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Actualités - REPORTAGE

Dossier Société - Les enfants sont toujours les principales victimes de la séparation Le divorce au Liban, des causes socio-économiques et une grande souffrance (photo)

«Je vous proclame mari et femme», «Unis pour le meilleur et pour le pire», «Moi, Ghada, déclare prendre pour époux Sami, l’aimer et le chérir jusqu’à ce que mort s’ensuive»... Au fil de la vie, avec ses beaux et mauvais moments, les conjoints, qui se sont jurés de s’aimer éternellement, manquent à leur engagement. Les promesses tombent à l’eau et l’amour cède la place à la rancune. La vie commune devient un véritable enfer et les époux n’ont plus qu’une seule hantise : se défaire le plus vite possible des liens qui les unissent. Mais la procédure de divorce ne s’avère pas des plus faciles, notamment chez les communautés catholiques qui considèrent que «l’homme ne peut pas défaire ce que le Seigneur a uni». Les conjoints s’engagent alors dans des procès longs et onéreux, au terme desquels ils sortent lésés et éprouvés par une grande souffrance inégalement vécue, jurant de ne plus recommencer. Ou, tout simplement, ils adoptent un nouveau rite en vertu duquel le divorce est agréé et obtenu... en quelques semaines. Mauvaise situation économique, infidélité, adultère, refus ou incapacité d’assumer les liens conjugaux...? Les avocats estiment que les demandes de divorce sont un amalgame de toutes ces causes. Il s’agit aussi, selon les sociologues, «d’un manque de formation aux épreuves, du fait qu’on évolue dans un système de satisfaction et de consommation immédiates du désir». Et tout en se félicitant de constater que le divorce au Liban n’a pas atteint les proportions observées en Europe et en Amérique du Nord, les spécialistes observent que les enfants demeurent les victimes principales dans de tels conflits. Parce que les parents, désireux de pousser loin leur vendetta, les utilisent comme boucliers et les exploitent sur le plan affectif pour parvenir à leurs fins. Nada MERHI Principal problème des couples: les contradictions entre tradition et réalité Soulever la question du divorce au Liban, c’est analyser de près les raisons pour lesquelles les jeunes fuient l’institution du mariage, attitude qui constitue un problème grave dans notre société libanaise. «Les gens ne se marient plus pour divorcer, s’exclame M. Abdo Kahi, sociologue. Les filles recherchent davantage l’éducation et la carrière, ce qui les rend indisponibles pour le mariage à un âge jeune. Les dernières statistiques ont montré que près de 55% des filles âgées de 32 ans sont encore célibataires, l’âge moyen du mariage au Liban étant passé de 24 ans à 28 ans pour les femmes et de 28 ans à 32 ans pour les hommes. En Europe, les mariages continuent à être contractés à un âge jeune.» «Par ailleurs, poursuit M. Kahi, les traditions orientales qui pèsent lourdement sur notre pays obligent l’homme à subvenir aux besoins de la famille. Comme les exigences de la vie deviennent de plus en plus difficiles, les hommes et les femmes se trouvent, tous les deux, à la recherche d’un emploi. Ce qui entraîne une crise dans la relation, puisque la suprématie de l’autorité masculine est bouleversée. La femme, plus éduquée que dans le passé, cherche absolument à prendre part aux décisions du couple. Ce qui a pour effet de faire fuir les hommes.» Selon le sociologue, les mariages ne se font plus essentiellement par amour, mais suivant des critères de raison, puisque l’homme et la femme étaient pris, chacun de leur côté, au moment où le grand amour aurait dû se réveiller. «Les couples constatent ainsi que la vie est froide, difficile et exposée à un plus grand nombre de conflits», constate M. Kahi. Le divorce se pose alors comme solution, au Liban comme partout dans le monde. «Heureusement que le divorce n’a pas atteint dans notre pays les proportions observées en Europe et en Amérique du Nord, où les taux de