au lieu d’aller acheter un matériau à des kilomètres plus loin, dit-il. Cela s’avérera beaucoup moins coûteux en impact sur l’environnement. » Cela ne contribuera-t-il pas au contraire à la dissémination des carrières, donc des dégâts sur l’environnement ? Et qu’en sera-t-il des mécanismes de contrôle ? « Il faut accepter que dans notre système, plus l’exploitation est grande, plus l’exploitant a la possibilité de corrompre les autorités de contrôle, indique le ministre. De plus, la proximité entre le gisement et le village leur imposera de s’autocontrôler. » Et s’ils ne le font pas ? « Nous leur imposerons d’exploiter leur propre terrain en terrasses avec des paliers de moins de trois mètres, de construire des murs de soutènement, de planter leurs terrasses puis de vendre leurs cailloux», répond-il. Le contrôle n’en sera cependant que plus difficile... Il souligne que pour ce qui concerne la méthodologie de contrôle, quatre étapes sont proposées : premièrement, les documents à présenter sont définis de manière très rigoureuse, incluant une retenue de garantie payée à l’avance par l’exploitant, pouvant aller jusqu’à 2 dollars la tonne. Deuxièmement, le législateur a introduit la notion d’« ingénieur responsable », dont l’accord est indispensable pour la bonne marche de l’exploitation. Comme garde-fou, s’il s’avère que l’ingénieur et le propriétaire sont impliqués tous deux dans une affaire louche, ni l’un ni l’autre n’auront plus le droit d’ouvrir une autre exploitation. L’inspection d’un bureau de contrôle indépendant devient elle aussi obligatoire, et ses frais seront payés par l’exploitant. Ces bureaux, approuvés par le ministère, devront produire des rapports périodiques, lesquels seront soumis au ministère, à la municipalité et aux Finances. Sans compter les tournées des représentants du ministère de l’Environnement, ajoute-t-il. M. Sarraf souligne qu’une méthode de contrôle des explosifs a également été définie dans un texte adopté récemment. Le contrôle englobera également les moyens de transport : aucun camion ne pourra plus quitter son chantier sans un bon de pesée, sur lequel seront inscrits l’origine, la destination et le poids des matériaux. Enfin, le gouvernement signera des contrats avec des bureaux de contrôle qui effectueront des tournées périodiques sur les sites. Appliqué trois mois après sa publication Ce décret sera-t-il effectivement appliqué, sachant que nombre de lois restent lettre morte au Liban ? « Je l’espère, mais nous avons désormais un cadre juridique auquel nous référer, répond-il. Dans les textes antérieurs, la méthodologie de contrôle n’existait pas. » Pourquoi ce décret ne sera-t-il mis en application que trois mois après sa publication dans le Journal Officiel, sachant qu’une véritable catastrophe écologique a lieu actuellement dans les régions ? « Trois mois, ce n’est pas considérable pour une activité qui s’est déroulée sans gestion proprement dite durant une centaine d’années », soutient-il. Mais rien ne viendra donc mettre un terme à l’activité débridée des exploitations ? « La situation devrait s’améliorer petit à petit », dit-il. À quand le plan directeur ? « Quand l’étude géotechnique sur les terrains publics sera terminée et que ceux-ci seront comparés aux terrains privés, nous opterons pour l’une ou l’autre des options, et je plaiderai pour un amalgame entre elles », précise M. Sarraf. Pour dissiper toute confusion, le ministre précise que les nouvelles modalités de contrôle sont déjà opérationnelles et que, concernant les anciens permis, toute carrière non conforme devrait à terme cesser ses activités. Demandera-t-on un jour des compte aux exploitants pour les entorses aux lois commises antérieurement ? « Nous travaillons sur un projet nommé ABQR, Abbreviating Barriers for Quarry Reclamation, qui permettra d’arrêter l’activité des carrières qui n’ont pas respecté les lois, ce qui nous laissera toutefois face au problème de leur réhabilitation, répond-il. Il fait partie d’un projet financé par la Communauté européenne, lancé il y a deux mois. » « Notre rôle est de dénoncer, celui du ministre d’agir », estime un écologiste Même accoutumés au chaos qui régit le secteur des carrières depuis des décennies, les écologistes sont très alarmés par l’ampleur de la dégradation causée actuellement par l’exploitation sauvage des nombreuses carrières. « Ce qui est désolant, c’est que des délais ont