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Actualités - CHRONOLOGIE

Poutine n’a pas le charisme d’un dictateur, affirme l’académicienne française dans une interview à « L’Orient-Le Jour » Où sont les élites russes, s’interroge Hélène Carrère d’Encausse

Lors d’un passage à Beyrouth pour la présentation de son dernier ouvrage « L’Impératrice et l’Abbé », Hélène Carrère d’Encausse critique les récentes décisions du président russe Vladimir Poutine, qui vient d’entamer son second mandat présidentiel. Si l’académicienne et historienne française de renom reconnaît que le président russe ne risque pas de virer dictateur, elle appelle toutefois les élites du pays à réagir face à des décisions politiques contestables et à s’engager sur la voie des réformes démocratiques. Connue pour afficher un soutien solide au président russe, Hélène Carrère d’Encausse semble aujourd’hui porter un regard plus critique sur Vladimir Poutine : il y a « un changement d’accent dans la politique intérieure de la Russie », souligne-t-elle d’emblée. L’académicienne se dit en effet troublée par des propos récents du maître du Kremlin dans lesquels il explique que la Russie n’est pas encore tout à fait mûre pour des grandes reformes. Or, pour l’historienne, « la Russie a besoin de poursuivre dans la voie de la réforme », alors qu’il semble que « pour Poutine, le maintien d’ordre doive primer sur tout ». Hélène Carrère d’Encausse ajoute par ailleurs que les dernières réformes demandées par Vladimir Poutine concernant la nomination par le Kremlin des gouverneurs sont un sujet secondaire. Ce qui paraît plus important aux yeux de l’académicienne, c’est d’abord « cette concentration de pouvoir croissante (dont la nomination des gouverneurs n’est qu’un élément). Aujourd’hui, il est clair qu’on va dans le sens de la domination du centre sur les périphéries ». « La verticale du pouvoir n’est pas un vain mot », affirme-t-elle. C’est ensuite « l’idée qu’on peut laisser dormir un moment les réformes » pour privilégier une stratégie sécuritaire. « Si les réformes ne vont pas de pair avec l’aménagement du pouvoir, il y aurait un déséquilibre entre les deux objectifs de modernisation économique et de modernisation politique du pays », avertit Hélène Carrère d’Encausse. « La société ne réagit pas », s’indigne-t-elle. Avec un Parlement monochrome, la société russe n’a, en outre, plus de représentants. Et ce qui est encore plus grave, constate l’historienne française, c’est que « les chefs d’opposition se sont évanouis dans la nature. Tous ces gens se taisent, considèrent qu’il n’y a rien à faire. Personne n’élève la voix », s’indigne toujours l’académicienne. Une véritable « régression » pour la Russie, estime-t-elle. Le constat est d’autant plus saisissant que « dans les années 90, il y a eu des moments de réactions sociales très forts. La société s’exprimait, elle était portée par une sorte d’élan. Par l’idée que, malgré tout, les choses changeaient. Que c’était elle qui construisait son destin. Boris Eltsine avait insufflé un espoir à la société dans le cadre de son rêve démocratique ». Et ce malgré les différentes critiques que l’on peut lui adresser sur les privatisations très désordonnées qu’il a accomplies. Chose saisissante, poursuit l’académicienne, « aujourd’hui, la société est complètement amorphe ». On peut le constater par exemple en analysant les réactions russes à la prise d’otages à l’école de Beslan. « Après l’attentat de Madrid, la société espagnole tout entière est allée manifester son indignation », souligne Hélène Carrère d’Encausse. Lors de la prise d’otages de Beslan, la société russe a continué à vivre normalement, dans une indifférence totale. « Les seules manifestations ayant eu lieu ont été largement organisées par le pouvoir. Mais quand une société manifeste parce qu’on l’invite à le faire, nous ne sommes pas dans la perspective d’une société démocratique. Nous retrouvons ici le fonctionnement du système soviétique », affirme-t-elle. Plus inquiétant encore aux yeux de l’académicienne en matière de régression par rapport aux progrès démocratiques des années 90, est le découragement auquel semble être sujette la société, « une certaine apathie qui pour le progrès démocratique de la Russie est embêtant ». Et Hélène Carrère d’Encausse de se poser une question : Comment réveiller la société russe ? Si la question d’une révision constitutionnelle se pose, « si Poutine déclare demain : “Je veux faire un troisième mandat”, ce qui n’est pas dans la Constitution, je me demande qui l’en empêchera ? » s’interroge-t-elle. Cependant, l’historienne ne porte pas la faute sur la société civile, mais plutôt sur les élites russes qui ont quitté la scène politique, pour se diriger vers les affaires. « Les élites ont adopté une attitude totalement négative. Il y a une sorte de démission de leur part, et cela pose un problème pour la Russie, qui ne peut reculer sur ce qui a été acquis », avertit-elle en outre. Malgré ce sombre tableau, l’académicienne estime qu’il faut rester très prudent, et ne pas crier à la dictature en Russie. Pour elle, « Vladimir Poutine ne saurait être un dictateur car on ne peut pas être un dictateur si l’on n’a pas une volonté féroce, si l’on n’a pas un charisme de dictateur ». « La dictature ne s’improvise pas, affirme-t-elle en outre, n’importe qui ne peut pas être dictateur. On peut être dictateur manqué, un dictateur comique ». L’historienne avait pourtant évalué plutôt positivement le premier mandat du président Poutine lors d’une interview à L’Orient-Le Jour l’année dernière. « Il y a un changement entre le premier mandat et celui qui a commencé, il y a quelques mois », admet Hélène Carrère d’Encausse. « Le second mandat est plus difficile à cerner : que veut Poutine exactement ? Nous soHélènes sur l’impression d’une politique tâtonnante beaucoup moins précise qu’auparavant. Et ce n’est pas de cette façon que l’on construit une dictature », conclut-elle. Le sentiment de l’académicienne est que Vladimir Poutine, après cinq ans au pouvoir, n’a pas d’équipe. Dans le cadre du gouvernement russe, à part le ministre de la Défense et le ministre des Affaires étrangères, le profil du cabinet est difficile à définir. En outre, lors de la prise d’otages de Beslan, le Premier ministre n’a pas jugé utile de se manifester malgré la gravité de la situation. Par ailleurs, l’importance du problème tchétchène, affirme Hélène Carrère d’Encausse, tient au fait que « ce qui était réduit à la République de Tchétchénie est désormais en passe de déstabiliser l’ensemble du Caucase, puisqu’il ne touche plus uniquement les relations entre Moscou et cette république. Le problème s’étend aujourd’hui au Daghestan, à l’Ossétie, avec ce qui s’est passé dernièrement à Beslan, et pèse également sur la Géorgie par cette insertion dans l’ensemble du Caucase ». Une situation qui fait craindre au Kremlin un effet de domino. Là aussi on peut se demander, s’interroge l’historienne, quelle est la stratégie de réponse de Vladimir Poutine. « Pour l’instant on ne l’aperçoit pas. » Enfin, pour terminer sur une note d’optimisme, l’académicienne affirme qu’actuellement la Russie doit saisir la chance unique qu’elle a de traverser une période d’essor économique inédit pour servir les réformes longuement souhaitées. Propos recueillis par Antoine AJOURY
Lors d’un passage à Beyrouth pour la présentation de son dernier ouvrage « L’Impératrice et l’Abbé », Hélène Carrère d’Encausse critique les récentes décisions du président russe Vladimir Poutine, qui vient d’entamer son second mandat présidentiel. Si l’académicienne et historienne française de renom reconnaît que le président russe ne risque pas de virer...