séparation s’élèvent respectivement à 20% et à 30%, au terme de cinq ans de mariage, souligne le sociologue. Au Liban, le taux de divorce, bien qu’il ait doublé, ne dépasse pas les 4% pour une même période de vie commune. Cela ne nous empêche toutefois pas de constater des crises au sein des ménages, qui mènent à plus de conflits et à une élévation du taux des demandes de divorce.» Suprématie de l’homme Le problème de l’éducation de la femme est inhérent également aux pays arabes, où l’autorité de l’homme est également menacée. Ce dernier n’est pas en fait préparé à cette nouvelle version du couple, où la femme a son mot à dire. «Il faut, à mon avis, réviser l’institution du mariage et aider les jeunes à se constituer en couples sur une base d’association et de compréhension mutuelle dans la prise de décisions, insiste M. Kahi. Mais les jeunes, surtout les hommes, ne sont pas préparés à cela, d’autant plus que dans sa constitution actuelle, le mariage leur donne la suprématie, ce qui est difficile à gérer et à accepter dans la vie quotidienne.» «Les dernières statistiques que nous avons menées sur les ménages ont montré qu’on attribue toujours à la femme un rôle traditionnel qui consiste à élever les enfants et à s’occuper de la maison, alors que c’est l’homme qui doit subvenir aux besoins de la famille, explique M. Kahi. Ce qui a pour effet d’augmenter les conflits au sein des ménages. C’est un sujet épineux et délicat. Le mariage demeure en fait un marché où l’homme achète et où la femme est soumise à la loi de l’offre et de la demande. Or, sur ce marché-là, la femme est de moins en moins demandée, parce qu’elle devient plus exigeante.» «De plus, ajoute le sociologue, il faut savoir que le mariage n’est pas une relation d’amitié, mais une relation sexuelle. Or, dans les sociétés traditionnelles, ces relations étaient réservées au mariage. Actuellement, elles se pratiquent facilement en dehors de ce lien, ce qui retarde encore plus le jour J. Je pense que le plus grand problème qui se pose au sein des couples demeure la non-satisfaction sexuelle, d’autant plus que les mariages sont contractés sur des bases rationnelles qui ne prennent pas ces relations en considération.» L’une des causes majeures qui pousse encore plus les couples à choisir le divorce demeure, selon M. Kahi, le manque de formation aux épreuves, «du fait qu’on évolue dans un système de satisfaction et de consommation immédiates du désir». «Toute la spiritualité de l’être humain est ainsi bafouée, déplore-t-il. On baisse les bras rapidement, d’autant plus qu’on est exposé à un marché visuel extrêmement diversifié. Il est inutile de rappeler dans ce cadre que la société de consommation des désirs sexuels est en plein essor, ce qui expose l’institution du mariage aux influences externes et au manque d’effort.» Et de conclure: «Le divorce doit être étudié à partir de l’institution du mariage et des changements parvenus dans les sociétés, dont les conséquences sur nos comportements n’ont pas été suffisamment analysées. Je ne dis pas qu’il faut revenir vers des structures traditionnelles rigides. Au contraire, il faut savoir réaménager nos institutions en fonction des avancées sociales, tout en insistant sur notre humanité. Nous devons, dans notre éducation, être reformés au goût de l’épreuve et de l’effort.» Leila : deux divorces, dont l’un pour avarice Leila est passée par deux divorces. «J’avais vingt-cinq ans lorsque je me suis mariée la première fois, se souvient-elle. Nous nous étions connus pendant cinq ans et étions très amoureux. Après le mariage, il a été victime d’une maladie physiologique qui l’a rendu stérile, ce qui l’a beaucoup perturbé et frustré.» Après cinq ans de vie commune, Leila a intenté un procès en divorce, qu’elle a obtenu d’ailleurs au bout de deux ans et demi. «Les choses ont traîné parce qu’il était indécis, signale-t-elle. Il voulait me contrarier. Mais j’avais de très fortes raisons pour divorcer, ce qui