Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Crash de Cotonou - Un an après, les parents des victimes n’ont toujours pas fait leur deuil Le rapport français est accablant, quand donc réagira la justice ? (photos)

Pour beaucoup de Libanais, Noël est désormais porteur de tristesse. Depuis que l’an dernier, le 25 décembre exactement, l’avion de la compagnie UTA, appartenant à des Libanais avec des partenaires guinéens, s’écrasait au large de Cotonou, faisant 86 victimes libanaises, dont sept corps non encore retrouvés, le Liban n’en finit plus de se poser des questions. Tout au long de l’année, les proches des victimes n’ont cessé de réclamer la vérité sur le crash et la détermination des responsabilités dans ce qui a été une véritable catastrophe et qui a endeuillé le pays, de l’extrême nord à l’extrême sud. Mais officiellement, la justice ne disposait pas d’éléments suffisants pour agir. Aujourd’hui, avec la publication du rapport des experts internationaux, accablant pour la compagnie UTA, il est temps que toute la lumière soit faite sur cette sombre affaire où l’avidité, la corruption et l’absence totale de conscience ont semé le malheur, la honte et la révolte dans les cœurs de nombreux Libanais. Et une seule question est sur toutes les lèvres : qui peut encore protéger Darwiche Khazem, propriétaire sans conscience de l’UTA ? Nabatiyeh, Kharayeb, Kobeyate, Bayno, Broummana, Beit-Méry, toutes les régions du Liban ont été frappées par la catastrophe de Cotonou et l’an dernier, à la période de Noël, il n’y avait plus que des rubans noirs dans les villages libanais, du nord au sud. La population était sous le choc des terribles images transmises par les chaînes de télévision, de corps noyés, déformés et mutilés, sans oublier l’incommensurable douleur des proches terrassés par les informations venues d’Afrique au compte-gouttes. Mais la première réaction passée, c’est la révolte, la colère et le dégoût qui se sont ajoutés à la peine, face à la confusion officielle, aux déclarations contradictoires et au refus de la justice d’assumer ses responsabilités en se cachant derrière la nécessité d’obtenir des informations certaines avant d’agir. Des enjeux matériels plus importants que les considérations humaines Tout au long de l’année écoulée, l’intensité de ces sentiments n’a cessé de croître, à mesure que les mois s’écoulaient et que l’enquête sur la catastrophe de Cotonou semblait condamnée à ne pas aboutir. À la douleur de perdre des être chers dans des circonstances terribles, s’ajoutait donc, pour les familles, l’indignation face à l’attitude des autorités, qui semblaient peu soucieuses de faire la lumière sur l’affaire. Pour ces familles, c’est comme si on tuait une seconde fois les victimes, et les quelques déclarations apitoyées de certains responsables ne pouvaient pas suffire à effacer cette impression. Un an après la tragédie, une seule impression domine : rien n’a été fait pour punir les coupables et rien ne devrait l’être bientôt. Les enjeux personnels, mesquins et matériels de la classe politique semblent plus puissants que toute considération humaine ou que toute volonté de justice. L’affaire du crash de Cotonou n’intéresse plus aucun homme politique. Nul n’en parle, tous plongés dans les découpages électoraux qui vont leur permettre de continuer à mettre sous leur coupe les électeurs, mais du deuil de 86 familles qui ne parviennent toujours pas à tourner la page, nul ne se soucie. « L’État n’a même pas songé à faire une messe ou une prière pour les disparus de Cotonou », confie d’une voix morne Oum Ali, épouse de l’une des victimes. À Zrariyé, près de Nabatiyeh, où elle réside, Oum Ali s’occupe de ses trois enfants depuis que son mari, Imad Mroué, a perdu la vie dans le crash de Cotonou. Elle a dû trouver du travail, elle est désormais institutrice à l’école publique, mais peine à joindre les deux bouts, sans que nul ne songe à lui venir en aide. Dans son salon modeste, difficilement chauffé, les portraits de son défunt mari trônent en bonne place. Comme pour lui rappeler ce que l’État, lui, veut oublier à tout prix. Oum Ali ne comprend pas comment on peut faire aussi peu cas d’un drame qui, dans un autre pays, aurait fait sauter des gouvernements. « Nous ne sommes pas riches, dit-elle. Si nous l’étions, mon mari n’aurait jamais pris la peine de se rendre en Guinée pour y travailler. De plus, il n’aurait pas pris le billet d’avion le moins cher pour venir voir ses enfants. Mais personne ne veut voir la vérité sous cet