été accordés à des carrières dont la fermeture avait requis de longues luttes », déplore Mahmoud Ahmadieh, président de « Nature sans frontières » (NSF). Il évoque des dégâts écologiques considérables dans le Metn et au Chouf, à Chbéniyé, à Azourié, à Kfarmatta, à Baïssour… des carrières à perte de vue. Le fait que les décisions de donner au ministère de l’Intérieur la prérogative d’accorder des délais administratifs hors de tout plan directeur aient été contestées par le ministère de l’Environnement, comme l’affirme ce dernier, ne l’excuse nullement à ses yeux. « Il n’est pas vrai que ce ministère n’a qu’un rôle consultatif, souligne-t-il. En tant qu’ONG, nous pouvons dénoncer la corruption. Mais ce n’est pas le rôle d’un ministre, sinon qui serait notre référence ? M. Sarraf a la responsabilité de mettre un terme à tout cela. » À son avis, quand un ministre de l’Intérieur accorde des délais administratifs aux carrières et qu’un ministre de l’Environnement ne conteste que faiblement, les propriétaires des carrières en profitent pour exercer des pressions et obtenir gain de cause. M. Ahmadieh s’élève également contre la modification du décret 8 806 telle que conçue actuellement. « Même si des améliorations y ont été apportées, comment peuvent-ils modifier un décret qui n’a pas été appliqué ni testé sur le terrain, se demande-t-il. De plus, pourquoi ce nouveau texte ne rentrera-t-il pas dans la phase d’application que trois mois après son adoption définitive ? N’est-ce pas pour nous inventer un nouveau prétexte afin de le garder dans les tiroirs ? » Le militant écologiste se montre assez désabusé quant à une éventuelle percée dans ce domaine. « Je compare les pratiques des responsables en la matière au triangle des Bermudes, dit-il. Dans une première étape, ils décrètent la fermeture des carrières, puis ils adoptent un plan directeur et, devant leur incapacité à le mettre en application, ils recommencent à accorder des délais administratifs. » Aujourd’hui, il recommande que le Conseil des ministres adopte un plan directeur « définitif », avec normes et critères d’exploitation et de contrôle. Il demande également aux responsables d’imposer les études d’impact environnemental avant d’accorder les permis et de faire participer les associations civiles au processus de préparation de la loi. En tant qu’écologiste, Mahmoud Ahmadieh s’interroge également sur son rôle et celui de ses pairs, préconisant la création d’un rassemblement d’ONG pour faire bloc contre le chaos des carrières. Pour le parti de l’Environnement, il faut limiter les exploitations aux terrains publics Membre fondateur du parti libanais de l’Environnement, Habib Maalouf s’insurge contre l’adoption successive de décrets organisateurs des carrières, sachant que la loi qui régit leur activité au Liban date de 1935, « qu’elle n’a jamais été vraiment respectée et qu’elle devrait être modernisée ». Selon lui, une des instances concernées, c’est-à-dire la commission parlementaire de l’Environnement, le ministère de l’Environnement ou le ministère de l’Intérieur, aurait dû proposer une nouvelle loi. « Ils ont tous manqué à leurs devoirs », estime-t-il. M. Maalouf dénonce la confusion qui règne dans ce secteur, et qui s’est traduit récemment « par l’histoire des délais administratifs, le scandale de la carrière des frères Fattouche et la polémique autour du plan directeur ». Il soupçonne que « cette confusion soit délibérée, alors que les investisseurs font des gains énormes et que des membres de l’administration publique sont certainement impliqués ». Il révèle que, selon ses informations, « l’ancien ministre de l’Intérieur, Hassan Sabeh, aurait accordé quelque 320 délais administratifs avant son départ ». Interrogé sur la modification du décret 8 806 telle que conçue par le ministère de l’Environnement, il l’estime « dangereuse » parce qu’elle « conduira à la création de carrières mobiles », selon lui, qui donnerait lieu à des « installations fantômes sous prétexte de construction de routes, de réaménagement de terrains, etc. ». Quant à l’instauration d’un nouveau système de normes, il renvoie à l’expérience libanaise passée en la matière, pas vraiment brillante dans l’application des critères définis. Par ailleurs, il remarque l’échec des autorités à se mettre d’accord sur des zones d’exploitation définies. M. Maalouf se déclare favorable « à l’adoption d’une loi qui limite