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Actualités - CONFERENCES DE PRESSE

Conférence - La politique arabe des trois puissances française, britannique et américaine perçue sous un nouvel angle Relire l’histoire d’Orient, le pari de la nouvelle trilogie d’Henry Laurens (Photo)

Déconstruire systématiquement le savoir que nous croyons posséder. Réécrire l’histoire du Proche et du Moyen-Orient à travers un axe thématique principal, celui de « la rencontre des puissances occidentales dans l’espace de l’Orient arabe, dans l’affrontement comme dans l’échange ». Tels sont les objectifs que s’est fixés l’historien Henry Laurens à travers ses trois nouvelles publications intitulées Orientales et centrées sur la France et l’islam. C’est dans le cadre du Salon Lire en français et en musique que Henry Laurens, professeur au Collège de France, où il occupe la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe depuis le 11 mars dernier, et ancien directeur du Cermoc, a donné une conférence – présentée par le journaliste Samir Kassir – autour de sa nouvelle trilogie Orientales I, II et III. Il a ensuite signé les trois volumes au stand de la librairie al-Bourj, en présence notamment de M. Ghassan Tuéni, de l’ambassadeur de France, Philippe Lecourtier, et du politologue Samir Frangié. « Ces recueils d’articles sont des autobiographies intellectuelles », a précisé Henry Laurens. « Elles correspondent, d’une part, à des étapes de la formulation d’une pensée et d’une recherche avec la récurrence d’un certain nombres de réflexions ; et, d’autre part, parce qu’une partie de ces travaux ont été des commandes pour des colloques afin de développer certains éléments et événements. » Dans « Orientales I- Autour de l’expédition d’Égypte», l’auteur analyse l’atmosphère intellectuelle qui a présidé à l’expédition de 1798. Il dit, en substance, que « les origines intellectuelles de l’expédition s’inscrivent dans le cadre de la pensée des Lumières qui s’était construite sur l’idée que l’Orient est l’origine ». Les Européens ont en effet considéré qu’ils venaient « d’ailleurs », de la Grèce et de Rome. Mais comme entre la Grèce, la Rome antique et eux, il y avait une rupture, c’est-à-dire, le Moyen Âge, il leur fallait trouver une solution de liaison. « Ce sera la civilisation arabe héritière de la civilisation antique dont le rôle historique, disent-ils, est de transmettre le savoir à l’Occident pour que celui-ci le découvre et le monte à un niveau plus élevé », a souligné Henry Laurens. Et comme les Grecs affirmaient qu’ils avaient retiré leur science et leur art d’Égypte », alors, une « construction intellectuelle extrêmement intéressante » s’est mise en place. L’élite des francs-maçons, qui tire sa théorie d’origine de l’Égypte, tenait le discours suivant : l’Égypte c’est la sagesse ; la Grèce et Rome c’est le civisme ; et les sciences viennent des Arabes bien plus que de l’Antiquité. Dès lors, la Renaissance sera un « récapitulatif de l’histoire » et plus tard, dans « l’imaginaire politique », la révolution illustrerait le « civisme » alors que l’expédition en Égypte aurait pour but de « ramener les arts et les sciences en matière de régime », mais aussi « retrouver la sagesse ». Ce sont « ces réflexions intellectuelles, cette dimension extrêmement secrète qui a inspiré, quelque part, la démarche politique qui est l’imaginaire et qu’aucun grand homme, même Napoléon, n’a pu exprimer clairement », a indiqué le conférencier. Le livre examine aussi la façon dont Bonaparte a mis en place une véritable politique arabe de la France et les conséquences de cette politique au XIXe siècle, tant sur la genèse de la nation égyptienne au temps de Mohammed Ali que sur la poursuite de la politique arabe de la France au temps de Napoléon III. On suivra également avec intérêt la façon dont Henry Laurens déconstruit le mythe de l’aventurier Lascaris, homme de Napoléon en Orient, « incarnation du rêve oriental », tout entier construit par Lamartine dans son Voyage en Orient de 1835. La France et l’islam La suite chronologique du premier volume est consignée dans « Orientales II - La IIIe République et l’islam », où l’auteur poursuit sa réflexion sur les liens complexes entre « savoir orientaliste » et pouvoir politique. Dans le cadre de sa mission civilisatrice, « la France coloniale est en effet conduite à se définir comme une puissance musulmane ». La « politique arabe » manifestée lors de l’expédition de 1798 s’efface au profit d’une « politique musulmane » dont Henry Laurens souligne qu’elle