angle. La plupart de ceux qui sont venus dans cet avion maudit étaient des émigrés moyens, qui trimaient dur pour gagner leur vie. Et qu’ont-ils eu en reconnaissance d’une vie de labeur ? Une mort avant terme et le désintérêt total de la part de tous ceux qui leur promettaient monts et merveilles. Depuis un an, personne n’a proposé son aide. J’ai essayé de me rapprocher de la commission des proches des victimes, mais il y a trop de démarches à faire, et moi je dois travailler pour faire vivre mes enfants. » « Ils nous l’ont pris sans le moindre remords » Même son de cloche chez la famille de Chawki Farran, à Nabatiyeh, qui a pris à la dernière minute un billet sur l’avion de l’UTA. « Il ne devait pas venir, raconte un de ses proches. Mais attiré par le prix du billet, il s’est dit qu’il ferait un petit saut pour voir sa famille. Et voilà ce qui lui est arrivé. Ancien résident à Chiyah, il a quitté sa maison à cause de la guerre. Il s’est rendu en Afrique pour se construire un avenir. Il est parti dans la fleur de l’âge, sans avoir eu le temps de profiter du fruit de son labeur. Ils nous l’ont pris sans le moindre remords, sans le moindre regret. Comme s’il n’y avait aucune responsabilité dans cette affaire, à part celle du destin. Et moi, c’est ce qui me choque le plus. » La frustration est pareille à Kharayeb, village situé dans la même région mais qui a perdu plus de dix personnes dans le crash. Beaucoup de maisons ont mis des rubans noirs sur leurs portes, à l’approche du premier anniversaire du crash. La tristesse est palpable, mais les langues ne se délient pas facilement. Les proches des victimes évitent de lancer des accusations, mais leurs longs silences sont significatifs. Apparemment, les instructions de discrétion sont plus fortes que la douleur, mais celle-ci existe quand même, encore plus poignante parce que étouffée. Les proches des victimes accordent beaucoup d’importance à la commission créée par l’ancien député Hassan Alawiyé et qui, depuis un an, se démène pour tenter de faire la vérité sur le crash de cet avion plein de Libanais venus rendre visite à leurs familles. Hassan Alawiyé, qui a aussi perdu un proche dans cette tragédie, en a fait une affaire personnelle. Mais même pour un ancien député, voire un notable respecté, une sorte « d’homme du Sérail », pour reprendre une expression bien connue, les réponses sont difficiles à trouver. « Ce n’est plus de la négligence, mais un acte criminel » « Depuis la publication du rapport des experts, il n’est plus possible de considérer le crash comme dû à une simple négligence. Il s’agit véritablement d’un acte criminel, qui devrait être puni par la loi. Car, selon le rapport, le crash est dû à deux facteurs : d’abord la surcharge de l’avion (il y avait 7 tonnes et demie en plus du poids autorisé qui est de 78 tonnes) et ensuite la mauvaise répartition des charges, toutes installées à l’avant de l’appareil, alors que si elles avaient été réparties d’une façon plus harmonieuse, le crash aurait peut-être pu être évité. Enfin, le rapport précise que le pilote n’a été informé ni de la surcharge ni de la répartition du surpoids. Les responsabilités sont donc claires : Darwiche Khazem, originaire du village de Wadi Gilo et PDG de la compagnie UTA qui a vendu à tort et à travers des billets et chargé du poids excédentaire sans le moindre problème de conscience, est le principal coupable. Je ne comprends pas comment la justice libanaise a pu le laisser filer. » Il faut se rappeler, à cet égard, que le fameux Darwiche Khazem est revenu à Beyrouth dans l’avion affrété par l’État libanais, et à bord duquel se trouvait le ministre des AE de l’époque, Jean Obeid, pour rapatrier les blessés et les dépouilles. En principe blessé, Khazem a été envoyé à l’hôpital al-Rassoul al-Aazam, dans la banlieue sud. Il y a passé 24 heures, avant d’être envoyé à Londres. Depuis, dans la banlieue sud, il n’a cessé de se jouer de la justice, qui, il faut le reconnaître, n’a pas déployé beaucoup de zèle pour le retrouver. Son père, Ahmed Khazem, qui était officiellement le propriétaire de la compagnie UTA, a été entendu à plusieurs reprises par les enquêteurs. Il a affirmé avoir vendu ses parts dans la société à son fils. Mais il n’a jamais apporté les documents officiels prouvant cette cession des parts. De même, sommé de donner l’adresse de son fils à l’étranger, il a prétendu qu’il ne la connaissait pas et que c’était ce dernier qui l’appelait. Il a par la suite affirmé que son fils se faisait soigner dans