les exploitations aux terrains publics, afin que l’État soit le seul à en profiter et qu’il soit à même de contrôler cette activité ». « Il vaut mieux adopter une solution radicale au problème qu’un nouveau décret, poursuit-il. La situation est aussi mauvaise que possible. Les exploitants travaillent sans être soumis au moindre contrôle, ils ne paient pas de taxes et ils vendent leur marchandise à des prix exorbitants. À mon avis, si l’État dirigeait ce secteur, les tarifs baisseraient. » M. Maalouf affirme que, « comme l’a montré une étude que j’ai effectuée, le jour où les dossiers des carrières et des biens-fonds maritimes et fluviaux seront résolus, les revenus qu’ils généreront permettront de régler la moitié de la dette publique ». Au Liban-Sud, comme ailleurs, une catastrophe en cours Le Liban-Sud n’a pas été épargné par la dernière vague d’activité intensive des carrières, comme le confirme Fadlallah Hassoun, vice-président de l’Association du développement de l’homme et de l’environnement. « On travaille nuit et jour sur ces sites, que ce soit pour l’extraction ou le transport du stock », dit-il. Il rapporte que la route qui va de Nabatiyeh à Rihane et jusqu’à Jezzine a été très endommagée par le passage des camions, ainsi qu’entre Aramta et Kfarhouna. Les principales carrières se trouvent à Qleïa, à Aïchiyé, à Rihane, à Khallet-Khazen… Ce sont des zones d’espaces verts, riches en eau et en biodiversité, où l’écotourisme pourrait être facilement développé. « Une étude du CDR sur la montagne de Rihane a montré qu’elle était très propice au tourisme écologique, surtout qu’elle se trouve sur la route de passage des oiseaux migrateurs, souligne M. Hassoun. Pour un développement à long terme du Liban-Sud, il est indispensable de préserver les ressources naturelles qu’il regorge. » L’écologiste dénonce le fait que les municipalités de la région, proches d’un puissant parti, se permettent actuellement d’accorder des permis sous prétexte que le gouvernement délivre des délais administratifs. « Ces municipalités connaissent des conflits intérieurs, certains de leurs membres voulant fermer les yeux alors que d’autres désirent dénoncer les abus, selon lui. Pour notre part, nous appelons toutes les parties à privilégier l’intérêt national. » Et de poursuivre : « Si nous protestons, ils nous rétorquent que l’exploitant ne fait que déplacer son stock, avant de nous accuser d’être hostiles à la reconstruction. Leur argument, c’est la nécessité de fournir des matières premières à bas prix. Mais pour nous, ces ressources sont aussi la propriété des générations futures. Il est urgent que le gouvernement adopte un plan directeur bien étudié. Les responsables devraient aller sur le terrain et constater ce qui s’y passe. » Rappel historique Les carrières au Liban ont toujours fonctionné dans le désordre, les nombreux intérêts des uns et des autres ayant empêché l’organisation définitive de ce secteur. Cette activité a pris un premier essor lors des années de guerre, quand tout contrôle était de toute évidence impossible. Durant les années 90, la situation ne s’est pas vraiment améliorée malgré les nombreuses tentatives de réorganisation, surtout en pleine période de reconstruction. Les carrières fonctionnaient souvent avec des permis non adéquats, sous le titre de « réaménagement de terrains » par exemple. En 2002, la fermeture des carrières existantes est décrétée, en vue de l’application du décret 8 806, qui comporte un plan directeur limitant les zones exploitables à la chaîne de l’Anti-Liban. Celui-ci ne sera jamais vraiment appliqué, et l’importation de matières premières, notamment de Syrie, s’intensifiera. En fait, sur le terrain, de puissants exploitants poursuivront leur activité sans être inquiétés, profitant même de la hausse des prix. C’est dans ce contexte qu’intervient actuellement l’octroi des délais administratifs aux carrières anciennes et nouvelles. Une mesure déplorable parce que n’imposant le respect d’aucune norme ni le paiement d’aucune taxe aux exploitants.
Décision après décision, le Conseil des ministres accentue encore plus la confusion totale qui règne actuellement dans le dossier des carrières au Liban et qui permet à certains de profiter des regards tournés vers les développements pour accroître leur fortune aux dépens de l’environnement et des intérêts de la population. On se serait peut-être attendu, après les...