a facilité les choses par la suite. Il est important pour une femme d’avoir des enfants, et comme nous ne pouvions pas le faire, la balance a penché en ma faveur. Nous avions pensé à l’insémination artificielle, mais comme il avait beaucoup changé, j’ai eu peur pour l’avenir, d’autant plus que l’enfant n’aurait pas été de lui.» Trois ans après son divorce, Leila s’est remariée, «avec un homme que je connaissais depuis longtemps et qui était conscient de mes problèmes». «J’ai cru que j’allais être heureuse avec lui, puisque je n’avais pas à tout expliquer, confie-t-elle. Nous nous sommes alors mariés, alors que j’avais juré de ne plus le faire. Nous avons eu une fille, et au bout de onze ans, nous avons divorcé.» Pourquoi? «Plusieurs causes sont entrées en jeu, répond-elle. Mais il était surtout d’une avarice mortelle. Il calculait tout. C’est moi qui subvenais aux besoins de notre foyer, au moment où il amassait et économisait son argent. Et quand nos finances ont un peu baissé, il a refusé de débloquer un seul sou. Il voulait nous faire vivre dans la misère, sa fille et moi.» Leila a obtenu son deuxième divorce au bout d’un an. «Tout jouait en ma faveur, affirme-t-elle. C’est un homme qui n’aurait jamais dû se marier. Il a profité et abusé de moi. Ma fille vit avec moi. Je ne voulais pas qu’elle reste avec lui. Il n’est pas digne d’être un père. Figurez-vous qu’il m’accuse d’avoir détruit notre foyer conjugal. Et quand je lui ai demandé ce qu’il avait fait pour le sauver, il a failli s’offusquer. Il se prenait pour le parti idéal.» «Si c’était à refaire, je recommencerais» «Les divorces m’ont beaucoup coûté, tant sur le plan financier que moral, signale Leila. C’est très frustrant et dégradant. Les tribunaux vous soutirent beaucoup d’argent et ils trouvent toujours des raisons valables pour le faire. De plus, certains curés sont très vicieux. Ils vous posent des questions pour leur propre plaisir. Je rentrais en larmes après les audiences. De son côté, la société ne vous ménage pas. Elle vous regarde d’un mauvais œil. Une femme divorcée est considérée comme une proie facile pour les hommes, et les femmes mariées la fuient, car elles ont peur de perdre leur conjoint. Aujourd’hui, la société accepte mieux la femme divorcée. D’ailleurs, les proies faciles existent partout. On ne va pas se lancer spécialement à la recherche d’une femme divorcée.» Avec le recul, vous pensez que vous auriez pu éviter les divorces? «Non, si c’était à refaire, je recommencerais», affirme Leila. Pensez-vous vous remarier? «Non, tranche-t-elle, à moins que ça ne soit avec un type super bien. Or, la réalité est différente et les hommes de ce genre n’existent pas. Je préfère encore vivre en concubinage. J’ai peur de signer de nouveau un contrat de mariage. J’ai l’impression que cette signature me porte malheur. Je n’aime pas la solitude. J’aime la compagnie des hommes. Mais j’ai peur. D’ailleurs, un homme ne va pas chercher une femme divorcée, avec à sa charge une fille, pour fonder une famille. Il trouvera certainement de jeunes filles célibataires.» Le calvaire de Sonia : quatre ans de procès et 20 000 dollars pour annuler son mariage Mariée à 17 ans contre la volonté de ses parents, Sonia en a vu de toutes les couleurs onze ans durant. Tout a commencé après le mariage, son époux s’étant sagement comporté durant la période qui a précédé leur union. «Nous nous sommes connus six mois, raconte-t-elle. J’étais folle amoureuse de lui. Au début, il faisait des efforts pour me plaire et fréquentait les gens que je voulais.» Mais une fois les rideaux tirés sur le foyer conjugal, les problèmes ont commencé à ressurgir de tous les côtés. «Nous n’avions rien en commun, avoue-t-elle. Nous étions d’éducation et de souches différentes. J’ai ainsi découvert, après avoir eu mes deux enfants, qu’il se droguait. Je l’ai dit à sa mère, mais nous n’avons rien pu faire pour l’en éloigner. Sans oublier ses infidélités à la pelle. Il rentrait