un hôpital à Londres. Mais les autorités n’ont jamais pu le contacter là-bas. Malgré cela, Ahmed Khazem n’a jamais été inquiété et, selon Hassan Alawiyé, son fils est un homme qui circule librement entre la Guinée, Londres et Beyrouth. Les étonnantes lenteurs de la justice libanaise Pourquoi tant de complaisance ? Le procureur général de la République affirme qu’il n’y en a aucune. Dans une conférence de presse devant les familles des victimes, Mme Rabiha Ammache Kaddoura a déclaré que la justice ne pouvait bouger avant d’avoir des éléments consistants. Mais avec la publication du rapport des experts, qu’attend-elle pour le faire ? La question attend toujours une réponse convaincante. Hassan Alawiyé ne comprend pas comment la justice a pu laisser filer un homme suspecté d’un acte criminel. « Pour moins que cela, on interdit à des personnes de voyager. Pourquoi Darwiche Khazem a-t-il pu quitter le Liban alors que l’enquête n’était pas terminée et qu’il était quasiment clair qu’il avait falsifié le manifeste de l’avion, puisque même plusieurs jours après, on n’a pas pu obtenir une liste exacte des passagers ? Pourquoi aujourd’hui, lui et son père sont en liberté ? » Toutes ces questions sans réponses ne peuvent que laisser croire à l’existence de protections occultes à l’égard des coupables. D’autant que si l’on relit les articles de presse parus à cette époque, on se souvient que l’avion lui-même avait fait l’objet d’une enquête minutieuse et complexe, qui avait abouti aux conclusions suivantes : l’avion initial de la compagnie a été remplacé par un autre appareil qui ne correspondait pas aux normes de l’aviation civile. Il avait même été parqué pendant des mois sur le tarmac de l’AIB pour y subir les réparations nécessaires et, selon certaines informations ayant circulé à l’époque, le directeur d’un département à l’Aviation civile aurait encaissé une certaine somme des Khazem pour accepter de délivrer à l’avion « réparé » un permis de décoller. Cet homme serait actuellement placé à la disposition du ministre des Transports. Une sanction somme toute assez légère, si les informations précitées sont vérifiées. En fait, et tout cela avait été écrit à l’époque, l’enjeu était énorme, puisque l’avion était censé assurer la liaison entre l’Afrique, le Liban et Dubaï. Ce qui devait rapporter beaucoup d’argent, d’autant que cette ligne est généralement encombrée et permet le transfert de grosses sommes d’argent. Est-il besoin de rappeler que les émigrés ne peuvent pas faire sortir facilement de l’argent des pays africains? Ils sont donc obligés d’utiliser un procédé très vieux : la dissimulation du cash dans les valises et les bagages. C’est d’ailleurs pourquoi certains témoignages ont évoqué des billets de banque flottant au ras de l’eau, à côté des corps mutilés... On a aussi parlé de caisses de mangues, destinées à une société qui fabrique des jus de fruits et dans laquelle une personnalité importante aurait des actions. Mais toutes ces rumeurs ne sont que détails. Ce qui compte, c’est qu’un homme, qui considère que l’avion est comme l’âne de son village et qu’il faut le charger au maximum pour accumuler des sommes d’argent plus importantes, sans tenir compte de la sécurité des passagers, a causé par son avidité la mort de 86 personnes et continue à vivre en liberté. Ce qui compte aussi ce sont ces 86 familles endeuillées qui continuent à vivre dans la détresse sans qu’aucun responsable ne se soucie de leur sort ou ne songe à leur assurer leur droit élémentaire à la réparation matérielle et surtout morale. Quel pays est-ce donc celui où le criminel est protégé et où le droit est constamment bafoué ? Passe encore la protection fournie à de petits truands et autres voleurs, mais qu’un responsable, quel qu’il soit, puisse continuer à couvrir un homme dépourvu de la moindre humanité, qui a provoqué un crash sans avoir une seconde de remords, uniquement soucieux de fuir la justice des hommes, est absolument révoltant. Un jour, la lumière se fera sur cette affaire, mais en attendant, qu’on ne demande pas aux proches des victimes de croire en un État digne de ce nom. Scarlett HADDAD

Pour beaucoup de Libanais, Noël est désormais porteur de tristesse. Depuis que l’an dernier, le 25 décembre exactement, l’avion de la compagnie UTA, appartenant à des Libanais avec des partenaires guinéens, s’écrasait au large de Cotonou, faisant 86 victimes libanaises, dont sept corps non encore retrouvés, le Liban n’en finit plus de se poser des questions. Tout au...