n’aura pas de suite puisque la IVe République va opérer un retour à la politique arabe qui repose sur un « islam national ». Selon l’auteur, ce moment unique dans l’histoire des relations franco-arabes voit les savants orientalistes (Louis Massignon à titre d’exemple) et les autorités politiques travailler en étroite concertation, au sein d’une véritable « islamologie appliquée ». Enfin, « Orientales III-Parcours et situations » déroule sur plus de 300 pages la présence et l’action étrangères au Moyen et au Proche-Orient, permettant ainsi la compréhension de deux siècles de confrontation entre les grandes puissances, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Union soviétique. Après avoir abordé la Méditerranée sur trois millénaires et les rapports entre les Turcs et les Arabes, Laurens planche sur des situations « spécifiques » comme la « crise d’Orient » (1876 à 1883), révélant que les documents d’archives de cette époque recèlent « des choses extrêmement bizarres. On vous parle déjà d’un État juif en Palestine, d’un panislamisme, d’un nationalisme arabe et ensuite, tout s’effondre d’un seul coup en 1883, et on n’en reparle plus pendant un quart de siècle. J’ai donc essayé d’analyser cette séquence d’événements où il y a eu comme une répétition générale de tout le XXe siècle moyen-oriental ». Autre grand thème de ces parcours et situations : « L’impérialisme comparé », élément essentiel pour la compréhension de l’histoire contemporaine. L’auteur se penche sur la politique des trois puissances, française, britannique et américaine. Mettant l’accent sur les intérêts géopolitiques, économiques et stratégiques, tout à la fois « communs et différents », il les analyse à partir de ce qu’il appelle la « projection anthropologique des métropoles ». Tandis que les Américains se veulent être les promoteurs d’un libéralisme politique et décolonisateur favorable à l’indépendance des États du Levant, « l’anthropologie de la France se projette à travers une politique culturelle assimilatrice ». Autrement dit, le projet des Français était « de voir le consul de France poser à côté de l’évêque du coin, ou du rabbin du coin, ou encore à côté du wali ottoman, et entendre les enfants des écoles réciter les Fables de La Fontaine. Et, paradoxe, nous avions Maurice Barrès, héros d’un nationalisme raciste et agressif, faire l’apologie de tous les francophones du Levant », souligne Laurens. Quant aux Britanniques qui préconisaient une politique dite « différentialiste », ils étaient horriblement vexés de la présence culturelle française et considéraient les Levantins comme « l’espèce la plus abominable qui soit ; ils avaient toutes les tares des indigènes et, en plus, celles des Français ». Les Anglais construisent dès lors un récit antilevantin qui les conduit à « l’apologie de l’homme du désert, ce bédouin maigre, mais pur et authentique, à partir duquel ils vont élaborer un projet national arabe sous la tutelle bienveillante de la Grande-Bretagne ». Dans un chapitre qu’il considère comme étant le plus abouti de ses articles, Henry Laurens analyse de façon particulière la rencontre de T. Laurence avec le roi Abdallah et la création de la Jordanie faite « dans l’ambiguïté et la méconnaissance la plus totale de la réalité de la population ». Il raconte le partage du Levant, codé, pour les Français, sous le nom de Syrie ; et pour les Anglais, sous celui d’Arabie ; la rencontre de MM. Sykes et Picot pour définir la frontière géographique entre la Syrie et l’Arabie, et internationaliser la Palestine ou « en quelque sorte la neutraliser et créer un espace tampon entre le système impérial français et le système impérial britannique ». Dans la partie intitulée «Situations contemporaines », Laurens se penche sur les relations entre l’URSS et l’Égypte, le Vatican et Israël, le jihad international... Mais la liste est longue puisque les parcours et situations qui composent « Orientales III » vont de la longue durée (la Méditerranée comme personnage historique) aux événements les plus récents, et met l’accent sur « l’analyse des logiques internes dont la culture politique de l’Orient arabe contemporain est le produit ». May MAKAREM
Déconstruire systématiquement le savoir que nous croyons posséder. Réécrire l’histoire du Proche et du Moyen-Orient à travers un axe thématique principal, celui de « la rencontre des puissances occidentales dans l’espace de l’Orient arabe, dans l’affrontement comme dans l’échange ». Tels sont les objectifs que s’est fixés l’historien Henry Laurens à travers...