au petit matin et me racontait des mensonges, qu’il était en voyage pour des affaires, par exemple. Mais je savais qu’il était dans un petit hôtel, en compagnie de l’une de ses femmes.» «Je n’ai rien dit à mes parents, qui s’opposaient à mon mariage, avoue-t-elle. J’ai souffert en silence et me suis tue pour protéger mes enfants. Mais quand j’ai eu le courage de le quitter, je l’ai fait. J’ai agi pour le bien de mes fils. Je ne voulais pas qu’il les influence mal avec ses mauvaises habitudes, son agressivité et son caractère. Je ne pensais pas à ma personne. Quand on est adulte, on sait surmonter ses difficultés. Mais je voulais assurer à mes enfants une autre ambiance que celle, malsaine, dans laquelle nous vivions.» Ainsi, après onze ans de mariage, Sonia a entamé la procédure de divorce. Le procès a duré quatre ans, au terme desquels elle obtint une annulation du mariage. «Au début, il refusait de divorcer, affirme-t-elle. Il voulait m’embêter. Mais il a vite compris que j’avais de très fortes preuves qui l’accablaient. Il a alors cédé, à condition que j’assure toutes les dépenses, même celles de son avocat. J’ai accepté. Et mon procès m’a ainsi coûté 20 000 dollars.» Au début, les enfants ont été affectés par les procédures. «Ils sont devenus un peu agressifs, constate Sonia. Mais cette période s’est vite dissipée, d’autant plus que j’étais tout le temps présente pour eux. De plus, mes enfants sont très sportifs. Cela les aide à décompresser.» Durant les trois années qui ont suivi le divorce, l’ex-mari de Sonia n’a pas cherché à avoir des nouvelles de ses enfants. «Ce sont eux qui ont demandé à le voir, dit-elle. Ils le visitent de temps à autre. Ils ont pitié de lui.» Et d’ajouter: «Les enfants sont entièrement à ma charge, sur le plan financier également. Même si on réussit son divorce, on continue à avoir des problèmes, tant sur le plan affectif que pécuniaire. Heureusement que mes parents m’aident dans les dépenses.» Il y a trois ans, Sonia s’est remariée, avec un homme lui aussi divorcé. «Au début, j’ai eu des problèmes avec ses enfants, qui considéraient que je prenais la place de leur mère, note-t-elle. Mais avec le temps, ils ont appris à me connaître et ils m’ont acceptée. Mes enfants et les siens s’adorent. Ils sont même complices. Vous savez, je ne suis pas contre la vie de couple, à condition de faire le bon choix.» Fouad change de rite pour ne pas faire profiter les curés Un mariage aveuglé sur les bords. C’est ainsi que Fouad qualifie son union qui n’a duré qu’un an. «C’était un fiasco total, reconnaît-il. Sa famille intervenait dans tout ce qui nous concernait, et elle se laissait faire. Quand un couple ne jouit pas de son indépendance et de son autonomie, le mariage échoue. J’ai vécu à l’étranger et je voyais les choses d’un autre œil. J’ai les idées un peu plus ouvertes et je n’acceptais pas certaines choses. J’ai cru que la situation allait changer avec le mariage. Elle a empiré.» «C’est avec le temps que vous découvrez cela, poursuit Fouad. Notre société ne permet pas de découvrir l’autre. On se connaît autour d’un verre ou d’un café dans un restaurant ou dans un pub. Mais c’est une fois mariés que les vrais problèmes commencent à surgir.» N’auriez-vous pas préféré sauver votre ménage? «Non, admet-il. Et je n’éprouve aucun regret. J’ai découvert plus tard qu’elle avait des relations bizarroïdes avec son frère, qui frôlaient l’inceste. Elle lui voue une admiration démesurée et elle dépend trop de lui.» Pour divorcer, Fouad a choisi de changer de rite. «Je suis catholique, dit-il. Nous avons donc choisi de devenir orthodoxes, ce qui nous a permis d’obtenir le divorce en un mois. Nous ne disposions pas de mille et une solutions. Soit nous changions de rite, soit nous effectuions les interminables va-et-vient dans les tribunaux, avec toutes les dépenses onéreuses qui s’en suivent. Et comme les curés avaient déjà assez profité de mon mariage, je ne voulais pas qu’ils en