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Actualités - REPORTAGE

Ils sont près de cent cinquante mille et se considèrent «de bons citoyens» Les Palestiniens hors des camps : bien intégrés, ils attendent, à contrecœur, l’implantation (photos)

Depuis la disparition de Yasser Arafat, le problème du sort des réfugiés palestiniens dans les pays arabes et notamment au Liban se pose avec encore plus d’acuité. La nouvelle direction qui se met en place, et qui bénéficie visiblement de l’aval de Washington, ne semble pas faire du droit au retour une de ses priorités, préférant consacrer ses efforts à l’édification d’un État palestinien. Que deviendront dans ce cas les 390 498 réfugiés palestiniens installés au Liban (Le chiffre est de l’Unrwa dans un rapport daté du 31 mars 2003), dont les conditions de vie sont loin d’être enviables et dont le sort est plus qu’incertain, puisque le Liban refuse officiellement toute idée d’implantation? Les 220000 Palestiniens installés dans les camps du Liban, encadrés, voire entretenus par les différentes organisations, crient leur volonté de retourner chez eux, mais les cent soixante-dix mille autres qui vivent dans les villages, eux, ne songent qu’à s’intégrer totalement... Un son de cloche qui dérange mais une réalité dont il faut tenir compte. À Saadnayel, à Bar Élias et à Taalabaya, comme dans beaucoup d’autres villages de la Békaa, du Nord et du Sud, les Palestiniens se fondent dans la société. Ils se regroupent certes par quartier, mais ils ne veulent pas se démarquer des autres habitants. Au contraire, ce qu’ils souhaitent c’est se faire oublier ou faire oublier leurs origines. Venus pour la plupart lors du grand exode de 1948, ils se sont établis sur place, essayant autant que possible de ne pas se faire remarquer. Venus en 1948, ils se sont intégrés au sein de la société À Taalabaya et Saadnayel, deux villages limitrophes, ils sont près de 8000, essayant de vivre aussi normalement que possible. Ahmed est venu dans la région avec ses parents en 1948. Ils n’ont jamais vécu dans des camps, s’installant très vite dans une maison en béton et trouvant du travail dans une usine de fabrication d’aluminium. Aujourd’hui, les parents sont morts, mais les enfants ont pris la relève. Ahmed a agrandi la maison de son père, s’est marié avec une Palestinienne et élève désormais ses enfants, tout en continuant de travailler dans l’usine d’aluminium. Ahmed affirme que la maison est à son nom, ainsi que le petit terrain qui l’entoure. «Les Palestiniens qui vivent hors des camps, affirme-t-il, sont pour la plupart propriétaires de leurs maisons et parfois de leur échoppe ou lieu de travail. Notre seul souhait est que tout cela soit officialisé, une fois pour toutes et qu’on en finisse.» Hassa, ami de Ahmed et vivant comme lui à Saadnayel, est encore plus direct: «Implantez-nous, c’est ce que nous demandons aux autorités libanaises. Cela suffit, cette hypocrisie. Depuis le temps que nous sommes là et que nous sommes intégrés à la société, à quoi cela sert-il de ne pas vouloir nous accorder les droits implicites dans toute présence à long terme? Nous faisons les frais d’une politique fluctuante. Et cela a des répercussions terribles sur nos vies. Nous ne pouvons pas vivre normalement, ni transmettre nos biens à nos enfants. N’est-ce pas absurde?» Au fur et à mesure que le ton monte, la conversation devient plus générale. Les voisins, les proches et les amis s’installent sur la terrasse d’Ahmed et chacun veut ajouter son grain de sel. Tous sont palestiniens, tous affirment que la Palestine restera leur patrie de cœur, mais ils veulent avoir un statut légal au Liban, qui leur permettrait de jouir des droits inhérents à la citoyenneté, au lieu de n’en avoir que les devoirs. Hassan affirme que depuis des années, il paie tous ses impôts et toutes ses factures: l’eau, l’électricité, le téléphone, les taxes municipales, la mécanique des voitures. «Comme nous ne voulons pas nous faire remarquer, nous sommes toujours les premiers à payer et parfois les seuls, déclare Mahmoud. Au début, notre principal souci était d’effacer l’image négative que véhiculent les réfugiés palestiniens auprès des Libanais. Après les années de