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Mission sans frontières

par Michel EDDÉ Malheureusement retenu par un engagement antérieur, en l’occurrence un débat à l’Université antonine, c’est à travers ces lignes que je me dois de contribuer à l’hommage on ne peut plus mérité, qui, à l’initiative de l’association Lebanus, sera rendu ce soir au père Sélim Abou, dont il est à peine besoin de souligner le rôle fondamental qu’il a joué durant les huit dernières années passées à la tête de l’Université Saint-Joseph. Ai-je pu passer une grande partie de ma vie sans réussir à cerner dans toute sa prodigieuse diversité, dans toutes ses facettes, la personnalité d’un ami admiré déjà depuis l’école des pères jésuites ? Brillant intellectuel, érudit parfaitement à l’aise dans tous les domaines, ethnologue de renom, prêtre et éducateur, gestionnaire hors pair, Sélim Abou a hissé l’USJ au tout premier rang des établissements d’enseignement supérieur du Bassin méditerranéen. La création du pôle technologique Beritech, de la chaire Jean Monnet de droit européen, de la chaire de francophonie, de la chaire d’anthropologie interculturelle fondée en coopération avec l’Institut de France a conféré à l’Université Saint-Joseph une dimension internationale. L’adhésion spontanée au conseil stratégique de l’USJ, encore une des ses réalisations, de personnalités étrangères et locales aussi prestigieuses que Mme Hélène Carrère d’Encausse, que le nouveau ministre français des Affaires étrangères Michel Barnier, que le magnat de l’automobile Carlos Ghosn, que mon ami Fouad Boutros, parmi bien d’autres, témoigne d’ailleurs de l’admiration de tous pour l’action académique et culturelle de Sélim Abou, comme pour sa personnalité hors du commun. C’est toutefois en lisant – que dis-je en dévorant, l’espace d’une grisante nuit blanche – son ouvrage La République des Guaranis et son héritage que j’ai enfin percé à jour cette fascinante personnalité ; que me sont apparus, dans tout leur éclat, le religieux issu de cette lignée de grands jésuites qui ont marqué l’histoire de la Compagnie de même que la vie de l’Église et son rayonnement dans le monde ; et aussi, et surtout, l’homme de cœur dissimulant en permanence une sensibilité d’écorché vif sous une réserve parfois déconcertante, laquelle n’est en réalité que pudeur et modestie. Missionnaire d’un autre âge en effet, que ce prêtre voué à l’émancipation de ses chers Indiens « les plus pauvres parmi les pauvres » (auprès desquels il tient à se rendre tous les ans), pour leur restituer d’abord leur dignité d’êtres humains, de créatures du Seigneur, comme s’y étaient attelés il y a quatre siècles les premiers jésuites du Paraguay. Dans deux villages guaranis, Sélim Abou poursuit l’œuvre courageuse de ces jésuites de la sainte aventure qui ont œuvré à réparer par l’amour l’injustice des hommes, princes ou soldats, à racheter par le don de soi les horreurs de la Conquista espagnole, illustrées par le film The Mission qui nous a tant émus. Ainsi naquirent les « Réductions », petites communautés créées pour mettre fin au génocide et libérer les Indiens. De cette république guaranie, on a pu dire qu’elle était fondée sur un plan plus parfait que la République de Platon ou le Télémaque de Fénelon. Et même un esprit aussi caustique et frondeur que Voltaire y voyait « un triomphe de l’humanité ». Parce qu’il dérangeait trop cependant, le succès même du système, qui s’est maintenu durant 150 ans, devait causer sa perte. Sommés par le vice-roi d’Espagne d’abandonner leurs missions, ces jésuites allèrent jusqu’à s’insurger contre leur père général, bravant ainsi la règle d’obéissance absolue et se condamnant eux-mêmes au sacrifice suprême. En butte à l’hostilité du pouvoir comme des colons et des possédants, la Compagnie fut par la suite expulsée de France, d’Espagne et du Portugal avant d’être dissoute par le pape Clément XIV. Au Liban comme chez les Guaranis, c’est cette même soif d’idéal, qui, infatigablement, anime le père Abou et qui lui vaut invariablement le respect de tous, qu’ils partagent ou non ses idées et options. Pour tout cela, pour tout ce qu’il a encore à donner, Sélim est grand parmi les grands.
par Michel EDDÉ

Malheureusement retenu par un engagement antérieur, en l’occurrence un débat à l’Université antonine, c’est à travers ces lignes que je me dois de contribuer à l’hommage on ne peut plus mérité, qui, à l’initiative de l’association Lebanus, sera rendu ce soir au père Sélim Abou, dont il est à peine besoin de souligner le rôle fondamental...