gagnent aussi avec mon divorce. De toute façon, je considère qu’il s’agit d’une simple paperasse. Je suis favorable à un État laïque. Je me suis marié à l’Église par amour et par respect pour elle.» La législation dans les communautés catholiques: trois solutions, selon les cas Sur le plan juridique, nous nous limiterons dans le cadre de ce dossier à évoquer le divorce du point de vue des communautés catholiques uniquement, puisque les différents autres rites chrétiens et musulmans acceptent les désunions. Les communautés catholiques distinguent trois aspects de la séparation des époux: la séparation de corps, l’annulation du mariage et la dissolution du mariage du fait d’une anomalie qui se serait présentée avant le mariage mais qui serait demeurée secrète et aurait éclaté après le mariage. «La mésentente, les brimades, le fait que l’un des deux époux refuse d’assumer ses obligations, ou l’adultère constituent des causes de conflits au sein d’un couple qui mènent à une séparation de corps, mais pas nécessairement à l’annulation du mariage, même si celui-ci traverse une sérieuse crise à plus d’un niveau, explique Me Raymond Sfeir, avocat à la cour et ex-juge d’instruction au tribunal ecclésiastique maronite. En vertu de ce jugement de séparation accordé par le tribunal, la partie lésée bénéficie des conditions qui en résultent. Si cette séparation est au tort du mari, la femme obtient une pension alimentaire provisoire qui lui permet de subsister tout au long de la procédure. Cette pension peut être modifiée en fonction de l’évolution de la situation de chacun des deux époux. Si le mari, à titre d’exemple, obtient une promotion, la femme peut demander que la valeur de sa pension soit augmentée.» Pour que le mariage soit annulé, il faut qu’il soit entaché d’une tare au moment de sa célébration. «Ce vice peut être secret et exister à un état latent avant le mariage, note Me Sfeir. Il éclate toutefois après le mariage, tel que l’impuissance, la bisexualité, la toxicomanie ou les crises d’épilepsie.» L’incapacité de pouvoir assumer les responsabilités du mariage pour des motifs psychiques entraîne, elle aussi, une annulation du mariage. Il en est de même pour les conditions posées avant le mariage, puisque les catholiques estiment que tout mariage conditionné est nul d’office. Parmi les causes qui aboutissent à une annulation du mariage figurent également l’ignorance des obligations maritales, le rapt, le mariage célébré sous les pressions et les menaces, l’union des mineurs et des personnes qui ne jouissent pas de toutes leurs capacités mentales, ainsi que les vices qui entachent la cérémonie du mariage; un prêtre qui agit en dehors de son diocèse sans qu’il n’en soit toutefois chargé par son évêque, à titre d’exemple. Des enfants... boucliers «Dans de pareils conflits, l’enfant demeure la principale victime, déplore Me Sfeir. Au lieu de l’écarter de leurs conflits personnels, les parents l’utilisent comme bouclier pour aboutir à leurs fins. L’enfant est ainsi tiraillé entre ses géniteurs, notamment au cours du procès. Ce qui est encore plus grave dans ces situations, c’est l’exploitation affective de l’enfant. Chacun des parents essaie de l’amadouer pour l’attirer de son côté, attribuant au conjoint toutes les mauvaises qualités possibles et imaginables. L’enfant est ainsi tiraillé et se sent frustré, ce qui influence négativement ses études et le traumatise à vie.» Le parent qui a la garde de l’enfant pousse encore plus loin sa vendetta. Il va même jusqu’à interdire au conjoint de voir l’enfant ou de le visiter. «Dans ce cas, c’est le tribunal qui accorde au conjoint la permission de voir l’enfant et éventuellement de le garder pour une période déterminée, à condition qu’il ne lui nuise pas par son comportement physique et moral (adultère notoire, violence contre l’enfant...)», insiste Me Sfeir, qui ajoute que l’annulation du mariage par consentement mutuel n’est pas acceptée chez les catholiques. «Au