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Actualités - OPINION

perspectiveS - Le diktat sur la présidentielle accroît le ressentiment libanais à l’égard de Damas Le forcing syrien illustre le caractère aléatoire de « relations privilégiées » basées sur la coercition

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les précurseurs de l’Europe ont vite compris que pour établir un climat de confiance et de coopération irréversibles entre Français et Allemands – ainsi qu’entre les peuples européens en général –, il était impératif de bâtir les relations entre ces pays sur des intérêts communs spécifiques, sur le principe d’une recherche continue de compromis et de consensus pour régler les différends susceptibles d’apparaître entre eux. Cette approche a entraîné une dynamique qui se poursuit depuis plus de cinquante ans jusqu’à aujourd’hui. Si bien qu’il ne viendrait à l’esprit d’aucun observateur ou analyste d’évoquer simplement l’éventualité d’un nouveau conflit entre la France et l’Allemagne. Nous sommes évidemment très (très) loin d’atteindre ne fût-ce que l’embryon d’une telle maturité politique au plan des relations libano-syriennes. Pis encore, les développements qui ont marqué ces derniers jours l’épisode de l’échéance présidentielle ont illustré à quel point les rapports entre Beyrouth et Damas demeurent malgré tout fragiles, fondés sur des bases aléatoires, en dépit de tous les efforts déployés, de toutes les pressions exercées depuis trente ans, pour imposer la vision syrienne des « relations privilégiées » et de la « complémentarité » entre les deux pays. La précipitation et l’intervention outrancière dont a fait preuve le régime syrien pour trancher, au pas de charge, l’affaire de la prorogation du mandat Lahoud avaient tout l’air, effectivement, d’un véritable mouvement de panique. Le projet d’amendement constitutionnel ayant provoqué de vives réactions aussi bien sur la scène libanaise que dans les principales capitales occidentales, les dirigeants syriens ont paru craindre que la situation échappe à leur contrôle. L’émergence au Parlement d’une minorité de blocage pour couper court à une modification de l’article 49 de la Constitution n’était pas, semble-t-il, totalement impossible. D’où l’intervention musclée et rapide de Damas pour précipiter l’issue et amener Rafic Hariri à rentrer dans le rang, avant que la contestation ne se développe davantage et ne fasse boule de neige. Si l’on a eu ce sentiment, sur les bords du Barada, qu’il était nécessaire de mettre le paquet pour sauvegarder l’emprise sur le Liban, c’est précisément parce que les relations entre Libanais et Syriens sont bâties depuis trois décennies sur la coercition, sur la seule logique d’un rapport de force contrôlé par les services occultes, plutôt que sur un dialogue d’égal à égal. En ne tenant compte que de sa seule volonté au niveau de l’échéance présidentielle, Damas ne fait qu’accroître le ressentiment d’une large fraction des Libanais à son égard. Car absolument rien ne justifie au plan local une prorogation du mandat du chef de l’État. Aucune situation d’urgence, aucune considération libanaise majeure ne permettent de justifier que la Constitution soit ainsi amendée au bénéfice d’une personne, quelle qu’elle soit. Malmener de la sorte la loi fondamentale et imposer la prorogation pour satisfaire des impératifs exclusivement syriens, en faisant fi de la position adoptée par un large éventail de leaders politiques et spirituels, revient à bafouer la dignité nationale, non seulement de la population libanaise, mais également celle de la classe politique. Et pour compléter le tableau, les bénéficiaires de cette prorogation n’ont même pas pris la peine de s’expliquer devant l’opinion publique. Il faut dire qu’ils seraient à court d’arguments convaincants et crédibles. Le slogan des « circonstances régionales délicates » et de « la nécessité de sauvegarder les liens stratégiques avec la Syrie » constitue à cet égard une insulte à l’intelligence des Libanais. Le mal est fait, ou presque. Mais l’histoire prouve que nul ne peut bafouer de la sorte indéfiniment et impunément la dignité nationale d’un peuple sans s’exposer, tôt ou tard, à un effet boomerang. Le régime libanais et les décideurs syriens se trouvent aujourd’hui devant l’alternative suivante : recourir une fois de plus à la répression politique et sécuritaire pour tenter d’étouffer les voix libres et souverainistes ; ou, au contraire, pratiquer une véritable politique d’ouverture envers les opposants afin de rectifier le tir. Dans le premier cas, cela ne ferait qu’ajourner la fronde, au risque de l’amplifier. Dans le second cas, Libanais et Syriens se seraient engagés sur la voie de la construction de l’avenir. Un avenir qui ne saurait être édifié que sur les bases du respect des spécificités, des intérêts bien compris, des aspirations, et aussi des appréhensions, de toutes les parties concernées, aussi bien au Liban qu’en Syrie. La seule logique de la coercition et du rapport de force ne débouche que sur des relations aléatoires et des crises à répétition. Par contre, une approche – adaptée aux réalités libanaise et régionale – similaire à celle qui fut suivie au début des années 50 pour établir un climat de confiance entre Français et Allemands serait susceptible de bâtir, dans les faits et non en paroles, ces fameux « rapports privilégiés » que Damas n’a toujours pas réussi à concrétiser de façon rationnelle. Mais cela suppose que les dirigeants des deux pays finissent par se faire à l’idée que le monde a bel et bien radicalement changé ces dernières années. Michel TOUMA
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les précurseurs de l’Europe ont vite compris que pour établir un climat de confiance et de coopération irréversibles entre Français et Allemands – ainsi qu’entre les peuples européens en général –, il était impératif de bâtir les relations entre ces pays sur des intérêts communs spécifiques, sur le principe d’une...