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Actualités - OPINION

ÉCLAIRAGE - « La guerre est finie, et c’est une bataille politique et démocratique », dit Sethrida Geagea à « L’Orient-Le Jour » Le cœur ou la raison ? Les Bécharriotes trancheront dimanche

Le cœur et la raison ont ceci de terrifiant que lorsqu’ils dégainent l’épée en un combat singulier – ou lorsqu’ils y sont forcés –, il est bien difficile de les séparer, bien difficile de parier sur la victoire de l’un ou de l’autre, et bien peu plausible d’espérer y trouver un quelconque survivant. Le cœur et la raison se connaissent trop bien : les blessures que l’un assène à l’autre sont neuf fois sur dix mortelles. Même s’il y a cœur et cœur, raison et raison. Le cœur et la raison : voilà les deux principaux acteurs qui s’affronteront lors de l’échéance municipale du 30 mai à Bécharré. Et c’est de ce « mano a mano » qui s’annonce impitoyable que se décidera l’issue de l’autre (vrai) duel, entre deux listes complètes, « La fidélité à Samir Geagea », présidée par Saïd Tok et soutenue par l’épouse du chef embastillé des Forces libanaises, Sethrida Geagea, et « L’allégeance à Bécharré », présidée par Anthony Geagea et soutenue par une troïka parlementaire made in Bécharré elle aussi mais ultraloyaliste, Gebrane Tok-Kabalan Issa el-Khoury-Nader Succar. Pourquoi les Bécharriotes, tous les Bécharriotes, vont-ils mettre, dimanche prochain, cœur et raison à rude épreuve ? Parce que si cela ne tenait qu’à eux, la très grosse majorité des irréductibles du Nord iraient eux-mêmes « ouvrir, avec (leurs) dents, les portes de la prison où croupit le “hakim” depuis dix ans ». Même les pères et les membres de la liste adverse le savent : Gebrane Tok avait assuré, il y a quelques jours, que « la cause du Dr Geagea est au-dessus d’un conseil municipal », souhaitant qu’elle ne soit pas utilisée au cours de ces élections et refusant l’équation selon laquelle « celui qui ne votera pas pour la liste des FL est contre la libération de Samir Geagea ». Sauf que les Bécharriotes sont confrontés à quelque chose qui, aujourd’hui, les dépasse, les ligote, les musèle presque : « Je suis à 100 % avec Samir Geagea et je défendrai sa cause jusqu’au bout, mais je me pose des questions, je vois bien que ceux qui voteront pour la liste FL n’auront pas d’emplois, ne bénéficieront d’aucun service et seront traités, à Bécharré, comme des pestiférés », dit une jeune mère de famille inscrite sur les listes électorales de Bécharré. Et qui déplore très fermement ce chantage à peine voilé dont sont victimes les partisans FL à Bécharré de la part des édiles de la ville. Alors, elle, comme beaucoup d’autres, se demande si l’entente ne serait pas bien plus bénéfique pour tous si un conseil municipal FL pourrait accélérer la libération de l’ancien ministre. Et ces doutes, ces interrogations, ces certitudes de plus en plus bancales, la liste loyaliste les a compris, a décidé d’en profiter au maximum en décrétant, comme elle l’a fait hier au cours de l’annonce de sa liste, « l’état d’urgence pour le développement » de Bécharré. Interrogée par L’Orient-Le Jour, Sethrida Geagea n’a pas mâché ses mots, ni freiné ses ardeurs, ni mis le moindre bémol à ses convictions. « Cela fait 30 ans que Bécharré est abandonnée, 30 ans que Gebrane Tok et Kabalan Issa el-Khoury sont là, que les FL les regardent gérer la ville : qu’est-ce qu’ils ont fait pour Bécharré ? Avec tout le respect que je leur dois, la réponse est claire : rien », dit-elle. La pasionaria bécharriote a une confiance sans faille en ses concitoyens : « Qu’ils soient rivaux ou alliés, tous les Bécharriotes connaissent la réalité, savent distinguer le vrai du faux et sont pleinement conscients de la cause que Samir Geagea défend depuis dix ans, de ses souffrances. J’ai foi que les Bécharriotes, dimanche, se sentiront encore plus concernés par cette cause, qu’ils ne rateront pas l’occasion d’offrir, chacun, une rose à leur frère en prison », ajoute-t-elle. Pourquoi avoir refusé l’entente, la main tendue par Gebrane Tok et Kabalan Issa el-Khoury ? « L’entente sur quoi ? Pourquoi ? Comment ? Nous avons bien vu ce qui s’est passé en 2002, lorsque les FL ont dit oui à l’entente en contrepartie d’une promesse qui n’a jamais été tenue (une position bécharriote officielle sur l’emprisonnement de Samir Geagea). L’entente aujourd’hui, c’est le clientélisme, le contraire de la démocratie. Nous nous devons d’exercer notre droit démocratique. Cette bataille n’est pas une guerre comme disent nos adversaires, la guerre est terminée, bel et bien terminée. Nous livrerons, comme partout au Liban, un duel politique et démocratique, ce sera la véritable compétition », conclut l’incandescente Sethrida Geagea. Ce sera la première fois que les Forces libanaises se lanceront dans la bataille seules, sans le soutien d’une quelconque autre force politique – à Bécharré même et dans tout le caza –, et en proposant des listes complètes. Les Bécharriotes les entendront-ils, accepteront-ils la surpolitisation tous azimuts de ce scrutin « à visage développemental », comme l’affirme Sethrida Geagea, plébisciteront-ils, indomptables, « La fidélité à Samir Geagea », sachant pertinemment que tant que la loi électorale ne changera pas, les municipales resteront leur seule chance de s’exprimer ? Ou bien, résignés, désillusionnés, ligotés par les pratiques d’un pouvoir qui a rarement traité l’opposant aussi bien que le loyaliste, préféreront-ils la sécurité de leur quotidien – ou l’illusion de cette sécurité –, se taire plutôt que de raviver les discordes familiales ? Ou bien panacheront-ils à tout va ? La bataille de Bécharré s’annonce troyenne ; ses résultats, quels qu’ils soient, lourds de sens. Et qu’il l’ait voulu ou pas, qu’il le sache ou pas, le plus célèbre prisonnier politique libanais est devenu l’un des enjeux principaux de cette municipale : qu’il vote pour ou contre la liste FL, chaque Bécharriote aura le 30 mai l’épuisant privilège d’exercer un vote à portée résolument nationale. C’est dans les grandes crises, dit Balzac, que le cœur se brise ou se bronze. Maigre consolation pour Samir Geagea, mais cela reste mieux que rien. Ziyad MAKHOUL
Le cœur et la raison ont ceci de terrifiant que lorsqu’ils dégainent l’épée en un combat singulier – ou lorsqu’ils y sont forcés –, il est bien difficile de les séparer, bien difficile de parier sur la victoire de l’un ou de l’autre, et bien peu plausible d’espérer y trouver un quelconque survivant. Le cœur et la raison se connaissent trop bien : les blessures...