contraire, quand les deux époux s’entendent pour faciliter le procès, le tribunal mène une enquête pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une mise en scène pour parvenir au but», précise-t-il. Et de signaler: «La loi du 1er octobre 1991 a mis une note de couleur à l’ancienne loi, selon laquelle les relations sexuelles avaient pour seul but la procréation. Cette nouvelle loi considère que le mariage doit être célébré pour le bien des conjoints. Si ce bien est mis en cause, le mariage l’est aussi. C’est sur ce point-là que les magistrats et les juristes se penchent aujourd’hui pour faire évoluer la jurisprudence dans ce sens, d’autant que les conjoints trouvent dans le mariage leur plénitude et leur épanouissement.» Mais à toute médaille son revers, «puisque cette loi peut être utilisée pour obtenir plus rapidement le divorce». «D’où l’intérêt et l’importance de l’enquête et de l’instruction du procès, soutient Me Sfeir, d’autant que le fil qui sépare la sincérité de la mise en scène est fin.» Changement de rites Pour éviter les interminables va-et-vient aux tribunaux, certains couples changent de communautés, d’un commun accord, choisissant ainsi un rite en vertu duquel la demande de divorce est facilement agréée. «La Constitution libanaise garantit la liberté du culte», explique Me Ibrahim Traboulsi, professeur en «droit de famille» dans les facultés de droit au Liban, auteur de plusieurs ouvrages traitant du droit de la famille. «Pour pouvoir changer de rite, les deux conjoints doivent être consentants, remarque-t-il. Malheureusement, il existe des passages individuels et unilatéraux à l’islam, entraînant des cas de polygamie. Il s’agit, à mon avis, d’une fraude à la loi.» Selon Me Traboulsi, la cause principale du divorce demeure le malaise par lequel passe la société libanaise. «Ce n’est plus la famille heureuse que nous avions connue, signale-t-il. La guerre l’a influencée et l’a affectée à plus d’un niveau. Les conditions économiques n’ont pas facilité les choses, puisqu’un grand nombre de couples divorcent parce que le mari n’arrive plus à subvenir aux besoins de sa famille. Sans oublier l’établissement de l’un des deux époux à l’étranger, ce qui ouvre la voie à l’adultère. De plus, l’évolution des sociétés a entraîné un certain libéralisme dans les familles, qui ne sont plus aussi conservatrices qu’auparavant.» Il n’existe pas au Liban de statistiques sur le nombre exact des demandes de divorce ou d’annulation de mariage présentées par an. «Une assistante sociale m’a toutefois informé que 10 000 couples sont en désaccord, tous les conflits n’étant pas relevés devant les tribunaux, déclare Me Traboulsi. Malheureusement, le gouvernement libanais ne s’occupe pas de la famille. Si ce n’est l’initiative de certaines ONG ou de certains juges concernés, la famille aurait été livrée complètement à son triste sort.» En ce qui concerne la garde des enfants, Me Traboulsi précise qu’elle revient à l’époux innocent. «Mais comme nous vivons dans un régime patriarcal, nous constatons une suprématie de l’homme sur ce droit, affirme-t-il. Néanmoins, les tribunaux outrepassent les textes et confient dans la majorité des cas la garde de l’enfant aux mères, si elles en sont capables.» Qu’en est -il du partage des biens ? «Nous sommes tous mariés au Liban sous le régime de la séparation des biens, répond l’avocat. Chacun des époux conserve ainsi ses biens mobiliers et immobiliers. L’époux innocent a toutefois droit à des dommages et intérêts et, sur le plan financier, les enfants seront pris en charge par le père jusqu’à l’âge adulte.»
«Je vous proclame mari et femme», «Unis pour le meilleur et pour le pire», «Moi, Ghada, déclare prendre pour époux Sami, l’aimer et le chérir jusqu’à ce que mort s’ensuive»...
Au fil de la vie, avec ses beaux et mauvais moments, les conjoints, qui se sont jurés de s’aimer éternellement, manquent à leur engagement. Les promesses tombent à l’eau et l’amour...