guerre et le contentieux avec les fedayins, notre priorité était d’avoir le profil le plus bas possible et de pouvoir vivre en paix, en ayant un travail honnête, sans causer de problèmes.» Un travail, un domicile. Il ne manque plus que la propriété Les Palestiniens qui vivent dans les villages ont généralement un gagne-pain relativement satisfaisant. Ils sont soit ouvriers dans des usines, soit travaillent dans le bâtiment ou encore ont une échoppe; ils sont aussi souvent des spécialistes dans la plomberie, l’installation de tuyaux, la mécanique et parfois ils ouvrent une entreprise avec des associés libanais. Ils ne sont pas riches, mais ils vivent correctement. Jusqu’à la loi sur la propriété adoptée par le Parlement libanais en 2000, ils pouvaient même posséder des biens immobiliers, des terrains, des maisons, voire des immeubles ou des commerces. C’est comme cela que les enfants ont pu hériter des biens de leurs pères ainsi que de leur travail. Mais depuis 2000, les Palestiniens ne peuvent plus posséder des biens immobiliers au Liban. L’article 296 de cette loi prévoit, en effet, que toute personne qui ne détient pas la nationalité d’un pays reconnu ou qui souhaite acheter des biens immobiliers au Liban alors qu’un tel acte serait en contradiction avec les dispositions de la Constitution relatives au refus de l’implantation, ne peut être propriétaire au Liban. Selon les Palestiniens rencontrés, cette loi a créé des situations absurdes. N’ayant pas d’effet rétroactif, elle empêche les Palestiniens ayant déjà acheté des maisons ou des terrains de les transmettre en héritage à leurs enfants. Et ces propriétés inscrites au nom d’un défunt n’ont plus de propriétaire légal. Un véritable imbroglio juridique que les Palestiniens considèrent comme une injustice. Car, selon eux, l’héritage devrait faire partie des droits acquis. Très peu de mariages mixtes D’ailleurs, pendant des années, ces Palestiniens bien intégrés croyaient pouvoir vivre normalement dans les villages, aux côtés des citoyens. C’est vrai qu’ils ne nouent pas beaucoup de mariages mixtes avec les Libanais, préférant s’unir avec des réfugiés installés dans les camps ou non. Mais ils essaient de ne pas provoquer de troubles et en tout cas de ne pas se faire remarquer. Ahmed affirme ainsi que lorsqu’ils souhaitent organiser une manifestation, généralement de soutien avec les Palestiniens des territoires occupés, ils demandent un permis préalable aux autorités. Leur unique mot d’ordre est de se faire oublier. Et si les responsables des organisations continuent d’affirmer qu’ils rejettent toute idée d’implantation dans les pays d’accueil, eux préfèrent être francs et réclamer ce qu’ils affirment être des droits élémentaires. «Ce n’est pas une trahison, souligne Ahmed, mais une vision pragmatique de la situation. Depuis 1948, on nous promet le retour sur notre terre, mais nous voyons celle-ci devenir plus inaccessible chaque jour et, entre-temps, nous avons fondé des familles, nous essayons de construire un avenir pour nos enfants, et nous ne pouvons pas le faire dans la précarité actuelle dans laquelle nous vivons. De plus, la tension qui règne aujourd’hui dans le pays se répercute sur nous. Nous sommes le point faible et dès qu’il y a un problème, on cherche à nous le faire assumer. Alors que nous essayons d’être corrects et de mener une vie tranquille. » Les Palestiniens qui vivent hors des camps continuent de suivre les développements dans les territoires occupés. Ils vibrent à leur rythme et souffrent avec leurs compatriotes. Deux choix également haïssables En eux, il existe une sorte de schizophrénie. D’une part, ils se sentent Palestiniens jusque dans leurs entrailles et, de l’autre, ils veulent mener une vie normale et assurer un avenir à leurs enfants. Au Liban, ils ne veulent pas faire de politique, même si dans leur cœur ils ont pleuré Yasser Arafat et jettent un regard sceptique sur ses successeurs, allant même jusqu’à comparer le candidat à la présidence de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, de «Sadate palestinien». Mais ils ne sauraient lui en vouloir car ils comprennent mieux que les autres qui, selon eux, ont l’esprit nourri de chimères et de rêves romantiques, que la réalité est autrement plus dure et qu’elle exige du bon sens, voire un certain cynisme. C’est pourquoi bon nombre d’entre eux reconnaît ouvertement que des indemnités et la nationalité libanaise serviraient mieux leurs intérêts qu’un hypothétique droit au retour, qui ne pourrait se concrétiser dans un futur proche. Selon ceux que nous avons rencontrés, les Palestiniens seraient très nombreux dans les villages de la Békaa et même à Rachaya, à Deir Zanoun et dans d’autres localités. Ils sont si bien intégrés que la population oublie souvent leur origine et leur statut. Tout en affirmant qu’il faudrait dissocier le volet humain et social du politique, dans la situation des réfugiés palestiniens du Liban, ils comprennent les appréhensions des autorités libanaises, mais considèrent qu’il est temps que les Palestiniens puissent vivre normalement. Selon eux, de plus en plus d’ONG internationales militent dans ce sens et certaines entreprises recevraient actuellement des fonds pour embaucher des réfugiés palestiniens. Pour les Palestiniens hors des camps, toutes ces démarches ne peuvent que faciliter leur intégration. Ils déplorent d’ailleurs que seulement environ 20000 d’entre eux aient été naturalisés dans le cadre du dernier décret de naturalisation, aujourd’hui contesté. Mais ils ne veulent pas précipiter les choses, car ils ne souhaitent nullement irriter les Libanais avec lesquels ils espèrent vivre en harmonie. Pour eux, l’avenir est encore sombre et ils affirment devoir choisir entre deux options également haïssables: vivre dans la précarité, sans espoir d’avenir, ou accepter l’implantation et perdre leur rêve. Certains ont fait leur choix. Mais le Liban, lui, est loin d’être dans cet état d’esprit. Les Palestiniens le savent et ils prient pour que son rejet de l’implantation ne se transforme pas en feu vert pour un nouvel exode vers des contrées encore plus inhospitalières. Scarlett HADDAD Des chiffres qui en disent long Selon le rapport de l’Unrwa, publié le 31 mars 2003, le nombre total de réfugiés palestiniens enregistrés au Liban seraitde 390 498 personnes. Ceux qui vivent dans les camps du Liban seraient 220052 et ceux qui vivent hors des camps 170446. Toutefois, ces chiffres ne sont pas forcément très précis, car certains réfugiés ne sont pas enregistrés dans les documents de l’Unrwa, surtout les descendants de ceux qui sont arrivés en 1948 et qui vivent dans une certaine aisance, rendant inutiles pour eux les aides fournies par l’Organisation des Nations unies. Au départ, il y avait officiellement au Liban seize camps, mais pendant la guerre quatre d’entre eux ont été détruits, sans avoir été reconstruits : il s’agit de Tall Zaatar, Jisr el-Bacha, Nabatiyeh et une grande partie de Sabra (le bidonville de La Quarantaine n’était pas répertorié comme un camp). Les camps qui existent encore aujourd’hui sont: Nahr el-Bared 28931 personnes; Baddawi : 15982; Bourj Brajneh: 20162; Dbayé: 1414; Aïn el-Héloué: 44775; Rachidiyé: 25081, Bourj Chémali: 18375: Bass: 9951; Sabra et Chatila: 12116; al-Jalil: 7478, Miyé Miyé: 4995 et Mar Élias: 7540. Mais il y a des îlots qui se sont développés depuis la guerre, sans avoir le statut officiel de camp. Un statut de plus en plus difficile L’accord du Caire, signé entre le Liban et l’OLP en 1969 régissait officiellement la présence des Palestiniens au Liban et préservait leurs droits sociaux. Mais il a été aboli en 1982, dans la foulée de l’invasion israélienne. La démarche a été officialisée par un vote au Parlement en 1987. En 1995, le Parlement libanais a introduit des restrictions au travail des Palestiniens vivant au Liban, leur interdisant l’accès à 70 métiers ou professions. Et en 2000, une nouvelle loi sur la propriété foncière a été adoptée, interdisant aux Palestiniens de posséder des biens immobiliers au Liban.
Depuis la disparition de Yasser Arafat, le problème du sort des réfugiés palestiniens dans les pays arabes et notamment au Liban se pose avec encore plus d’acuité. La nouvelle direction qui se met en place, et qui bénéficie visiblement de l’aval de Washington, ne semble pas faire du droit au retour une de ses priorités, préférant consacrer ses efforts à l’édification...